L’énigme de vivre

Publié le

Vercors sud, juillet 2020

Je reviens au livre de Baptiste Morizot, Manières d’être vivant, sur lequel il y a plus à dire que dans mon billet précédent. Par exemple en repartant du constat simple, mais frappant, qu’il formule presque d’entrée, notre crise écologique ne serait-elle pas d’abord une crise de la sensibilité ? Les causes de cette perte du sensible sont multiples, profondes dans notre culture, et méritent d’être un peu détaillées.

Combien d’espèces vivantes savons-nous, pouvez-vous nommer ? Je distingue bien le merle de la pie, moins facilement le pinson du chardonneret ; et c’est pire à l’oreille, les chants d’oiseaux tendent pour moi, au-delà de deux ou trois, à se confondre. J’ai relégué cette riche tapisserie de plumes et de chants (elle-même bien menacée) dans un décor ou un fond assez vite indistinct. Pour les arbres, j’aurais tendance à être plus exigeant, mais la reconnaissance des fleurs d’alpage m’échappe largement, et aux tests que me propose Odile (très pointue sur les arbres, les oiseaux ou les fleurs) j’échoue régulièrement ! Je suis un citadin et un livresque, ma culture s’est formée « hors sol ».

J’ai écrit sur ce blog un précédent billet, « Les négligents et les soignants », pour creuser un peu cette notion de soin, qui commence avec le pouvoir de nommer, lui-même lié à notre économie attentionnelle ; nous distribuons au cours de notre vie un capital d’attention à des objets, ou des sujets, qui ont tendance à former avec nous des boucles récursives, chacun trouvant curieux ou intéressant ce qu’il a appris à distinguer et à goûter, de sorte que notre attention, denrée rare et précieuse, tourne assez vite dans un cercle. Cette remarque vaut pour les espèces de problèmes, de livres ou de savoirs comme pour les espèces d’oiseaux. Et si j’en juge par les questions qu’avec prédilection je fréquente (parce qu’elles me confirment dans mes choix), ou par les conversations de mes petits-enfants, je mesure à quel point le monde vivant avec ses multiples, ses fantastiques ou inimaginables manières, est tombé hors du champ de notre attention, ou de nos soins.

En bref, et c’était le dernier mot du billet précédent, nous passons très spontanément, très économiquement notre vie à nous confiner. Claquemurés dans nos curiosités, obstinés à suivre le même rail ou creuser le même sillon, peu soucieux de revenir sur des choix faits une fois pour toutes. Je m’explique mieux par ces remarques le choc reçu du livre de Morizot : bien loin de traiter les vivants comme un décor, ou une réserve de richesses pour nos extractions, il nous propose une énergique mise à niveau : non, la « nature » (terme ambigu et dangereux à manier) n’est pas un décor ni un magasin, ni une ressource où nous « ressourcer », mais un partenaire actif, tissé de vivants qui régénèrent en permanence notre monde, et sans lesquels nous n’y serions simplement pas.

Une question majeure traitée par ce livre est de savoir, au fond, comment notre existence prend-elle sens ? Phrase que je ne peux écrire sans repenser à toutes celles que j’ai consacrées, ici même, à commenter les livres de François Jullien, lui-même obsédé par le constat d’une vie toujours menacée d’étiolement, de confinement ou de dérobade. L’énigme de vivre a fait l’objet, sous sa plume, d’une demi-douzaine de titres où figurent les mots vie, ou existence, ouvrages tous détaillés ou repris ici. J’aurais moins apprécié Morizot si je n’avais d’abord autant lu Jullien. Et j’entrevois ceci :

Jullien est à mes yeux le philosophe qui a frayé le plus énergiquement, parmi les modernes, un chemin vers une pensée autre, en pratiquant et en cultivant, en travaillant de mille façons, l’écart entre deux cultures – la nôtre et la chinoise. Il s’est évertué à sortir de nos routines pour, de toutes ses forces, dé-coïncider, et ramener de l’inouï ; tout lecteur de Jullien (et ils sont très nombreux à en juger par les chiffres de ses tirages et de ses traductions) a éprouvé, au contact de ses livres, le souffle du dépaysement, et d’une pensée élargie, ouverte à d’autres possibles (de la pensée, c’était le titre de nos rencontres de 2013 à Cerisy). Mais ces écarts portaient précisément sur nos manières de pensée, de langue, de catégorisation du monde ; nous voyageons très loin, avec Jullien, dans l’espèce humaine, mais nous n’en franchissons pas les barrières.

