Lettre aux nombreux amis

Publié le

Vous êtes venus en masse, très chers amis, accompagner Brieuc et nous entourer à la cérémonie si douloureuse du funérarium, où votre présence nous fut indispensable. Je nous revois, Françoise et moi, recevant vos mots balbutiés quand tout fut fini ; le rideau des larmes ne vous empêchait pas de nous toucher, de nous embrasser, et c’était l’essentiel. Plusieurs venaient de Bordeaux, de Marseille, de Paris, que nous connaissions à peine, « pour Brieuc j’aurais traversé l’Atlantique » nous confia Guillaume qui arrivait de Bruxelles où il travaille à la Commission européenne, et y repartait le soir même.

UnknownFleurs déposées par Louise sur ce blog

La salle du funérarium ne contient que deux-cents places (dont cent-cinquante assises) et vous demeuriez nombreux au dehors, à stationner devant les baies vitrées d’où le haut-parleur diffusait la cérémonie. Pourquoi venir parfois de si loin quand on a si peu à dire – car la mort coupe presque totalement la parole, et les mots de condoléances se ressemblent ? J’ai songé que votre foule était semblable à une manifestation ; dans la manif aussi on ne sait trop quoi dire, une fois épuisés les slogans, mais ceux qui payent de leur personne pour descendre dans la rue bouillonnent d’une colère ou d’une émtion essentielles, qui s’articulent moins qu’elles ne se montrent. J’y suis en personne, clame le manifestant, et c’est ma présence qui compte (et que les reportages comptabiliseront contradictoirement, 100000 prétendront les organisateurs, 20000 corrigera la Préfecture de police…). Une manif ne pense pas, elle pèse ; excédés des jeux symboliques de la re-présentation (syndicale, parlementaire ou médiatique), les intéressés court-circuitent celle-ci par leur présence physique, irrécusable, en obstruant les rues, la routine ou le train-train ordinaires.

On a beau échanger des lettres, des couriels ou des coups de fil, voire envoyer des fleurs, il arrive de même un moment dans les affaires humaines où ce qui compte vraiment, c’est d’y être pour quelqu’un, au-delà des mots et de tous les signaux équivoques de la présence. « Pour Brieuc j’aurais traversé l’Atlantique » – point barre ! Tes funérailles ont pesé lourd, tu as « entraîné » cet après-midi là (il y a deux semaines aujourd’hui) deux-cent cinquante à trois-cents assistants, parmi lesquels Michel Destot, lui-même ému car grand montagnard, et sept ou huit élus du Conseil municipal.

La frustration de ceux qui viennent en foule est intense, évidente car quoi se dire, quoi faire dans un moment pareil face au cercueil, au trou de terre ? Et pourtant cette incapacité révoltante semble justement la chose même à montrer, à manifester : on accourt à l’enterrement du mort pour constater qu’il est trop tard, qu’on n’y peut plus rien ; l’élan de la vie, son ressac s’arrêtent là, au bord de cette boîte vernie. Les témoignages bouillonnent, balbutient et refluent en larmes, en gestes inaboutis : nous ne montrons ou n’échangeons, réciproquement, que notre incapacité, notre vulnérabilité ou notre stupidité devant l’irréparable. Nous n’aurons su dire, ou pu faire, nous n’aurons donc été que cela. La maladresse, l’étranglement de la voix deviennent l’essentiel du message ; des condoléances réussies seraient nécessairement maladroites ou ratées. Comme serait suspecte de fraude une déclaration d’amour trop élégante ou fleurie. Et c’est pourquoi les paroles que m’inspire la berceuse de Cohen me hantent, nous sommes tous des bébés face à ta mort.

