Le 7-10 de France inter, mercredi 20 décembre, promettait à son invitée vedette, la Première ministre, un moment difficile : Boris Vallaud le député socialiste des Landes venait avant 8 h de lui savonner la planche, en dénonçant avec beaucoup de panache, et une indignation bien sentie, le compromis que venait de passer le gouvernement avec le Rassemblement national, qui ne se privait pas en effet, depuis la veille, de claironner sa propre victoire… Comment un tel revirement, ou reniement de ses principes, étaient-ils possibles ? Ou, plus brutalement posé par le député, « vous n’avez pas honte ? ».
Après une telle introduction, on se disait que Madame Borne ne tiendrait pas longtemps sous le feu des attaques, et que cette émission préparait sa descente aux enfers…
On vit le contraire, et le contraste était saisissant entre les mots, toujours courtois mais pugnaces, de Léa Salamé et Nicolas Demorand, et les réponses très calmes, fermes et mesurées de la Ministre. C’est qu’elle avait, comme elle le répéta, « mouillé sa chemise », pesé et discuté mot-à-mot les termes de l’accord, et que sa connaissance d’un dossier très complexe (et des péripéties de son parcours) dépassait forcément celle des deux journalistes. Prompts à l’indignation, ceux-ci soulevaient des objections semblables à celles que venait d’exprimer Boris Vallaud ; de son côté, Elisabeth Borne prétendait « répondre aux attentes des Français », et cette profession de foi est revenue peut-être vingt fois au cours de l’entretien. La politique serait-elle chose plus compliquée que la parole médiatique ? Entendions-nous d’un côté ceux qui commentent l’événement dans le confort de l’après-coup, ou d’un moralisme énoncé d’en haut, et celle qui jour après jour affronte un réel toujours rugueux, à coups de nécessaires compromis ?
Cette loi est populaire, disait-elle en substance, nous n’avons fait qu’entériner un vœu majoritaire… Et elle formulait calmement son sentiment d’un « devoir accompli », même si quantité d’ajustements et de précisions restent à venir de la part du Conseil constitutionnel. Double, et terrible, aveu d’impuissance : le devoir d’un gouvernement ou d’un chef politique est-il de coller ainsi aux attentes des gens ? Et, s’il faut corriger des dérives inacceptables, de refiler à d’autres la patate chaude en s’en remettant au discernement du-dit Conseil ?
Cette loi sur l’immigration, vieux serpent de mer, demandait évidemment à être enfin clarifiée, et mieux encadrée. Partie d’un texte inspiré, au Sénat, par les LR et le Rassemblement national, Elisabeth Borne insista sur le travail de tri opéré par le gouvernement, leurs discussions pied-à-pied en très peu de jours, et elle dit sa satisfaction de disposer désormais d’un meilleur outil pour intégrer les étrangers qui adhérent aux valeurs de la France, qui viennent pour y travailler ou y étudier, et se débarrasser de ceux qui ne font que nous haïr, ou vivre de nos prestations.
Je n’ai pu entendre Emmanuel Macron s’exprimer sur ces mêmes sujets dans son entretien télévisé de deux heures sur la 5, mais je suis de ceux qui pensent avec Boris Vallaud, ou François Ruffin, que ce n’est pas en pourrissant la vie des immigrés qu’on les dissuadera d’entrer sur notre sol. Quels sont en effet les ressorts de leur intégration ? L’obtention d’un travail, la fréquentation de l’école et de l’Université. En compliquant les accès à l’un comme à l’autre, va-t-on favoriser cette intégration tant vantée, ou au contraire la retarder ?
La morale (ou une vertueuse indignation) coule à flot dès qu’on aborde ces questions ; qui ne frémit au spectacle des tentes aujourd’hui dressées dans Paris jusque devant les vitrines de Noël de nos grands magasins, en songeant à l’itinéraire de ces familles qui, pour se retrouver dans cette misère, ont dû traverser dans quelles conditions l’Afrique, puis la Méditerranée ? Au nom de quel égoïsme sacré refuser notre accueil, ou en restreindre les conditions ? Oui, mais 70 % des Français sont d’accord pour penser que trop d’immigrés ne font que profiter de nos allocations (familiales, sociales, médicales…), une charge que ne justifie pas assez en retour la contrepartie d’un travail. Et bien sûr les meurtres de Dominique Bernard à Arras, ou de Samuel Paty, n’encouragent pas au laxisme ni à l’angélisme. Il est urgent de faire un tri entre les demandes d’asile, mais sait-on bien distinguer entre les « gentils » et des « méchants », pour le dire avec Gérald Darmanin, comment mieux suivre les arrivants ?
Le gouvernement n’a pas cédé aux sirènes du Rassemblement national, martela Elisabeth Borne qui dénonça la forfanterie de ses dirigeants, leurs postures de girouette et leurs mauvais tours de « garçon de bain » ; l’accord signé mardi pouvait arithmétiquement se passer de leurs voix… Oui mais il est gênant que, comme le RN, notre gouvernement s’oriente ou finalement se guide en épousant l’opinion de ces 70%. Car il existe inversement une minorité de Français qui, à travers tout un tissu associatif d’aides, de conseils, d’hébergements, portent secours aux migrants, par exemple au col de l’Echelle où on les aide à passer la frontière entre l’Italie et la France, et à Briançon où on les abrite – je connais quelques-uns de ces secourables bergers. Comme on aimerait voir le couple de l’exécutif s’inspirer de cette généreuse minorité, plutôt que de calquer ses préférences sur une opinion certes majoritaire mais toujours suspecte de xénophobie !
Gouverner c’est prévoir, a-t-on coutume de répéter ; gouverner, ce n’est pas suivre mais devancer, préparer, frayer un chemin inédit, ne pas s’arrêter aux évidences de l’opinion. Tâche évidemment délicate puisqu’il faut aussi une forte dose d’écoute, et de popularité, pour bien gouverner.
« Nous avons répondu aux attentes des Français »… Sur la question ô combien épineuse du traitement de l’immigration, un gouvernement équitable devrait faire preuve de plus d’imagination (et de pédagogie pour combattre les idées reçues), au lieu de suivre ou d’entériner celles-ci. Quelles étaient les attentes des Français, en juin 1940 ? Ou en 1981, face à la question de la peine de mort ? Il n’y aurait pas eu d’abolition de celle-ci, ni de Résistance, si des voix d’abord impopulaires et forcément minoritaires n’avaient tracé un autre chemin.
Laisser un commentaire