Il n’est pas trop tard pour tenter de répondre à cette question, le personnage s’accroche à la Maison blanche et ne la quittera que dans soixante-dix jours. Quels dégâts va-t-il encore provoquer d’ici là ?
Depuis la si pénible nuit du 4 qui semblait lui donner encore quelques chances de doubler son premier mandat, il y a eu l’attente, morfondante, puis l’explosion de joie du 7 novembre, un dénouement où ce sont les grands médias qui tranchèrent, jetant dans la rue des partisans en liesse et d’autres incrédules, ou qui refusent l’évidence des chiffres. Bien loin de s’incliner, Donald Trump a choisi d’attiser les soupçons et la haine de ces derniers par ses tweets, d’en appeler une fois de plus à la passion contre la raison, à la rue contre l’institution. Et à des armées d’avocats qui vont profiter de ces recours pour se gaver, à défaut de trouver des juges qui acceptent leurs « preuves ».
Triump est un cas d’école, une loupe grossissante de tous les maux qui menacent une démocratie. Je sais que le critiquer est un passage obligé, un exercice devenu trivial, et qu’il y a d’autres façons pour tirer son bilan que de refaire la liste de ses tares psychologiques et de ses méfaits les plus évidents. Tant pis, j’ai envie moi aussi de vider ma querelle, de dire affectivement, passionnellement, pourquoi Trump nous soulève le cœur. Et quel énorme dérapage aura constitué sa première élection. Il vient d’échouer d’assez peu (5 millions de voix) à la seconde, il y a donc 70 millions d’Américains qui le suivent encore (plus qu’au premier tour où ils ne savaient pas, où ils essayaient pour la première fois de son remède), que leur dire qu’ils soient capables d’entendre, comment leur dessiller les yeux ?
On ne tire pas sur une ambulance ? Mais Trump n’est pas mort, et même assez bien portant dans la voix et les gesticulations de ses supporters. Feu donc sur le clown obscène, qui a foulé aux pieds les principes les plus élémentaires de la démocratie. Qui a incarné jusqu’à l’exhibition quatre ans durant, pour le monde entier, une marionnette de Président.
Son obstination à jouer au golf, alors que Biden élabore déjà une politique sanitaire et sociale qui ont si gravement manqué sous le mandat précédent, montre à elle seule sa frivolité, son profond mépris du bien commun. Les mesures sanitaires de Joe Biden ne pourront prendre effet qu’à la fin de janvier, combien d’infections et de morts d’ici là ? Les manifestations de rues, où les pro-Trump choisissent souvent de s’exhiber sans masque, comme une marque d’affiliation à leur chef bien-aimé ou un signe de ralliement, préparent pour les semaines à venir combien de clusters ? On avance le chiffre de 238000 morts du virus aux USA, de combien cet effrayant cimetière va-t-il s’allonger dans les semaines à venir ?
« Il est cash » disait je ne sais plus quel Américain républicain invité au 7-9 de France inter, propos rapporté dans mon précédent billet. Croyait-il excuser par ce mot le ploutocrate qui semble en effet tout réduire à des transactions commerciales ? Brut de décoffrage suggérait-il plutôt, ignorant les bonnes manières de l’establishment, franc du collier en somme… La franchise semble pourtant la dernière qualité à attendre de ce politicien tortueux et vicelard. Gamin tout-puissant prisonnier de son narcissisme, Trump tweet, tonitrue, décrète, comme si les mots les plus outrés valaient pour les choses, les contre-vérités flagrantes pour des arguments recevables. Sa parole, son « style » si l’on ose dire par antiphrase ont congédié la science pour la fiction, le débat pour le monologue péremptoire. L’ignorance du plus élémentaire commun restera, à mon avis, la tare majeure de son gouvernement, Trump ne rassemble pas, il clive et il divise (d’où les appels de Biden depuis son élection à une salutaire réunification). Ne prenons que deux indices de ce mépris de la chose commune, ou publique : alors que la démocratie est fondée sur le débat, celui de Biden-Trump en octobre dernier a vu ce dernier ne produire que du bruit pour échapper à tout argument, et couvrir de ses cris l’adversaire. Le spectacle qu’il donnait ce soir-là aurait dû le déconsidérer aux yeux de ses propres partisans, si ceux-ci ne confondaient pas l’échange des raisons (toujours en dispute dans l’arène politique) avec un match de boxe. Pénible réduction, détestable stratégie !