Cet élargissement préparé, mis en oeuvre par lui se trouve, avec Morizot, retourné ou porté contre cette barrière des espèces ; avec pétulance souvent, et beaucoup de fraîcheur, celui-ci voudrait embrasser les embranchements de la vie en nous mêlant aux loups, aux éponges, à des « parents » très aliens selon ses termes mais pas inatteignables, ni fermés à toute compréhension. Morizot semble doué d’un capital de sympathie assez rare, et il ne la marchande pas, porté à la rencontre des vivants par son optimisme des contacts, et sa volonté d’aller « là où les frontières se brouillent » : le mutisme de l’univers n’est pas pour lui définitif, les manières des vivants nous parlent si nous savons les traduire, les entendre…

Louise Merzeau (1963-2017)

C’est ainsi qu’il consacre au déchiffrement des traces des pages passionnantes, très bienvenues pour nourrir une sémiologie de l’indice que lui-même ne développe pas, mais qui a occupé mes propres études. « On ne peut pas ne pas laisser de traces », répétait mon amie très regrettée Louise Merzeau, qui a tant oeuvré pour l’intelligence des réseaux, ou par exemple de l’image photographique… Cet ordre primaire des traces indicielles est bien documenté par les empreintes des animaux sur la neige, dont Morizot remarque qu’elles semblent zeitlos (comme disait Freud du processus primaire), c’est-à-dire qu’elles échappent à l’ordre secondaire des flexions temporelles du langage, en donnant de l’animal qu’elles photographient un mouvement dynamique, ramassé au présent de son mouvement. Lui-même remarque très bien le défi que pose cette sémiotique de l’indice, qui nous apprend à penser autrement, en deçà de la lecture et du langage articulé ; et il formule également quelques propositions étonnantes sur l’accumulation des temps, non-linéaires, qui traversent et composent les manières d’un vivant apte à combiner librement des composantes générationnelles millénaires, accumulées en lui et qui resurgissent ou « bruissent » dans l’expression d’un visage, ou tel mouvement. Dans chaque vivant un fond(s) remonte et s’étale à la surface ; la tapisserie des vivants est brodée et surpiquée de fils de toutes provenances, et de tous âges. Vivre c’est hériter, recombiner et toujours, à partir de ce fonds, librement inventer. Ce que Jullien de son côté nomme l’essor.

Il faut nous défaire de notre anthropocentrisme, mais descendre aussi en nous pour scruter notre propre animalité ou notre fond bestial ; et mieux distribuer parmi les vivants ce que nous croyons nous appartenir en propre. Trop assurée de ce « propre de l’homme », la philosophie a traditionnellement, et abusivement, refusé aux animaux un visage : le loup, la bête ne disposeraient que d’une gueule. Morizot redresse cette assertion pour le coup négligente en consacrant des pages fortes au masque du loup, qui est un sur-visage, et à ses jeux de sourcils ; il préfère de même parler de son chant, plutôt que de son hurlement, et cette insistance bienvenue mise sur la voix et la musique me rappelle (dans la ligne d’Aragon) à quel point une vie est orientée par le chant, ou suit à sa manière une ligne mélodique.

Comment « ce drame intérieur dialogué qu’est une vie » prend-il sens ? La proximité de cette question avec la rumination de François Jullien me frappe car nos deux philosophes, qui partagent une égale fascination de départ devant l’énigme de vivre, empruntent pour y répondre des chemins tellement différents, la Chine pour François, les hauts-plateaux du Vercors pour Baptiste !… L’un comme l’autre pourtant tournent, avec des moyens très différents, autour des mêmes mots-clé : l’autre, l’entre, l’écart, et toujours la nécessité de traduire. Il est dommage, sur ce dernier point, que Morizot n’ait pas lu Jullien, et qu’il se contente de citer Barbara Cassin : un livre comme Entrer dans une pensée lui apporterait des réflexions d’un autre calibre ! Et la sémiotique indicielle, partout mise en œuvre dans Manières d’être vivant, mériterait d’être pensée plus rigoureusement dans son écart avec les performances symboliques (ou secondaires) du langage articulé. Morizot quand il cite Cassin citant Barthes (page 68) ne se montre pas trop féru de sémio-linguistique, qui enrichirait grandement son propos.

Mais Baptiste, si jeune, a déjà parcouru parmi les vivants un tel chemin ! Sa fougue et sa curiosité, sa faculté de sympathie manquent à la plupart de nos existences, chichement retranchées… Comment nos vies prennent-elles sens ?  Par leur tissage patient aux autres manières d’être en vie, qui, malgré leur étrangeté, peuvent nous entendre et nous répondre ; notre univers bruit de messages que, faute de savoir déchiffrer, nous négligeons, indifférents à ces formes inouïes (titre d’un récent et captivant livre de Jullien). Face aux loups, aux nuées d’oiseaux, aux chauve-souris (anagramme de « souche à virus », merci Michel !), Baptiste Morizot forge et médite l’oxymore de l’alien parent pour nous inviter à mieux sentir, à mieux comprendre où sont nos ressources de vie.

