Arielle Dombasle, princesse maniériste

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Je ne sais si je me serais déplacé pour voir le dernier film d’Arielle Dombasle, Les Secrets de la princesse de Cadignan, tiré d’une nouvelle de Balzac, mais l’Officiel des spectacles annonçait la venue de la réalisatrice au cinéma de l’Arlequin, en matinée, pour une présentation qui s’annonçait piquante – je m’y suis donc rendu.

La salle était comble pour cette projection de son neuvième film, qu’Arielle présenta brièvement avant de nous quitter sans attendre, car elle devait le soir même dormir dans une île de la côte bretonne, et le train puis le bateau à prendre avant la tombée de la nuit exigeaient sa fuite…

Notre salle à vrai dire n’était pas composée au hasard, mais surtout peuplée des Amis de la Société Honoré de Balzac, qui faisaient avec la présentatrice-réalisatrice (et actrice, par ailleurs chanteuse, danseuse et meneuse de revue…) un curieux contraste. D’un côté en effet, de gris universitaires ou des chercheurs blanchis sous le harnais, finement poudrés de la poussière des livres ou des amphithéâtres où s’exerce leur métier de scoliastes, espèce de gens pointilleux, ennuyeux, facilement querelleurs, peu disposés à se voir doublés dans leur spécialité par une aventurière… De l’autre une ondulante sirène aux accents chantants, serpentins. « La » Dombasle qui en frissonne encore nous raconta comment elle avait longuement pris un bain dans Balzac, et quel plaisir raffiné fut le sien de réaliser ce film en costumes, au casting impeccable : Cédric Kahn dans le rôle de l’austère Daniel d’Arthez, Julie Depardieu dans celui de la marquise d’Espard, confidente et rivale, Olivier Py en baron Nucingen (rugueux accent teuton), ou Michel Fau, très convaincant en Balzac lui-même, avide de se mêler aux aventures de ses propres créatures et de marauder parmi les lieux de l’intrigue…

Les calèches à cheval, les palais d’où la princesse ruinée attend son expulsion, le catalogue des hommes successivement conquis (mais non aimés) dont ce Dom Juan femelle feuillette les portraits, avant de les jeter à la flamme d’une cheminée, les soirées d’Opéra brillamment reconstituées, le chant, une coquetterie partout éparpillée, les courses-poursuites entre les chambres, les pointes et les saillies de langage…, tout cela fait un film charmant de légèreté et d’élégance. Comme les peintres et les architectes maniéristes du XVIe siècle, Arielle connaît assez son métier pour le surjouer, dans un théâtre enivrant où le dynamisme des formes, la volupté du jeu et de la manière supplantent l’intrigue ; elle renvoie aux professeurs sévères et aux gardiens des livres une surenchère ironique, qui les bouscule ; l’amour lui-même n’est qu’un régisseur de théâtre qui frappe quand il lui plaît les trois coups, les personnages façonnés par Balzac ne sont pas gravés dans le marbre, et ne demandent qu’à s’émanciper dans un débordement joyeux…

En bref la délicieuse, la déliée apparition d’Arielle en prélude à son film, de sa voix flûtée nous a versé du champagne avant qu’elle-même ne s’éclipse, en nous faisant l’esquisse d’un petit cygne de la main – « Je suis belle ô mortels comme un rêve de pierre »…

3 réponses à “Arielle Dombasle, princesse maniériste”

  1. Avatar de Gérard
    Gérard

    Alors notre maître marivaude dans le monde – le grand monde, évidemment !

    La belle s’en est allée en Brocéliande sans oublier de faire un petit signe à son public averti.

    Comment ne point penser – et le randonneur nous met sur la voie – à ces vers de La beauté des Fleurs du mal ? :

    « Je trône dans l’azur comme un sphinx incompris ;
    J’unis un cœur de neige à la blancheur des cygnes ;
    Je hais le mouvement qui déplace les lignes,
    Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris. »

    Elle nous reviendra peut-être quand « En hiver, il ira dans le désert libyen »

    N’est-il pas étonnant de lire dans les lettres transposées de ce syntagme de huit mots :

    « Les initiales de Bernard-Henri Lévy » ?

    Quelle princesse des contes, à sa manière bleue, peut encore faire rêver dans les chaumières ?

    Notre fraîche Nobel de Suède qui danse avec les électrons…?

