Des casseroles pour Macron ?

Publié le

Un « collectif citoyen » me propose, par le canal convivialiste, de signer la pétition suivante, déjà paraphée par les gens que j’estime et respecte, comme Alain Caillé, Patrick Viveret, Roland Gori ou Georges Vigarello :

« Depuis plusieurs semaines maintenant nous assistons au mépris et à l’arrogance d’un chef d’État qui refuse d’entendre le peuple français, le réduit à une « foule » émeutière, court-circuite les pouvoirs traditionnels des corps intermédiaires, décide seul, laissant à quelques rares inconnus des partis suzerains le soin d’assurer le service après-vente des réformes rejetées aussi bien par la majorité de l’opinion publique que par les syndicats. N’hésitant pas à faire user de la matraque policière avec les conséquences terribles que nous connaissons, à procéder à des « coups d’État » bureaucratiques qui pervertissent nos métiers, il se pose ensuite dans une posture de grand sage expliquant au peuple ignorant ce qu’il aurait dû comprendre et accepter.

Ce n’est absolument pas acceptable en Démocratie où la parole détient une valeur sacrée qui installe les fondements véritables du débat citoyen et souverain. Dans ces conditions, nous, citoyens, nous refusons cette dégradation de la parole démocratique, dissoute dans le « bavardage » du spectacle et appelons nos compatriotes à interrompre ce processus de désinformation et de soumission. Pour ce faire, nous appelons en premier lieu, à éteindre systématiquement nos postes de télévision et de radio lors des allocutions présidentielles jusqu’à ce qu’il nous respecte en acceptant d’ouvrir les conditions d’un dialogue véritable et mette un terme à cette logorrhée méprisante adressée à un peuple supposé ignorant de ce qui le concerne. »

*

Il me semble que ce texte, dont les auteurs ont toute ma sympathie, foule aux pieds le principe ou les valeurs dont nous nous réclamons.  Le convivialisme, comme la tant vantée démocratie, supposent à la base une capacité à l’écoute mutuelle, au dialogue, au débat, si fortes soient nos préventions et nos réserves vis-à-vis de l’adversaire.

C’est pourquoi la « casserolade » à laquelle d’autres courriels m’invitent à participer ce soir, en descendant faire du bruit dans les rues au moment de l’allocution présidentielle, ne me séduit pas davantage : c’est du même ordre que les hurlements à la Chambre, un lieu prévu pour la parole, non pour les cris ni le chahut… Dans cette démocratie dont nous nous réclamons, la seule rencontre ou le seul affrontement possibles avec l’adversaire passent par la parole, malgré de légitimes exaspérations. Je suis, moi aussi, consterné par le degré de surdité que montre le pouvoir exécutif, depuis la mise en œuvre du fatal 49.3, et ce mépris de la représentation populaire constituera, pour ceux qui écriront cette histoire, une faute majeure de la « macronie ». Macron plaide qu’il ne fait qu’exécuter un programme prévu de longue date, inscrit dans ses propositions de campagne et pour lesquelles nous l’aurions élu. C’est confondre un peu vite deux étages de la représentation, celle tous les cinq ans d’une élection présidentielle, et celle qui peut se dire au jour le jour, au Parlement, dans les journaux ou dans les manifestations de rue, autant de canaux qui expriment quotidiennement les sentiments de l’opinion. Les manifs en particulier, telles que les ont conduites avec un sang-froid remarquable les différents cortèges syndicaux, constituent bien cette expression politique légitime, et reconnue par notre constitution : la manifestation est à la parole ce que montrer est à dire, la parole est symbolique, la manif est indicielle ; mais tant qu’elle ne bascule pas dans une violence aveugle, elle est non seulement recevable mais il faut impérativement en tenir compte, et non la traiter en rassemblements de « factieux ».