Tous les messages (très nombreux) que nous recevons ne franchissent pas l’épreuve de l’authenticité. Avant de ranger ces lettres dans une boîte, j’y réponds par un faire-part montrant Brieuc souriant, entouré de sa femme et de ses fillettes ; quand l’adresse manque, j’envoie sa copie numérique par mail mais je sais que le chagrin veut du grave, du lourd (une lettre dûment affranchie), et que les échanges d’octets ne valent pas le papier. Classer ces lettres ? Des plus touchantes aux plus détachées ? Certain messages frappent en effet par leur froideur, leurs formules convenues. Combien disent « s’unir par la pensée » mais dont nous sentons bien, sitôt ces mots écrits, que leur conscience va bifurquer, s’alléger de ce fardeau inutile ? Car que veut dire s’unir ? « En pensées » ?

Je ne crains pas, écrivant ceci, de froisser tel ou tel car les lecteurs de ce blog font justement partie du premier cercle, de ceux qui accompagnent et qui cherchent Brieuc au-delà des mots et des images que je m’efforce ici de trier. D’articuler. « Obsèques », ce beau vocable tiré du latin désigne le cortège de ceux qui méditent et qui pleurent. Qui cherchent Brieuc… Oui, d’une certaine manière ceux qui portent son deuil n’arrêtent plus de le guetter, le cœur battant au moindre signe, comme sa petite Alice (deux ans) sursautait dès qu’il avait quitté la pièce, « où il est Papa ? ». Nous cherchons Brieuc, nous n’arrêterons plus de te chercher. Tes photos (qui affluent elles aussi en grand nombre) m’étonnent, Brieuc en rando, Brieuc dans les soirées d’amis, nous te découvrons différent là où nous ne pouvions te suivre. Nous mesurons la profondeur ou la diversité de ta vie, qui ne nous était pas réservée.

L’intérêt de ce blog – que Françoise dans son grand désespoir a pu me reprocher – est de maintenir autour de toi une espèce de chapelle ardente. Beaucoup viennent y piquer leurs fleurs, leurs cierges, ajouter un mot ou une image, cela finira par faire une prairie votive, une tapisserie tissée de pensées et de baisers (merci Louise pour cette « jachère, véritable tourbillon de fleurs en liberté. Elles sont dans ma Charente aimée, mais je ne sais pourquoi, elles m’évoquent aussi les prairies en montagne que je ne connais pas. Vous savez mon amour des photos, c’est donc pour moi de « vraies fleurs » que je dépose sur la tombe de Brieuc, avec toute mon affection »). Merci d’avoir déposé à côté de notre chagrin un peu de ton propre deuil.

Les deuils font la chaîne, ils s’épanchent entre eux et s’épaulent ; le partage est la seule issue. Que partageons-nous si intensément, si maladroitement au cours de ces jours sombres sinon la conscience de notre propre finitude ? Nous vacillons au bord du néant mais nous savons que pour quelques temps encore notre vie désigne l’ensemble des forces qui lui résistent, qui retardent l’engloutissement. Les fleurs disent cela à leur manière, quel éclat provisoire ! Mais après quinze jours, il va falloir jeter à la voierie ces merveilleux bouquets. « Passe, oiseau passe, et apprends-moi à passer ! » (je re-cite Pessoa) Fleurs, larmes, amis, apprenez-nous à perdre, à nous déprendre…

IMG_3363Avec Mathilde à Herbeys

L’amitié, l’amour véritables ne sont pas forcément des ajouts ; ils creusent en nous, ils nous fragilisent et nous rendent friables. Vieillir, pleurer un mort ou le veiller, c’est aviver la conscience de ce qui éperdument nous manque, l’évidence du vide au cœur du tourbillon de nos vies.

7 réponses à “Lettre aux nombreux amis”

  1. Avatar de Daniel Bougnoux

    J’aimerais insérer ici, avec l’accord de nos amis, certaines lettres qui nous ont particulièrement touchés. Voici pour commencer un mail de Bernard Pouyet, reçu le soir des funérailles.

