François Caillat a réalisé sur ses amours de jeunesse un long métrage, « Une jeunesse amoureuse », qui passe depuis quelques semaines au studio Saint-André des Arts le dimanche en fin de matinée, à l’heure où quelques familles sortent encore de la messe et s’apprêtent à passer à table.
Tous les amoureux de Paris, et de l’amour, devraient assister à cet exercice de remémoration, et de mise au point sur les chers souvenirs (fragments de lettres manuscrites, façades de maisons, rues d’une ville fertile en fantômes et en rencontres désormais abolies…). Qui n’a fait l’expérience poignante de revisiter de l’extérieur un immeuble où il a grandi, aimé, rêvé, et qui se trouve depuis passé en d’autres mains pour abriter d’autres vies, ou aventures ? Les façades sont d’étranges miroirs, tournés sur le dedans de pensées devenues impartageables, vestiges pourtant ou témoins (pour soi seul) d’une histoire qu’on voudrait parfois revivre, et dont les lambeaux voltigent ironiquement entre les persiennes battantes et les traces de pluie. Autant en emportent la rue, et le caniveau…
François a caressé ces visages de pierre en longs plans fixes, comme pour accorder sa fragile anamnèse à ces blocs massifs, chapeautés de zinc : le square d’Albony, quelques petites rues du Marais, l’angle Vaugirard du jardin du Luxembourg, une fonderie dans le XI° reconvertie en école de danse ou cette façade haussmannienne où court un balcon au-dessus d’une pharmacie, du côté de la place Jean-Jaurès…, disent ainsi des parcours ultra-sensibles, stases ou puits de mémoire qui ne parlent qu’à celui qui filme et se souvient, en énumérant autour de ces vues des dates, quelques épisodes mais sans jamais prononcer les noms des jeunes femmes, qui feraient verser le film dans l’anecdote : il s’agit de tendre et d’offrir cette géographie sentimentale au spectateur afin de réveiller en lui d’autres lieux, d’autres histoires, tout un musée imaginaire et forcément privé.
On devine les écueils que devait déjouer l’entreprise de ce film spectral : comment s’intéresser encore à une soirée diapo, ou à l’album de famille des autres ? François devait donc doser l’intime et le public, combiner une histoire intime à la géographie pour réveiller en arpentant ces rues, qui appartiennent à chacun, des fantômes très particuliers. Les documents qu’il accroche en passant aux maisons d’apparence banale, débris de lettres ou de photos, déclaration d’une amoureuse, mugissement d’un saxophone saluant l’aurore sur la Seine ou reprise entêtante de la troisième symphonie de Gorecki, s’accordent merveilleusement à cette indécision du souvenir quand nous le rabattons sur une perception actuelle : comment raccorder le passé au présent, le souvenir obsédant à l’évidence factuelle des lieux, le feu d’amours qui furent à leur cendre ? Quelques vidéos, maladroites et tremblées, témoignent des voyages, des rencontres du narrateur qui s’étonne et qui pourrait dire, comme celui du « Pont Mirabeau » d’Apollinaire identifié aux piles du pont au-dessus du flot incessant, « Je demeure ». Il arrive dans la vie un âge où ces demeures, trouées de toutes parts malgré leur apparence solide, ne laissent pas de hanter, d’éberluer le promeneur.
Images et horaires du film sur le site www.unejeunesseamoureuse.fr
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