Le texte de la pétition ci-dessus me semble en contradiction avec lui-même, en proclamant d’un côté que « la parole détient une valeur sacrée qui installe les fondements véritables du débat citoyen et souverain », mais d’autre part en refusant le dialogue avec Macron, dès lors que lui-même ne le cherche pas – ou si mal. Ce combat démocratique que nous défendons, fondé sur la parole, ne peut donc appeler à couper ou interrompre celle-ci, à la remplacer par du bruit. Et si le pouvoir est coupable de « logorrhée », ce n’est pas à nous d’en rajouter (comme fit la NUPES au Parlement, fière de son chahut ou d’une obstruction couvrant tout débat) ; la démocratie en d’autres termes exige de nous le raisonnement, l’argumentation, le débat ou une parole plus claire que celle de l’adversaire.

Transposé dans le domaine de l’éducation, que répondront les parents à un enfant violent, inattentif ou turbulent ? Par « plus de la même chose », par des coups, des cris ? Ou par une tentative de mise à plat et de recadrage, par une bonne conversation… On « raisonne » un enfant. Et face aux violences quotidiennes, il existe d’autres traitements qu’une répression aveugle. Cette démocratie dont nous agitons le fétiche n’a donc rien à gagner à une opposition « en symétrie », du genre : il ne nous écoute pas, ce soir lundi 17 avril nous ne l’écouterons donc pas davantage, fermez vos postes, tapez sur les casseroles ! Non, le véritable débat ne consiste pas à refléter en miroir la position adverse, mais à recadrer celle-ci et à lui répondre au nom d’un principe, ou d’une raison, un tant soit peu supérieurs.

C’est moins facile que de taper sur des casseroles ? Sans doute, la démocratie est le moins facile des régimes, puisqu’elle exige de nous non le retour à l’inarticulé, mais l’invention d’un argument ou la tenue d’un débat. S’opposer sans se massacrer, pose en principe le convivialisme pour définir la démocratie ; or le bruit, qui conduit à la fureur,  ne constitue-t-il pas le premier degré du massacre ?

5 réponses à “Des casseroles pour Macron ?”

  1. Avatar de JFR
    JFR

    Mon commentaire
    Ahah la pétition du Collectif citoyen fait bien rire. Que des professionnel de l’écoute pétitionnent pour proposer de ne rien entendre, de ne rien écouter, est assez drôle. Nous ne sommes ni en Allemagne en 1933 ni à Moscou en avril 23. Je leur proposerais volontiers d’arrêter d’écouter les sottises que diffusent les chaines d’information…. Parfaite réponse du Randonneur. Merci.JFR

  2. Avatar de Anetchka
    Anetchka

    La pétition du Collectif citoyen aurait volontiers suscité l’adhésion sans ses accents d’adolescents rebelles passablement stéréotypés et prêtant à sourire…Tu es sourd, Manu, on va t’assourdir; on coupe le son, frappez casseroles!
    Devant cette pauvre réplique de rue, pensons aux riches et complexes langages tambourinés du Congo ou de la Caraïbe, comme voix de résistance, voix alternatives. Ces messages organisés par des tons forts et faibles, représentant subtilement les paroles, loin de se réduire à des bruits couvrant la parole dominante, sont une véritable création établissant un lien avec le passé pour annoncer l’avenir.
    Alors, au pays de la disputatio, des débats jadis passionnés sur le parvis de notre très vieille Sorbonne, on aurait pu attendre un peu plus de maturité, de dialogue et d’imagination !
    Merci pour ce blog du Randonneur qui secoue les esprits et casse les clichés …

  3. Avatar de M L
    M L

    Bonsoir!

    Je suis entièrement d’accord avec la réponse faite pas Monsieur Bougnoux; réponse que je trouve juste.

    Cette appréciation venant d’en bas mérite, bien sûr, d’être pour le moins « développée », si vous me permettez cette expression de feuille printanière.

    Dire non à la rue tonitruante, au tam-tam de la foule en colère qui défile, cela ne veut pas dire se mettre à côté sans comprendre la misère du dominé qui se tait, qu’on n’entend pas, qu’on n’écoute pas, qui n’ose pas parler, parce qu’on lui dit et fait savoir qu’il ne sait pas parler.