    Cher Daniel, chère Françoise,

    Depuis samedi et cette annonce impossible à concevoir de la mort de Brieuc, les souvenirs affleurent, qui nous rendent Brieuc présent et qui nous ramènent vers vous.
    Souvenir de cet été, à Barcaggio, où alors que je le félicitais pour sa réussite au Capes, Brieuc me disait, avec une prudente modestie, que pour l’agrégation rien n’était acquis. Je le détrompais, parce que je savais le brillant parcours qui avait été le sien en économie. Surtout, je mettais en avant la maturité qu’il avait acquise, qualité dont à son âge on n’imagine pas qu’elle vaut toutes les révisions de concours. Je lui disais ma confiance sur son résultat futur, tout simplement parce, pour moi, c’était une évidence qu’il réussirait. Avec Brieuc, beaucoup de choses étaient une évidence.
    Souvenir de ces WE à Izoard, où avec une petite fille, puis avec une seconde, Brieuc et Mado étaient là. Pour nous, ce n’était pas prévu et c’était toujours une agréable surprise. Rencontres avec une autre génération mais rencontres où la relation était directe. J’ai en mémoire des repas où nous avons beaucoup discuté et beaucoup ri. Soirées qui se prolongeaient le lendemain par ces balades à Névache, où le propos était plus grave autour des activités professionnelles vécues intensément par Brieuc et Mado.
    Je ne sais pas si cela a du sens de dire qu’une cérémonie est belle, mais cet adieu d’aujourd’hui à Brieuc était en résonance avec sa beauté, physique, intérieure ; beauté de son prénom aussi, un prénom rare qui paraissait n’appartenir qu’à lui seul.
    Ce que vous avez dit, toi Daniel, tes enfants, Mado, vous tous, permettait de retrouver tout ce que l’on savait déjà de Brieuc et plein d’autres choses que l’on devinait de ce qu’il était.
    Alors maintenant, vous avez vos enfants, Mado, vos petits enfants, tous vos amis. Ensemble, nous ne vous ferons pas oublier Brieuc, mais chacun de nous, à sa manière, voudra vous donner la force pour que Brieuc vive en vous.
    Que le message que vous avez fait passer aujourd’hui autour et au travers de Brieuc, vous assure que vous avez réuni tout l’amour qui vous aidera.
    Je vous embrasse.
    Bernard

    Et voici une lettre de Chantal Saragoni :

    (…) On ne peut pas presser le temps. On ne peut pas non plus le ralentir. Au-delà du barrage, lorsque, par la force du malheur, il a sauté, il faut qu’il s’écoule, qu’il cogne contre les pierres, qu’il rabote les rives. Puis son cours sera de plus en plus calme. Non immobile, mais calme. Les minutes cesseront d’être, au point où elles le sont aujourd’hui, douloureuses.
    Je souhaite, trop tôt aujourd’hui, que ce temps-là arrive pour vous. Pour Françoise et toi. Et pour tous les proches qui souffrent tellement de la perte de Brieuc.
    À la mort des êtres chers, nous pleurons, nous crions même, parce qu’ils nous manquent cruellement. Nous manque de les voir, les toucher, de converser avec eux, de suivre leur avancée dans la vie, même en nous opposant à eux parfois… Nous manquent les signes de la relation. Mais en vérité, ce dont nous sommes alors privés, et qui nous rend si malheureux, c’est du ressenti des signes habituels de la relation. Lisant ce que tu écris, je vois que Françoise et toi, et Pascale, et Sylvain, et d’autres, vous entrez, et avez la volonté d’entrer, dans l’expérience des autres signes, par quoi se prolonge la relation : vous parlez de Brieuc, il est présent lorsque vous êtes ensemble, et aussi lorsque seul, chacun de votre côté, vous pensez à lui, vous ravivez des saveurs précises, nettes, singulières, de cette relation que vous avez eue avec lui. L’absence d’un être cher, cette absence radicale produite par la mort, n’est pas sa disparition, n’est pas un anéantissement. Seule sa présence physique n’est plus constatable. Mais il faut le dire et le répéter à ceux qui entrent douloureusement dans cette expérience de la mort de l’autre, l’absence n’est pas la fin de la présence de quelqu’un. Certes, il n’y a plus de réponses, au moins tangibles, aux mots et aux regards que nous lui adressons. Mais reste et prend alors toute sa place, sa « présence d’être ». Non plus sa présence physique, mais sa « présence d’être ». Dans la douce attention à celui qu’on ne voit plus, on découvre que ce qui émanait de lui continue à venir vers nous. Ce qu’il a été de meilleur continue à s’exhaler en nos vies. Et il semble qu’il y ait eu beaucoup de ce « meilleur » en Brieuc. Cette rencontre-là, l’afflux en vous de ce « meilleur de lui » vous irriguant, ne s’interrompt pas.
    Il est curieux pour moi de constater combien la réalité maximale, celle de la mort de l’autre, me fait passer alternativement par l’impact du coup puis par l’irréalité du même fait… ainsi pendant des jours… et encore aujourd’hui, même distante de Brieuc, c’est cela que je traverse. Il se peut que vous viviez cela également, sauf que la meurtrissure est tellement plus forte pour vous…
    Sara