7 réponses à “L’énigme de vivre”

  1. Avatar de m
    m

    Bonjour!

    L’énigme de vivre. Ah Messire, quel billet!

    Ce propos du 17 juillet arrive à point nommé pour le lecteur que je vais nommer Jeanneton.

    On l’imagine, ce jour-là, prenant sa faucille pour aller couper des joncs et de rencontrer en chemin Monsieur H…

    L’un et l’autre n’étant pas vicomtes, il ne peuvent se raconter des histoires de vicomte, cela va de soi.

    On pense à la rencontre de Marcel Brion, reproduite, un jour, dans ce blogue.

    L’aventure, c’est l’aventure qui pense en s’aventurant et s’aventure en pensant. On connaît la chanson, on ne va pas y revenir.

    Ce 17 juillet, c’est l’anniversaire d’un présentateur connu des journaux télévisés. Ami de Jeanneton depuis des années, il reçoit d’icelui des choses qui coïncident tout en décoïncidant comme cette page d’un livre sur le sens caché du monde, ou figure l’anagramme de

    « La disparition de Majorana »

    Et la réponse du destinataire ne se fait pas attendre.

    Brisons là.

    Partir…Comme dans la chanson finale du documentaire consacré ce soir-là, sur France 3, à Jean-Jacques Goldman de l’intérieur.

    Monsieur H… se contrebalance de ces hasards significatifs ou non? Ce qu’il veut, ce qu’il désire ardemment, c’est qu’on lui parle de quelque chose qui tienne la route et au diable les redondances et les citations qu’il connaît par cœur, mes bons seigneurs!

    Alors par ici la bonne soupe? Peut-être mais quand même avec des références et la bonne, fût-elle la nourrice de Don Juan de Castille, n’y peut rien, mes braves gens! Et ces références il faut bien aller les quérir quelque part, palsambleu!

    « Parler en poète, c’est parler la bouche pleine ». Jeanneton répète ici ce qu’il a lu dans « La nature indiciaire et diagrammatique des dispositifs » où Monsieur H…est cité dans sa présentation du problème qui entre en contradiction avec le principe selon lequel un second (l’indice) ne peut déterminer un premier (l’icône) qui est au centre de l’interprétation d’un dispositif et qui peut construire des analogies, suggérer ou « abduire » des rapprochements entre des objets qui, autrement, nous apparaîtraient comme « épars », renchérit un spécialiste de la communication de l’Université catholique de Louvain. Pour Monsieur H…l’icône s’ajoute au monde alors que l’indice est prélevé sur lui par détachement métonymique. En revanche pur Charles. S. Peirce l’icône est un moment d’indifférenciation entre signe et objet.

    Monsieur H… se dit hors sol, comme d’ailleurs Mme Barbara Cassin, en habit vert du haut de ses universités, qui a rencontré, un jour, Martin Heidegger.

    Mais au fait, Jeanneton a-t-il besoin de savoir tout ça pour être chez lui? Doit-il obligatoirement avoir lu intégralement les merveilleuses thèses de Madame Courtin sur l’e-mail, générateur d’un nouveau langage et la thèse doctorale de Monsieur Romero Tenerio sur les graphes existentiels de Peirce? Oh que nenni! Mais peut-il les ignorer et sans contempler la moindre icône, disserter comme un rosalbin sur une possible sémiogenèse qui reste à écrire? Sa faucille dût-elle lui tomber des bras, il lui faut bien dire quelque chose avec son langage à lui, tiercéitaire sans doute, en ligaturant dans le « tendre outre » et laisser dans les bruyères ou la nouvelle Jérusalem Ézéchiel aimer Houlda.

    Entre ou l’écart…François Jullien à la rescousse.On le sait…Il nous l’a assez répété – et avec raison – Monsieur H…

    Au chapitre interrogatif vers une science de l’autonomie, J-P Dupuy parle d’une phrase à vingt-huit lettres comme système autoréférentiel :

    « Cette phrase a vingt-huit lettres »

    Cependant, il ne nous dit pas qu’il existe une phrase de 28 lettres : « Une voile leste, l’attrait du large » dont l’anagramme est « Entre la solitude et la vulgarité ».