    Se mettre de côté, s’exiler chez soi…pour faire le premier pas. Mais un premier pas, c’est quoi exactement? me rétorquera sans doute, celui qui manifeste sous ma fenêtre car il n’arrive plus, le pauvre, à boucler ses fins de mois.

    Comment, mes bons seigneurs, lui donner une réponse vraie dans la rigueur de la langue écrite capable de soutenir les puissances d’une oralité dévastée par les avilissements marchands d’une novlangue numérisée, comme l’exprime si bien, l’écrivain Danielle Sallenave?

    Une réponse du peuple qui ne soit pas récusable, vous la connaissez dans vos milieux de gens bien endentés?

    Le sociologue pourrait, en l’occurrence, me donner un coup de pouce par cette assertion :

    « La puissance serait pour moi cet ordre de la souveraineté qui échappe d’une certaine manière à l’ordre du pouvoir et donc à l’ordre du politique. Cette nuance faite, je dirais que je convoquerais les dieux pour éclairer le social… »

    En pensant à une émission, écoutée, hier, sur une chaîne nationale de radio, je ne puis m’empêcher de citer « Le paysan de Paris » :

    « Il m’apparaît que l’homme est plein de dieux comme une éponge immergée en plein ciel. Ces dieux vivent, atteignent à l’apogée de leur force, puis meurent, laissant à d’autres dieux leurs autels parfumés. Ils sont les principes mêmes de toute transformation de tout. Ils sont la nécessité du mouvement. Je me promenai donc avec ivresse au milieu de mille concrétions divines»

    J’entends déjà la rumeur qui monte, monte …Reconquérir le sacré, mais tu rigoles pépère, laisse ces coquecigrues à la belle bourgeoise d’une chaîne privée de télé, qui gagne en un mois ce que tu touches en un lustre avec ta pension de retraite de croquant! Redonner du pouvoir d’achat et nous libérer du boulot, le plus tôt possible, c’est tout ce qui compte et c’est tout ce qu’on veut…Point final.

    Envoi péremptoire censé réduire à quia l’interlocuteur.

    Loin des champs et des rues qui brûlent, qui orra, bonnes gens, les cris d’un temple épars où le bûcheron d’Ésope qui n’est pas un bourreau de travail, cherche sa cognée perdue? Pas sûr que Jupiter, comme un prêtre dans la mine, entende le chant du peuple, empli de purs nectars!

    En cent jours avant l’approche bleue du vide, dans une espèce de nébuleuse divine, on ne sait jamais!

    Le hasard ou un sens caché du monde fait-il bien les choses?

    Selon le physicien, le professeur et l’artiste, les syntagmes « cris d’un temple épars » – « empli de purs nectars » – « Le sacre du printemps » sont des anagrammes, comme « l’approche bleue du vide » qui contient « l’épreuve de philo du bac ».

    Quant à l’expression « comme un prêtre dans la mine », ses lettres permutées font découvrir le prénom, le nom et la fonction de l’orateur élyséen, du 20 H à la télévision, ce jour, dix-sept de l’aprilée deux mille vingt-trois.

    M L

  4. Avatar de Jean Claude
    Jean Claude

    Il me semble en effet que ce concert de casseroles soit approprié à la situation que nous traversons, à ces non-débats parlementaires, à cet autisme gouvernemental, à cette impossible négociation démocratique. En effet la non-démocratie se porte plutôt bien en France, en Europe et de part le monde. Le problème posé ne peut se résoudre au niveau où il se crée sinon il reste sans solution.

    La déferlante non-démocratique traverse nos sociétés dites « plus civilisées » et même « à portée universelle ». Chez nous la démocratie représentative ne représente plus grand monde. Quant à la démocratie participative, cette illusoire aspiration, complètement à contre courant va d’échecs en échecs aux différents étages de l’organisation politique, du global au local. A cela « le sacrifice inutile » excellent livre de Paul Dumouchel (2011) caractérise bien que tout le monde vilipende le roi échu.