    Et nous avons reçu aussi ce mail de Patrick P. :
    Chers amis
    Je vous écris d’ailleurs, d’un lieu que vous avez quitté ,d’un monde de
    gens sans trop d’histoires sans trop de deuils que ceux des disparus
    partis trop tôt que nous aimions tendrement mais qui s’en sont allés
    suivant presque  » l’ordre des choses « , je vous parle d’un monde où l’on
    s’intéresse encore à des faits dérisoires, des débats, des résultats
    sportifs, des recettes de cuisine, où l’on pratique des activitès
    futiles, des sports inutiles, où l’on s’angoisse pour un absence, un
    retard, une voix bizarre « elle n’avait pas une bonne voix ,qu’est-ce
    qu’elle nous cache ? » .Nous continuons à vivre avec la maladie toujours
    possible ou déjà présente, cernés de plus en plus mais c’est la vie n’est
    ce pas ?
    Pourtant sachez que, entre les fils de cette vie-là, je lis votre blog
    tous les jours et que je suis bouleversé par cette mise en forme de votre
    souffrance, que vivre au jour le jour avec vous ce déchirement, ce
    paradigme de douleur qu’est la mort de votre cher Brieuc, que lire
    certaines phrases écrites avec vos larmes me donne l’impression d’être auprès de vous, même ni nous sommes loin du cercle de vos intimes.
    Je sais que tout ceci est fugace et que vous restez bien seuls dans votre
    barque et que nous sommes sur la rive des vivants « sans trop d’histoires »,
    mais que petit à petit le temps passant vous nous rejoindrez où alors ce
    sera peut être à notre tour de partir .
    Sachez simplement qu’il y a beaucoup de lecteurs sensibles à votre
    terrible chagrin et que cette forme littéraire inédite, cette lutte des
    mots au jour le jour contre l’absence nous aide aussi .
    Voilà, je pose simplement ces petites phrases sur vos épaules et je vous
    embrasse.
    P.P.

    Et ce souvenir en forme de lettre postée par Philippe Morier-Genoud :

    Cher Brieuc,

    C’est un jour de soleil. La route en travaux qui mène au domicile de tes parents, je ne sais pourquoi, flotte dans mon souvenir comme dans le nuage de poussière qui nimbe de blanc ce jour-là l’atmosphère et ta rue. J’appuie mon vélo sur une palissade, ou plutôt, je ne sais plus… je gare ma vieille 4L le long d’une haie vive, derrière une autre 4L. Je me présente sous le porche d’entrée resté dans l’ombre et je sonne rue des Trois-Épis …
    Le carillon t’a arraché à la lecture d’une bande dessinée. Quelle aventure lisais-tu au juste ce même jour, quand, Daniel et Françoise absents, tu surgis, comme venu d’ailleurs, ensommeillé presque, traînant ton pas jusqu’à la porte pour l’ouvrir, tout englouti dans tes images de prédilection ?