    Nostalgie quand tu nous tiens! Nous la rencontrons aujourd’hui chez Mme Cassin et M.Maffesoli et, il y a quelque temps, chez le physicien citant celle de l’Être de M. Alquié. Jeanneton, quant à lui, a reçu la nostalgie d’un cardinal de la république du Vatican et l’a transmise à son ami et maître du côté de Houdan.

    A la question entre « Chateau ou Briand? », c’est Alphonse que le directeur de « Médium » choisit (n°40, pages 212 et 213)

    Notre académicien se souvient sans doute du Goncourt mil neuf cent onze et de son gentilhomme campagnard.

    Comment allier radis et sadir? Parler de l’intérieur d’un chanteur prophète n’est pas tout dire…Reste un silence qui s’exprime, comme s’exprime le vol de l’oiseau.Quelque chose d’animalier en nous qui relie le sensible à l’intelligible, quelque chose comme une émotion, comme une équation, autrement dit comme une chanson semble dire oui à la vie.

    De liane en liane, devenir alien, c’est aussi rêver chacun pour l’autre…comme on disait au club, là où la songeuse sous son arbre de mai trouve du paradis dans le sens agricole de la culture.

    Mais pour l’heure les chauves-souris attaquent et Monsieur H…et Jeanneton n’y peuvent pas grand-chose.

    Alors revenons à nous…à la source.

    A la claire fontaine s’en allant promener…

    M

  2. Avatar de Cécile d’Eaubonne
    Cécile d’Eaubonne

    L’art d’affiner le regard … et se mettre à l’écoute du vivant. Votre texte me ravit le cœur, Daniel,
    A un temps de notre existence où l’avenir est surtout un présent à ne pas rater, que de perspectives à oser. Avec l’inattendu de rencontres sur le mode de la sérendipité. Coups de cœur qui nous déconfinent et bousculent nos habitudes de pensées. Un risque de s’aventurer, bien sûr ! Mais surtout une existence plus au large, avec la perte de certitudes. La vie n’est pas seulement écrite dans les livres.
    Invitation à découvrir par nos cinq sens , sans négliger celui-ci des émotions du cœur.
    Mais le bonheur est dans ces riens à retrouver, à protéger, à chérir.

    Cordialement aux passants du blog.

  3. Avatar de Gérard Fai
    Gérard Fai

    Bonjour!

    Je viens de lire et relire les deux premiers commentaires suite au nouveau billet de M.Bougnoux.

    Un peu étonné et dubitatif en même temps en lisant ces propos de l’un et de l’autre qui semblent révéler l’inconnu dans le connu, de l’énigme dans le banal et quand bien même, il n’est pas cité, il y quelque chose d’Edgar Morin dans les mots de M… et de Mme d’Eaubonne.

    Icelle emploie le verbe « alléger ». Rendre plus léger, compendieux, n’est-ce pas se donner des ailes pour sortir de la masse informe et aller à l’essentiel?

    Il y a un autre verbe « allégir » que l’on trouve dans « Le père Goriot », un livre que R.Debray offrait à sa fille chaque année.

    Est-ce que le bonheur nous allégirait? Telle était la question d’Agathe dans le livre de Honoré de Balzac.

    Le bonheur? Il y a belle lurette qu’il n’est plus dans le pré, le pauvre, et ce n’est pas notre parisien Pierre Bonte qui nous dira le contraire.

    C’est bien joli de faire des belles citations savantes d’intellectuels chevronnés qui écrivent des thèses et de faire avancer Jeanneton sur la scène pour finalement nous envoyer promener à la claire fontaine. Mais l’énigme de vivre demeure, Madame, Monsieur!

    Morale de l’histoire? Les braves gens qui n’aiment pas que l’on suive une autre route qu’eux forment le peuple des veaux et la morale de cette morale est que la foule adore.

    Un ami qui fut le professeur à La Sorbonne du fils de Mme Barbara Cassin, m’écrivait, hier, qu’il avait rencontré trois fois M.Heidegger.

    Cette personne dont les trois premiers livres grenoblois sont réédités dans le compendium: « Après la modernité » en appelle à la sagesse populaire qui dit non, se soulève, s’indigne et s’absente…Il prépare un essai sur la logique de l’assentiment.

    Pourquoi pas? La théorie a sa part de contemplation et elle aussi est une sacrée énigme, non!