Mais le commun par excellence, c’est notre terre, ses espèces, son climat. Que Trump puisse afficher un tel mépris pour la si nécessaire transition écologique, au nom de calculs économiques à court terme, ou d’une préférence nationale qui fait fi de la solidarité mondiale devant cette dégradation de la planète, est encore moins pardonnable. Or le mal est le même, l’impuissance chez ce personnage à entendre les paroles ou les raisons des autres, leur prétention à simplement coexister.
« America great again » ? Quelle grandeur un Trump aura-t-il redonné à son pays, en quatre années de présidence ? Quel bilan de cet histrion vont tirer les historiens du futur ? Déjà sa dénégation des résultats du vote, et son refus (pour combien de jours ?) de féliciter son adversaire pour sa victoire, est sans exemple dans l’histoire de la démocratie américaine. Trump joue à l’homme fort pour galvaniser ses partisans, à celui qui ne met pas le genou à terre. On a déjà vu à l’œuvre cette mise en scène primaire de l’Hercule de foire quand, hospitalisé pour cause d’nfection au Covid, il s’est relevé en 24 h, surjouant Superman ou les invincibles héros des jeux vidéo, clamant son éloge d’une médecine de pointe, mais sans témoigner une quelconque compassion aux infectés du virus qui ne peuvent s’offrir celle-ci. Cet épisode peut-être ajouta à son éclat dans la course présidentielle, auprès de ceux qui n’en jugent que par le corps.
Comme Poutine, il soigne et exhibe son corps
Entendons-nous : il faut apporter du corps dans une élection, c’est le vecteur du charisme et de l’identification, de l’investissement du leader par les masses. Celui de Biden peut, à cet égard, sembler déficient, pas assez tonitruant, peu propice aux tromperies et trompettes de l’autre. Il faut aussi à une élection une part de fiction, d’imaginaire et de rêve, on ne gagne pas les suffrages au nom de la seule raison. Au point où nous laisse cette élection présidentielle américaine 2020, force est de déplorer qu’une petite moitié des électeurs s’est rangée (reconnue ?) derrière les appels d’un populiste grossier, inculte et fier de l’être. Que ces électeurs préfèrent les rumeurs des réseaux sociaux aux informations des journaux ; les petites phrases des tweets présidentiels aux exposés forcément plus complexes des connaisseurs et des experts ; l’arrogance à la modestie qu’exigent de pareilles responsabilités à la tête du pays voire du monde ; ou la fausse jovialité de l’animateur de télé-réalité (sa première et seule spécialité) amateur de golf aux difficiles arbitrages d’une politique responsable. Trump a habitué ses partisans aux surprises et aux conforts du circuit le plus court : il s’est proclamé gagnant sans avoir la patience d’attendre, trois jours avant Biden ; à l’entendre tout est simple, tranché d’avance, et la grandeur revient à celui qui parle ou cogne le plus fort…
Décidément, Trump révulse en nous tout ce à quoi nous croyons le plus, l’éducation, les efforts de la culture et les ressoures de la science, le rôle des contre-pouvoirs (judiciaire, médiatique), la démocratie comme exercice d’une sagacité venue du partage, de la confrontation des raisons et de la mise en commun des bonnes volontés. Ou encore la communauté du risque, et de la responsabilité, face à la dégradation planétaire provoquée ici par les choix néo-libéraux, ailleurs par diverses dictatures auxquelles Trump sert d’alibi, ou de modèle.
Puisse le tandem Biden-Harris remonter cette pente (que le vaincu savonne déjà), ce sera long face aux poisons qui tournent dans les têtes, aux simplifications en noir et blanc qui alimentent les croyances et les bonnes consciences. Le trumpisme a fortement implanté son modèle ou poussé ses racines dans le paysage mondial, combien de temps faudra-t-il pour les en extirper ?
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