    Je revois ta frimousse alanguie d’enfant calme glissant dans l’empire merveilleux de l’insouciance. Je n’avais plus, moi, le temps de t’imiter mais je t’enviais ce matin-là où je pénétrai dans votre maison débordante, je suppose, comme toutes les maisonnées, des accords ou des désaccords familiaux, où il ne faut pas cacher que quelquefois « ça grippe et ça ripe » entre frères et sœurs, pour rien, embarquant les broutilles dans l’éclat retentissant de la mauvaise humeur.

    En râlant on court se réfugier dans sa chambre, on se jette sur le lit ; on mord les draps de rage, on a trépigné avant de renverser d’un coup de pied furieux sa chaise… Dehors l’orage crève ; les dernières gouttes de pluie finissent d’inonder le plateau d’une table de Pingpong… Plus tard, dans la fraicheur retrouvée de la terrasse, sur une mélodie et les rythmes d’Indochine, à la lumière des bougies on esquisse, pardon, on dépose sur l’abondante et rebelle chevelure d’une sœur secrètement choyée un baiser de paix :
    « Au fait…Pascale, bon anniversaire !… Regarde, avec Sylvain on ne savait pas ce qui te ferait plaisir… Alors on t’a acheté ce tube de rouge à lèvres… Comme çà tu pourras frimer avec tes potes quand tu iras voir à la « Macul » ton prochain spectacle…Et n’oublie pas non plus ton mascara waterproof pour la piscine ! ».
    Françoise et Daniel s’affairent en cuisine. « Tiens Philippe, tu restes ? On prend un verre ! Mais oui. »

    Quand j’ai appris le sombre travail de l’avalanche dans ce couloir qui t’a conduit à la mort, ma lettre s’est évanouie : dissoute aussitôt dans la masse neigeuse et tueuse pour te laisser revenir à l’état de silence au fond du cœur. Je ne pus pas même souhaiter que Miss Toutoune, la grande Terre-Neuve au pas nonchalant mais sûr, au pelage noir, épais comme une nuit de joie, troquant son pédigrée noble et marin pût se risquer (comme elle le faisait souvent dans vos jeux) sur l’abrupt, à tes côtés, pour te venir en aide comme un ange gardien, métamorphosée en Saint-Bernard !
    Alors…
    Ce soir, je m’adresse à toi en deçà et au-delà de ta fatale absence. J’ai lu les différents rapports et entendu les circonstances qui t’ont entraîné dans la mort. Et je pense à l’homme que je n’ai pas revu depuis son enfance grenobloise à la Villeneuve. Je vais à la recherche de ton portrait avec les bribes du passé et dans l’instant où le regard se tourne sur lui-même, en dedans, je te réinvente et tu vis.

    Je te vois tourner les pages de l’album où sont inscrites tes joies ; je pense à ta compagne, Mado, demeurée seule dans l’hébétude dégageant tes épaules meurtries ; à votre art de parents ; à la grâce enfantine de deux fillettes rivées au pourquoi d’une question sans réponse. Comment souffleront-elles maintenant, Mathilde et Alice, les bougies de tous les anniversaires ? Et je sais Françoise et Daniel, tes père et mère, tes frère et sœur, tous vos amis, laissés dans l’abattement et la consternation avec à foison les mots qui manquent à l’endroit où la mort a frappé.

    Un cri dans l’aube pourra-t-il jamais renouer le fil rompu d’une existence ? On sait bien que non … mais rien n’empêche que chaque nouveau rayon du soleil perçant la nuit finissante au sommet d’un pic enneigé et de glace endeuillé, au nom de tous les disparus de la neige, prononce à ton endroit le tien, cher Brieuc, et batte de ton regard.