    Sérendipité, dites-vous, Madame? Faut-il donner du sens, Mme d’Eaubonne à des petits riens relevant du pur hasard, comme par exemple le fait que vous avez publié, hier, votre commentaire, vingt-neuf minutes après la neuvième heure du jour et celui posté par Monsieur M…vingt-neuf minutes avant? La réponse est non. Et si maintenant vous me dites que la phrase « L’origine du monde, Gustave Courbet » contient vingt-neuf lettres avec lesquelles on peut composer une autre phrase « Ce vagin où goutte l’ombre d’un désir », je vous répondrai que c’est une belle et renversante anagramme pouvant plaire à Monsieur Bougnoux qui s’est plu à écrire un bel article sur le con d’Irène dans une revue dirigée par son ami Régis Debray. Quant à donner un sens caché à cette coïncidence de lettres, dussé-je souffrir votre contradiction, fort honnête et tempérée, je n’en doute pas, eh bien, Madame, je vous dis non!

    Dire « oui » à la vie, oui à la vie tout de même, m’écrivait hier, ce professeur, auteur d’un livre « La logique de la domination », écrit à Grenoble en 1974, un essai où il esquisse l’importance du vitalisme.

    Par ailleurs, ce membre de L’Institut universitaire de France, écrit :

    « J’emploie à dessein ce terme de hasard, en pensant à la formule de Léon Bloy : « Le hasard est la forme moderne du Saint Esprit! » L’inattendu étant ce qui dynamise l’amour en le faisant sortir de la langoureuse quiétude de l’ennui répétitif. » (Reproduction fidèle de ce petit extrait)

    Ouvrons la fenêtre et laissons les volets ouverts! Et voyons ce qui se passe…

    L’herbe qui verdoie et le soleil qui poudroie…Rien à l’horizon!

    Un paysan appelle un marchand de bestiaux pour qu’il vienne chercher ses quelques bêtes. Accidenté, Il ne peut plus s’en occuper…Il pleure au téléphone et le négociant, touché, se rappellera toujours de ce moment-là…Plus loin sur la route, un énorme tracteur bourré d’électronique traîne une remorque longue, très longue théorie du progrès. Plusieurs centaines d’hectares de céréales, des bâtiments d’élevage hors sol à perte de vue et c’est l’affaire qui tourne!

    Et belle est la montagne…Et les filles vont en boîte…Et sonne l’heure de la retraite…On connaît la chanson et c’est toujours le même refrain.

    Passe une ombre…On dirait un guépard!

    Gérard Fai

    1. Avatar de Daniel Bougnoux

      Cher Gérard, Vous avez beau me cacher soigneusement le nom de ce prolifique auteur, vous savez qu’il n’est pas de mes amis, et que je ne vous suivrai pas sur ce terrain. Hélas, Maffesoli a rencontré trois fois Heidegger dites-vous ? Comme Barbara peu-être, se poussant sur la photo à côté du Maître, et faisant circuler ensuite autant que possible l’image. Mais l’exercice de la pensée n’a que faire de ces images.

  4. Avatar de Cécile d’Eaubonne
    Cécile d’Eaubonne

    Réplique à monsieur FAI

    C’est l’été … Et tant de beaux écrits restent assoupis sur les étagères de nos bibliothèques.

    Il est probable que certaines de leurs pensées se sont infusées dans mes veines. Plagiat, dites-vous ? Je relève l’offense. Non, je n’ai pas chargé ma valise de vacances des textes d’Edgar Morin, d’André Comte-Sponville ou … de plus savants encore.

    Le sentiment de la vraie vie me vient d’apprécier la minute à vivre. Essentiellement !

    Dans la soirée qui s’achève, ce furent les grands et petits riens à saisir : l’arc en ciel après l’orage, un verre de bon vin partagé et aussi l’attente d’autres journées à inventer.

    Rien à l’horizon, dites-vous. Pas pour vous, n’est-ce pas ?!

    Que faire quand nos regards se heurtent à la désespérance du paysan accidenté ou à une réussite trop flamboyante d’un autre.

    Je ne sais … Mais il me semble qu’il s’agit de prêter une attention à ce que d’ordinaire nous négligeons. Celle de la vie à gagner qui s’affine avec nos cinq sens + celui du cœur. Où on célèbre ce qui vibre en nous en ayant soin de décaper la couche « d’usage et d’usure » pour être un peu plus présent à soi.

    Et nous voici renvoyés à « l’énigme de vivre ». Ce que nous disent Daniel Bougnoux et François Jullien : une utopie … un programme à suivre.

  5. Avatar de m
    m

    Bonjour, braves gens qui passez par là!

    Il m’a fallu prendre bien des chemins de traverse pour arriver l’autre jour, chez Monsieur Fai et par un heureux hasard, j’ai pu tirer la chevillette de sa porte, quelque part au cœur d’une forêt oubliée de nos portulans sophistiqués.