    Prenons un peu de hauteur et d’humilité. Les contre-pouvoirs se sont toujours ajustés au pouvoir en place, quel que soit l’étage organisationnel. Au niveau mondial les régimes autoritaires s’installent sur le long terme, 20 ans et plus. Comment un régime démocratique qui se régénère tout les 4 ou 5 ans peut-il peser ? En France les anciens partis « dits de gouvernance » se sont effondrés et comme les syndicats ne représentent plus grand monde. Trois blocs s’opposent brutalement, sans écoute ni négociations. Dans toute résolution de conflits, le premier pas consiste à créer la volonté de se mettre d’accord. 0 toute échelle ce n’est plus le cas.

    Portons un autre regard, plus technique sans doute. La pratique démocratique exige le temps long, celui de la recherche de compromis pour résoudre des problèmes interdépendants et sans solutions objectives. Les dirigeants sont soumis à des rythmes de vie effrénés, les dopants sont de mise et le burn-out n’est pas loin. Notre président avait-il encore de l’énergie pour s’engager dans une campagne électorale pour son second mandat ?

    Les pratiques démocratiques représentatives ou participatives exigent que le citoyen ajuste sa carte du monde en intégrant les multiples bifurcations « catastrophes – métamorphoses » qui caractérisent notre situation présentes. Pensée systémique, prise en compte des dialogiques des interdépendances et l’impossible prévision ce ce qui va advenir rendent la mission impossible pour les citoyens comme pour les gouvernants et les opposants. Depuis des lustres les dirigeants d’entreprises comme les gouvernants valident des décisions qui ont été élaborées par des machines intelligentes. Les systèmes d’informations ont pris une grand part du pouvoir. Le personnel intermédiaire est devenu le surveillant de ces machines.

    Je viens de regarder le film « je verrai toujours vos visages », bouleversant documentaire mal frictionné sur la fin, très pertinent dans les postures analysées. Édouard Durand en a effectué une critique fort négative dans le journal Le Monde. Il me semble que la violence individuelle est fort représentative des violences politiques. Un film identique pourrait promouvoir les possibles justices réparatrices ou restauratrices. Le chemin sera long et sans doute tout aussi douloureux.

    Jean Claude

    1. Avatar de Daniel Bougnoux

      Merci chers amis (Jean-Claude, ML, Anetchka, JFR…) de vos précieux commentaires. Je signale, n’ayant pu l’inclure dans le texte principal, un précédent billet de ce blog qui remonte aux Gilets jaunes, automne 2018 donc, intitulé « La Manifestation à l’assaut de la représentation ». On peut l’atteindre en cliquant sur ce lien : https://media.blogs.la-croix.com/la-manifestation…a-representation/2020/06/03/

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

À propos de ce blog

  • Ce blog pour y consigner mes impressions de lecteur, de spectateur et de « citoyen concerné ». Souvent ému par des œuvres ou des auteurs qui passent inaperçus, ou que j’aurai plaisir à défendre ; assez souvent aussi indigné par le bruit médiatique entretenu autour d’œuvres médiocres, ou de baudruches que je…

    Lire la suite

À propos de l’auteur

  • Daniel Bougnoux, professeur émérite à l’Université Stendhal de Grenoble, est ancien élève de l’ENS et agrégé de philosophie. Il a enseigné la littérature, puis les sciences de la communication, disciplines dans lesquelles il a publié une douzaine d’ouvrages.

    Lire la suite

Les derniers commentaires

  1. Bonjour ! De grâce, Messires, appelez-moi « MADAME » ! Quèsaco ? Eh bien, prenez le moi de « Me » Too…. Mettez la…

  2. N’ayant pas encore lu le dernier livre de Caroline Fourest ni entendu l’émission d’Alain Finkielkraut, j’en étais restée aux passages…

  3. Bonjour ! J’ai quitté ma caisse tardivement, hier soir, et le temps de faire les courses, impossible de trouver un…

  4. J’ai capté moi aussi ce matin, un peu par hasard, l’émission « Répliques » d’Alain Finkielkraut et son dialogue avec Caroline Fourest…

  5. J’écoutais ce matin Caroline Fourest au micro d’Alain Finkielkraut dire que ce que dénonçait le slogan — devenu mouvement –…

Articles des plus populaires