    Philippe Morier-Genoud

  2. Avatar de Asia
    Asia

    Je reprends vos mots si justes, « l’amitié, l’amour véritables ne sont pas forcément des ajouts ; ils creusent en nous, ils nous fragilisent et nous rendent friables ».
    Pourtant ce sont bien l’amour et l’amitié qui élèvent le plus notre humanité. Et en cela ils ajoutent à nos vies rien moins que l’essentiel. C’est à l’aune de cet horizon qu’il vaut la peine de vivre malgré tout, malgré la mort qui, en frappant ceux que nous aimons le plus, nous fait chanceler, nous terrasse et nous disloque. En nous imposant sa grande évidence, à nous qui ne cessons de la négliger.
    Il faut, comme vous le faites, Daniel, plonger et se replonger dans les souvenirs familiaux, les accueillir tous avec reconnaissance. Lire et écrire à propos de la perte, mais aussi et surtout à propos de « ce lien qui ne meurt jamais » (Lytta Basset).
    Il y a deux au-delà des larmes : le désespoir aux yeux secs (d’avoir trop pleuré), et l’apaisement aux yeux encore humides (d’avoir assez pleuré). C’est celui-ci que je vous souhaite, quand le temps sera venu.

    1. Avatar de Daniel Bougnoux

      Oui, quand le temps sera venu… Nous ne savons pas quelles sortes de personnes ce deuil fera de nous, pour finir, ni s’il finira jamais. Vous relevez aussi, Asia inconnue, que cette mort nous ne cessons de la négliger. Et il est bien vrai, selon le mot célèbre qui la compare au soleil, qu’elle ne se laisse pas regarder en face. Alors c’est ça qui nous arrive aujourd’hui : nous fixons la mort, « ça » nous regarde et nous ne cessons d’y penser…

  3. Avatar de Yves Citton

    Cher Daniel,

    Merci pour la façon dont tu élabores — perlabores — ce deuil à travers des réflexions aussi intenses, aussi généreuses et aussi humaines, dans ce que l’humanité comporte de plus élevé et de plus fragile, de plus noble et de plus tragique. Tu dis avoir « une faim immense de CONCRET », contre le prêt-à-porter des formules de prêtres et des cartes de supermarché. J’imagine que c’est cette concrétude qui est au coeur de la perte : un corps manque cruellement, avec ses gestes concrets, ses paroles concrètes, bref avec tout ce que le concret offre à notre attention d’irremplaçable et d’inépuisable, là où notre imagination est finalement si pauvre et si répétitive.

    J’imagine aussi la douleur qu’il a dû te coûter, dans le blog d’hier, de repasser moment par moment ce qui s’est passé sur cette montagne tentatrice. Et pourtant, l’élaboration de ces événements par le concret de l’écriture leur donne quelque chose de rassurant, parce que riche de la singularité (absurde mais vitale) de nos existences. La « responsable » de l’absence de Brieuc, c’est la vie elle-même. C’est sa soif de vie (de l’intensité, de la richesse concrète de la vie) qui l’a appelé sur cette pente. Une prudence qui l’aurait enterré dans un bunker bien protégé chaque fois qu’un danger aurait pu se présenter aurait éteint cette vie qui le poussait vers les hauteurs. C’est moins la montagne que la vie, l’aspiration à vivre haut et fort qui est la responsable. Comment lui en vouloir, à la vie ? (Et en même temps, comment le lui pardonner ?)

    Ton écriture est exemplaire en ce qu’elle nous apprend, à nous qui te lisons de loin, à cultiver cette vie que recèle le concret du présent, de ce qui reste du passé dans le présent (souvenirs, photos, paroles) et qui lui donne sens et valeur. La chapelle ardente que tu construis ici nous éclaire de ses lumières et de ses chaleurs. Merci!