    Nous avons beaucoup échangé, devisé sur bien des points et nous nous sommes séparés tout à fait d’accord, gardant une excellente image de ce moment de chère lie inoubliable…Sans alcool, rassurez-vous!

    De l’énigme du vivant, il en fut question, bien sûr! Notre randonneur fut porté aux nues pour nous avoir orienté vers cette belle et joyeuse difficulté. Nous nous sommes plu à revisiter Edgar Morin, si parfaitement introduit dans la complexité humaine par Heinz Weinmann.

    Pour Edgar Morin, l’énigme n’est pas un voile jeté sur le monde qu’il serait loisible à l’homme d’enlever pour découvrir la vérité. Elle est tissée à même le fil et la trame du monde inextricablement lié à lui. On pense à l’auteur du « Gai savoir » qui demande à honorer davantage la pudeur que la nature met à se cacher derrière l’énigme et les incertitudes bariolées.

    Brisons là et revenons à nos moutons.

    Avec l’accord de mon interlocuteur, je reviens sur le sujet des inimitiés – et c’est un euphémisme! – qui règnent dans le milieu universitaire.

    Le commentaire de M.Bougnoux visant M.Maffesoli en est un exemple poli.

    Un jour, M. Bernard Maris, un homme du sérail, m’a envoyé une très belle et touchante épître où il me demandait de ne pas acheter, de ne pas lire son livre intitulé « Les sept péchés capitaux des universitaires » dont voici la liste : lascivité – paresse – ignorance – absence – envie – fatuité – complaisance. Dont acte. Sa lettre est toujours là, conservée, vivante, dans un bonheur-du-jour. Un jour de janvier deux mille quinze, une amie universitaire était à la maison…Nous avons coupé du bois et mangé la soupe ensemble. Ce même jour, Monsieur Maris s’en est allé, assassiné au siège d’un hebdomadaire parisien. Plus tard j’ai acheté et lu son livre.

    Cette critique de l’intérieur de l’Alma mater n’est pas la seule…Je me souviens de Pierre-Gilles de Gennes m’envoyant sa mise au petit point, masquée et si parlante. Et que dire de la critique sévère des Illich, Morin, Bachelard, Serres… attaquant le gros animal?

    La coupe est pleine, n’en rajoutons pas!

    J’ai rencontré deux fois en vrai, non le maître Heidegger, mais M.Maffesoli…A Paris, en Sorbonne et à Pouzauges, en Vendée.

    Je ne suis point allé vers lui pour faire la causette, tout simplement parce que je n’avais rien à lui dire et rien à lui demander.

    J’ai lu certains de ses livres et me suis permis en tant que simple lecteur de relever maintes fautes d’orthographe et de citations dans certains de ses ouvrages qu’il ne messied pas de lire, avant de jeter sur eux l’anathème. Il m’en a remercié. Souvenez-vous de « Démocratie française », un projet écrit pour Marianne et Gavroche, dans les années septante et qui fut critiqué comme pas possible par des braves gens qui ne pouvaient pas sentir l’auteur et qui n’ont jamais eu le courage de l’ouvrir pour essayer de le lire.

    Le lecteur ici, commentateur de passage, n’a pas à entrer dans ces disputes à n’en plus finir. Ce n’est ni sa place ni son rôle.

    Autant faire son petit pas de côté…en survivant ou dernier Mohican, comme nous y invite, M. François Jullien, pas tendre avec les « Actes » des apôtres des colloques en tous genres, et leurs panels, thématiques et compagnie! (pages 177 et 178)

    En revanche, puisque nous sommes avec l’auteur de « De la vraie vie », il est permis de s’interroger et d’interroger notre aimé savant.

    Pas forcément sur l’élision oubliée au mot hiatus, page 52, ligne 17, mais sur un accord grammatical qui pose problème dans les chaumières de France et de Navarre, bonnes et vraies gens! Page 113, par exemple, il écrit que la vraie vie « s’est laissé à la fois enfouir et bannir ». Est-ce à dire qu’elle s’est laissée mourir? Si tel est le cas, Monsieur Jullien devra réviser ses règles de grammaire sur l’accord des verbes pronominaux suivis d’un infinitif. Et si sa phrase est très justement écrite – comme c’est le cas sans nulle conteste – il ne messied pas de dénoncer ce qui contribue à empoisonner les gens au point de les désintéresser de la vraie vie. On a du pain sur la planche, mes bons seigneurs!