    Moi, je ne vois rien venir et en bas…Rien ne va plus !

    Peut-on encore, dans le noir, garder une once de folle espérance ?

    Gérard

    1. Avatar de Daniel Bougnoux

      Incroyable anagramme cher Gérard, comment faites-vous pour arranger tout ça ? Plus fort que Turing brisant le code Enigma !… Je ne sais ce qu’en penserait mon ancien ami BHL, s’il tombait jamais sur ces lignes ? Mais il y a bien longtemps que j’ai rompu avec BHL, et non, je ne fréquente pas « le grand monde ». Celui de quelques livres et amis choisis, les alpages aussi, quelques randonnées à vélo dans cette province retirée, me suffisent…

  2. Avatar de Jacques
    Jacques

    Nous sommes, ce jour, le 6 octobre. Je trouve à la fin d’un livre que Marcel Jullian, m’avait offert, avec une bien belle dédicace, datée du 6 octobre 1995, ces mots de Jules Romains :

    « Les Hommes de Bonne Volonté !

    Une antique bénédiction va les chercher dans la foule et les recouvre. Puissent-ils être, encore une fois, un jour ou l’autre, rassemblés pour une « bonne nouvelle », et trouver quelque sûr moyen de se reconnaître, afin que ce monde, dont ils sont le mérite et le sel, ne périsse pas. » (Les hommes de bonne volonté -Le 6 octobre- )

    Ah, le grand monde ! Une chose est certaine, cher ami randonneur, le public qui a pu apprécier le charme de la demoiselle aux élytres bleutés, ce jour-là, virevoltant sur la noble assemblée, était comme on dit, du « beau monde » et parmi les spectateurs, combien de paysans retraités de la France profonde, combien de caissières de supermarché, combien d’ouvriers métallurgistes, combien d’éboueurs, pour écouter Mme Lévy?

    Oh, que nenni! Ce serait une grave erreur de vous classer au sein d’une caste que vous abhorrez, vous qui piquez Monsieur Tout-le-Monde en l’habillant de ses lettres pour lui rappeler sans maudire : « Tu es le mouton endormi ».

    Quid de ce réveil dans la nature que Monsieur Bachelard appelait de ses vœux, mon bon Seigneur?

    Mais revenons à la princesse et à ses secrets.

    L’ouvrage paraît le 28 septembre 1844, à Paris, chez Furne, dans La Comédie humaine, tome XI, au tome III des Scènes de la vie parisienne. La duchesse Diane de Maufrigneuse est une grande dame sous La Restauration, célèbre mondaine intelligente et « calculatrice », comme on dit maintenant.

    Elle finit par prendre le bras de Daniel D’Arthez de la façon la plus simple, et lui de presser celui de la princesse, ne trouva rien à répondre.

    Icelle dira de Lucien de Rubempré (après sa mort) qui fut admis au Cénacle, comme Michel Chrestien :

    « C’était un Antinoüs et un grand poète ».

    Don Juan mâle ou don Juan femelle, comment résister à toutes leurs simagrées ?

    Lysistrata ou Dalila, Athènes ou Jérusalem ? Au delà sans doute, une autre histoire, une autre leçon « de la démocratie » dont les lettres interverties nous révèlent tout un « art de la comédie ».

    Encore faudrait-il en s’aventurant vers cet au-delà incertain, ne pas risquer les flammes du bûcher ou la chute d’Icare.

    Quand le mot « sorcière » s’empare des gens de bonne compagnie, faut marquer la distance, chers amis.

    On ne sait jamais, que diable !

    Jacques

    Donné le 6 octobre deux mille vingt-trois

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À propos de ce blog

  • Ce blog pour y consigner mes impressions de lecteur, de spectateur et de « citoyen concerné ». Souvent ému par des œuvres ou des auteurs qui passent inaperçus, ou que j’aurai plaisir à défendre ; assez souvent aussi indigné par le bruit médiatique entretenu autour d’œuvres médiocres, ou de baudruches que je…

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À propos de l’auteur

  • Daniel Bougnoux, professeur émérite à l’Université Stendhal de Grenoble, est ancien élève de l’ENS et agrégé de philosophie. Il a enseigné la littérature, puis les sciences de la communication, disciplines dans lesquelles il a publié une douzaine d’ouvrages.

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