    Amitiés,

    Yves

    1. Avatar de Daniel Bougnoux

      Oui, bien cher Yves… Tu me jettes trop de fleurs, mais tu touches l’essentiel auquel j’ai souvent songé depuis ce jour fatal (trois semaines demain !) : nous aimions que Brieuc vive au plus haut, donc exposé, de sorte que sa mort coule en droite ligne de cette vie excellente, excessive, exceptionnelle je crois qui fut la sienne – et dont je prends tardivement la mesure. Je ne connaissais pas toutes ces randos, ces amitiés, ces fêtes, je suis fier de lui et nous ne le pleurons que plus amèrement, tous les jours nous pleurons, nous ne savons pas combien de temps prendra cette « perlaboration » que tu mentionnes très bien d’après Freud, je vais en reparler bientôt de celui-là, je suis en train de le relire pour essayer de comprendre ce qui nous arrive…

  4. Avatar de Bernadette
    Bernadette

    Ah, Guillaume…! Je ne savais pas qu’il était venu de sa lointaine Bruxelles quand j’ai écrit sur le grand cahier bleu nuit:
    « Il y avait deux ‘jeunes du bout de la rue’ que François appréciait particulièrement: Guillaume et Brieuc. Il a eu de belles et riches discussions avec l’un et l’autre ».

    Brieuc et Sylvain ont eu la grande chance d’habiter la rue des 3 épis à une période où le nombre de jeunes et tout particulièrement de garçons était grand dans le quartier: une bande de copains exceptionnelle.
    Notre fille a malheureusement connu une période de creux dans la démographie jeune du quartier.
    Mais trente ans plus tard, le phénomène se reproduit avec la génération d’après, du côté des filles cette fois: Mathide et Alice vont grandir, avec leurs cousines, « à l’ombre des jeunes filles en fleur ». Pour l’instant, ces gentilles demoiselles nous barrent la rue avec un joli ruban pour dessiner leur marelle à même la chaussée et pouvoir accéder au « ciel » en toute tranquillité.

    1. Avatar de Daniel Bougnoux

      Souvenirs bienvenus, chère Bernadette ! Oui, cette rue en impasse aura été très bénéfique. Nous y avons emménagé dès l’ouverture des logements, en 1975, et nous y sommes encore. Dans les années 80, j’aurais pu prendre un poste à Paris mais Françoise n’était pas délocalisable, et le quartier nous paraissait très favorable aux enfants. Et puis il y avait les ressources de la montagne, ah la montagne, on n’arrêtait pas de dire comme elle était bonne pour nos gosses !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

À propos de ce blog

  • Ce blog pour y consigner mes impressions de lecteur, de spectateur et de « citoyen concerné ». Souvent ému par des œuvres ou des auteurs qui passent inaperçus, ou que j’aurai plaisir à défendre ; assez souvent aussi indigné par le bruit médiatique entretenu autour d’œuvres médiocres, ou de baudruches que je…

    Lire la suite

À propos de l’auteur

  • Daniel Bougnoux, professeur émérite à l’Université Stendhal de Grenoble, est ancien élève de l’ENS et agrégé de philosophie. Il a enseigné la littérature, puis les sciences de la communication, disciplines dans lesquelles il a publié une douzaine d’ouvrages.

    Lire la suite

Les derniers commentaires

  1. On pourrait aussi bien poser la question, cher J-F R : Comment la France des riches, gens diplômés, bien endentés…

  2. Bonsoir ! Je reviens de Vendée où j’ai vu des gens assis dans une école abandonnée, en train d’écouter religieusement…

  3. OFPRA bien sûr : Office Français de Protection des Réfugiées et Apatrides.

  4. Magnifique compte rendu, cher Daniel, de ce film impressionnant et fort. On sort bouleversé et l’on espère changé, après sa…

  5. Votre « commentaire » est très sombre Eglantine, et je comprends votre désespoir. Je ne décrirais pas aussi sombrement que vous le…

Articles des plus populaires