    Et quid de la pomme? Dans le conte, la pomme dans laquelle Blanche-Neige mord ne la tue pas; elle la plonge seulement dans un profond sommeil. Nous connaissons la fin heureuse du conte avec le réveil de la belle. Nous connaissons moins l’histoire de celui qui inventa l’informatique, sans lequel je ne serais pas là en train de vous écrire.Une histoire d’universitaire, bien sûr, qui se termine par une pomme mais là pas de prince pour ramener à lui, le petit génie des ordinateurs, la pomme empoisonnée a tué le mathématicien qui voulait en finir avec la vie.
    Paradoxe de Turing. Dans un très bel article, paru dans la revue « Médium » n° 56, M. Jean-Rémi Gratadour, du Centre digital HEC Paris, conclut avec cette question : Si le lecteur de cet article est une machine, saura-t-elle percer à jour son auteur, homme ou machine? (page 62)
    J’ai reçu une réponse très argumentée et fort plaisante de Monsieur Gratadour qui m’écrit à la fin de son message :

    « — Car la chose amusante est que la machine reconnait par négation, jamais
    par affirmation comme le ferait un enfant qui apprend en jouant et
    devine un éléphant d’un lion au premier coup d’œil. C’est ce phénomène
    qui explique
    la nécessité de nourrir l’intelligence artificielle de millions de
    références afin qu’elle continue à progresser par négation, un peu
    comme Méphistophélès qui restera à jamais cet « esprit qui toujours nie ».
    De là à en conclure que nous vendons notre âme au
    diable, il n’y a qu’un pas que je me garderai bien franchir… » ( Fin de citation)

    Plus de sortie possible de la caverne vers le ciel de Idées sans la boussole de l’IA cette fois-ci! affirme M. Gratadour.
    Pourquoi enseigner? Pourquoi défermer les yeux de ses pairs? questionnent le professeur et l’artiste qui ont vu dans la phrase de
    « L’allégorie de la caverne, Platon » les mêmes vingt-sept lettres qui composent « le réel vacant le long de la paroi »
    Entrer en désobéissance pour s’attacher à la vraie vie, ce n’est peut-être pas qu’une affaire de réplique…
    Une supplique sans doute…Mais qui croire? A qui se vouer?
    L’anagramme du mot « négation » se nomme « Antigone ».Soit! Et pourtant la demoiselle est tout abnégation.
    Il y a dans toute conquête un sacrifice, écrivait Gaston Bachelard dans ses « Études ». Et pour lui l’homme a un destin de
    connaissance.
    Qui sait si l’homme n’est pas l’avenance de la femme?

    Bonne nuit à tous

    m

    P.-S. : Gérard est tout confus, peiné d’apprendre qu’il aurait accusé de plagiat Madame Cécile…Loin de lui cette idée, bonnes gens!
    Aussi demande-t-il à la gente dame de lui pardonner ce caprice d’enfant!

  6. Avatar de Gérard Fai
    Gérard Fai

    Bonjour!

    Merci M… de cette précision de nature, je l’espère, à rassurer Madame d’Eaubonne et, peut-être, à pardonner l’offense que j’aurais faite malgré moi.

    Le mot utopie est lancé et l’on dit qu’il en est qui sont porteuses d’avenir. Pourquoi pas? Mais au fait, qu’est-ce qu’une utopie?

    Robert Musil répond : « Utopie veut dire l’expérience dans laquelle on observe la modification possible d’un élément et les effets qu’elle produirait dans ce phénomène complexe que nous appelons la vie. »

    J’entends bien la critique :

    « Encore un intello qui fait des citations savantes, si loin des préoccupations de l’ordinaire de l’homme sans qualités! Un écolo de salon entretenu par les contribuables dans son officine et qui s’imagine qu’il va détruire l’ivraie avec une pincée de sel et une cuillère de vinaigre blanc. L’homme de Klagenfurt qui a combattu sur le front tyrolien s’offusquerait de ces coquecigrues de petits-bourgeois qui croient tout savoir en s’écoutant monologuer, dans leurs vacances dorées sur les bords de la Mère Noire ou sur les plages paradisiaques d’une île lointaine. »

    J’ai pris les devants pour épargner ce constat à un éventuel contradicteur.

    Et je me dis, sans la moindre animosité, qu’il faudrait peut-être aller un peu plus loin dans notre vision des choses, et troquer nos bésicles contre des longues-vues.

    Plus loin, facile à dire mais où exactement? Chemin faisant même en orage, les routes vont vers des pays…Sous le parapluie des sciences, Albert Einstein, dit-on, aurait imaginé en celui où il habitait, un coin de paradis.

    Sans digression aucune, Madame Cécile d’Eaubonne nous oriente non sans aménité et avec une fine intelligence doublée d’une belle intuition, sur la notion de sixième sens qui passe par les cinq sens.

