Fallait-il, cinquante ans après, ressortir Un Homme et une femme ? Palme d’or à Cannes en 1966, Oscar du meilleur scénario, de la meilleure actrice (Anouk Aimée), le film croula dès sa sortie sous les éloges – mais je me rappelle aussi une furieuse polémique. Je partageais cette année-là ma chambre de la rue d’Ulm avec un camarade normalien gauchiste, très critique dans ses choix culturels et politiques, et qui pourtant défendit fougueusement devant moi cette idylle assez fade ; il prenait argument, je me rappelle, de ces plans où la main de Trintignant (le coureur « Jean-Louis Duroc ») effleure l’épaule d’Anouk Aimée dans la séquence du restaurant, H. P. se déclarait très ému, enflammé par ce contact si furtif… (Je crois bien qu’à cette époque, nous deux étions également puceaux !) J’ai revu ces images au cinéma L’Arlequin l’autre jour, insistantes, surlignées, avec l’inévitable montée de la sirupeuse, de la pavlovisante musique (Francis Lai) pour bien nous signifier l’émotion du moment – comment après Truffaut, Godard (Pierrot le fou venait de sortir en 1965) pouvions-nous encore aimer ça en 1966 ? Et quel regard porter sur ce film aujourd’hui ?
Incontestablement, la nostalgie était au rendez-vous. Au moment où les lumières se rallumaient dans la salle, ma voisine essuyait quelques larmes en confiant à sa copine qu’elle avait quatorze ans quand elle avait vu pour la première fois cette histoire, « tellement vraie »… En voilà une qui, décidément, n’a pas perdu son âme de midinette. Car quoi de vrai dans ce film superficiel et gorgé de poncifs ?
Sa projection fut peut-être aggravée à mes yeux (à mes oreilles) par le court-métrage que la programmation avait cru bon de lui adjoindre : un document de dix minutes « sans trucages ni accélérations » précisait le carton, où une voiture qu’on suppose de type cabriolet nerveux (la caméra embarquée sur le capot ne permet pas de la découvrir) parcourt à vive allure les artères de la capitale, depuis l’avenue de la Grande-Armée : la place de l’Etoile, les Champs-Elysées, la Concorde puis de plus petites rues (Chaussée d’Antin, rue des Martyrs…) s’enchaînent en trombe sous les roues du bolide qui fonce au mépris des feux-rouges, fait abominablement crisser ses pneus dans les virages ou hurler le moteur lors des reprises au changement de vitesse, jusqu’à piler devant les marches du Sacré-cœur, où une ravissante jeune femme l’attendait pour monter à bord. Je ne sais comment Lelouch, dans les années soixante, s’y est pris pour filmer un Paris aussi désert ; à cinq heures du matin un dimanche d’été ? Mais la morale est claire : pour emballer la fille, faisons d’abord rugir les mécaniques !
Et de fait, voyons-nous autre chose dans Un Homme et une femme ? Lelouch prend un plaisir évident à la Formule un, tous les détours scénaristiques lui sont bons pour filmer ces bagnoles qu’il adore, essais sur l’anneau de Montlhéry, Vingt-quatre heures du Mans, rallye de Monte-Carlo… En revanche, les scènes d’amour tant attendues d’Anouk et de Jean-Louis dans la chambre sont d’une triste platitude, l’intimité du couple n’intéresse pas le réalisateur, qui ne sait simplement pas capter un geste tendre, accompagner une femme ou un homme s’aimant, se câlinant, se retournant entre des draps, cette syntaxe du lit ne parle pas la langue-Lelouch, sorti des pétarades automobiles il ne sait pas, n’entend pas…
Les monologues intérieurs de même sont tristement plaqués, appliqués, incroyablement bâclés si l’on songe à ce que Godard (Pierrot le Fou), Truffaut (Tirez sur le pianiste) ont su en faire, en tirer.
Le rôle des enfants (particulièrement « téléphonés » ou parachutés dans cette intrigue où ils ont pour rôle de nous attendrir, et de rapprocher cet homme de cette femme) est un autre trait affligeant – si l’on songe un instant, ici encore, à ce qu’un Truffaut sait faire avec l’enfance. Accourant au domicile d’Anouk Aimée qui n’est pas encore sa maîtresse, et qui dans tout le film se contente en guise de jeu d’être belle, « Jean-Louis » (le personnage porte le prénom de l’acteur) se demande comment il se présentera à elle, par son nom ? Non, il dira « le papa d’Antoine »…
Ceux que cette mièvrerie n’écoeure pas s’extasient sur les planches de Deauville et les images de mer (forcément belles), de mouettes à contre-jour, d’un chien labourant le sable, comme si l’esthétique des clips et des pubs ne nous avait pas gorgé les yeux de ces clichés… De même les changements de couleur, l’écran passant du noir et blanc au sépia, ou du sépia à la couleur (pour signifier les décrochements dans la narration ?) sont tellement convenus ! Tout dans ce film semble bête, fabriqué mais j’ai peut-être, écrivant cela, blessé les souvenirs de quelques lecteurs-spectateurs ? Lelouch cinéaste m’a-t-il donné de grandes joies, que sauver ? Ah si, je crois me rappeler un film, Le Voyou avec Charles Denner, au scénario extrêmement réjouissant (« merci Simca ! »). Oublions la complaisante Palme d’or et repassez-nous svp ce Voyou, bien oublié aujourd’hui.
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