    Décidément, notre Dame sans le nommer, nous fait entrer de manière subtile chez Michel Serres, auteur de cet essai sur la philosophie des corps mêlés qui porte le titre « Les cinq sens ». Et voici que sous sa tente, un frelon le pique à la cuisse alors qu’il tint conférence.Tellement absorbé par son discours, il en oublie la piqûre. Le voilà intoxiqué de mots sonores, le frelon n’y peut plus rien. Et notre auteur de considérer que « nous parlons pour nous droguer, militants comme égotistes. » Plus loin, il écrit : « Nous cherchons la pharmacie, l’animal fabuleux qui peut nous libérer de la drogue la plus dure, le langage. La tapisserie de Cluny a trouvé. » (Fin de citation) Vive la licorne!

    On peut à l’envi pérorer sur le sixième sens en interprétant comme on veut les différentes définitions qui sont portées à notre connaissance, de la censure gersonienne à la mémoire de Jean-Yves et Marc Tadié, en passant par le fading de Frédéric Dard. Aurons-nous pour autant avancé d’un pas? Chevaucher les licornes par-delà les labours, jusqu’à la tombée du soir, pourquoi pas? Mais à quoi bon, si rien d’exact, de palpable et de vérifiable n’émerge de ce sabbat? Quid de la méthode expérimentale en tel domaine, quand les « opérateurs » n’ont rien à faire dans les laboratoires et leurs bureaux, fussent-ils d’utilité publique? Il en a pourtant écrit des choses sur la sensibilité humaine cet accort professeur avec lequel j’échangeais, il y a quelques décennies, quand son fils était au gouvernement. De la bombe atomique au pendule exploratoire, ce surdoué de l’ENS, cité par Gaston Bachelard dans « Le rationalisme appliqué » a peut-être une réponse maintenant du haut de la chaire de son invisible collège…Qui sait!

    Pour l’heure, on peut toujours rêver…et sur le tableau noir dessiner une licorne descendant de sa montagne avec les tables de loi de la vraie vie sous le bras. Mon seul désir, dirait cette dame de cœur, est de sortir de la tenture pour s’arranger avec l’impossible.
    En bas, le pauvre peuple qui n’a pas d’argent pour faire le grand voyageur, est bien loin de la devise haute en couleur de la tentatrice nietzschéenne. A l’auberge d’en face, on dit que son sang chaud pensa…Et le vilain de raconter des histoires à dormir debout, autour de moult verres de moulin-à-vent.
    Autrement dit « de cavaler au vent des mirages ». Deux cavaliers des anagrammes, l’un physicien, l’autre pianiste, ont écrit que les vingt-cinq lettres de ces six mots entre guillemets donnent à qui veut l’entendre et le vérifier « Miguel de Cervantès Saavedra ».
    Belle signature qui a voix au chapitre de « Mensonge romantique et vérité romanesque ».
    Autant s’arrêter là et vous souhaiter à tous, une bonne et douce nuit.

    Gérard Fai

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

À propos de ce blog

  • Ce blog pour y consigner mes impressions de lecteur, de spectateur et de « citoyen concerné ». Souvent ému par des œuvres ou des auteurs qui passent inaperçus, ou que j’aurai plaisir à défendre ; assez souvent aussi indigné par le bruit médiatique entretenu autour d’œuvres médiocres, ou de baudruches que je…

    Lire la suite

À propos de l’auteur

  • Daniel Bougnoux, professeur émérite à l’Université Stendhal de Grenoble, est ancien élève de l’ENS et agrégé de philosophie. Il a enseigné la littérature, puis les sciences de la communication, disciplines dans lesquelles il a publié une douzaine d’ouvrages.

    Lire la suite

Les derniers commentaires

  1. Du bon usage de MeToo en passant par DSK et Weinstein puis la tragédie du 7 octobre 2023 sans oublier…

  2. Bonjour ! De grâce, Messires, appelez-moi « MADAME » ! Quèsaco ? Eh bien, prenez le moi de « Me » Too…. Mettez la…

  3. N’ayant pas encore lu le dernier livre de Caroline Fourest ni entendu l’émission d’Alain Finkielkraut, j’en étais restée aux passages…

  4. Bonjour ! J’ai quitté ma caisse tardivement, hier soir, et le temps de faire les courses, impossible de trouver un…

  5. J’ai capté moi aussi ce matin, un peu par hasard, l’émission « Répliques » d’Alain Finkielkraut et son dialogue avec Caroline Fourest…

Articles des plus populaires