Un grand Charlievari ?

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Je reçois ce matin mercredi d’un ami cher, mais qui préfère garder l’anonymat, étant professionnellement tenu au devoir de réserve, cette contribution au débat. P* et moi n’avons jamais été d’accord politiquement, ce qui n’empêche pas l’affection réciproque ; il m’est toujours apparu, par la plume ou la voix, mordant et très drôle, ses formules ou trouvailles verbales me poursuivent et je ne voulais pas en priver ce blog. Voici donc sans tarder, à l’heure où les files d’attente s’étirent devant les kiosques à journaux pour y communier dans l’achat d’un précieux fétiche, le texte reçu, auquel j’ajouterai ma réponse dans la journée.

UN GRAND CHARLIEVARI…
Cher D.je suis heureux, sincèrement et profondément, que vous ayez ressenti toi et tes amis grenoblois cette euphorie née de la participation épanouie à un événement historique ayant dépassé en magnitude comptable le défilé de la Libération. Crois-moi, c’est un souvenir beaucoup plus agréable à porter que d’avoir choisi délibérément de s’en tenir à l’écart, car l’effet de masse du succès de l’opération engendre mécaniquement un sentiment de carence chez ceux — hospitalisés, à l’étranger, occupés, boudeurs, etc. qui ont le sentiment d’être passés à côté de l’histoire : plus d’un émigré a dû avec le temps regretter in petto de n’avoir pas pris part à la Révolution, et de devoir recuire sa rancœur pour tout potage au fil du XIXè siècle !

Pourtant, aurais-je aimé participer à la prise de la Bastille ? Pas si sûr, c’était abject. Ou aux défilés de la Place Rouge, de Tiananmen sous Mao, ou de Nuremberg ? Ceux qui y prenaient part ressentaient une joie grégaire et roborative, sans que leur cause fût forcément juste ni leur effet recommandable. Il reste donc légitime de rester en dehors des effets de foule.

La cause de dimanche était elle juste ? Voire…1 Certes, elle constituait un sursaut, libérateur, bienfaisant, fondateur même qui sait. Cela est bien.
2 Certes, elle débordait de bons sentiments, depuis la fierté retrouvée et le courage proclamé jusqu’à la défense des idéaux républicains. Cela ne fait pas de mal.
3 Certes, elle transformait un fait divers horrible en une extraordinaire affirmation de civisme, et cette énergie soudain libérée aura sans doute d’heureux effets, si elle dure et surtout si elle est convertie en attitudes nouvelles.

Mais

4 Là où il y avait enfin place pour la mise en évidence de la nocivité du totalitarisme islamique (dont souffrent si cruellement tant de peuples, va voir par exemple le film Timbuktu), on a préféré convertir les décillements en connivences convenues sur la citoyenneté à la française, etc… Regrettable escamotage !
5 Un crime mahométan contre le blasphème a été transformé en une divine surprise pour la gauche éreintée, qui s’est trouvée replongée dans les eaux baptismales d’une jouvence inattendue réconciliant tout le monde de Valls à Aubry et forçant toute l’opinion, Marine et Mèche-En-Long exclus, à se coaliser autour de M. Loyal, le président normal et amalgameur dont l’unique talent est justement de se tenir au milieu des courants. Je comprends que le peuple de gauche ressente la commotion délicieuse d’un salut inespéré, juste aux portes de l’enfer, et jouisse de la béatitude des réprouvés soudain sortis des limbes par un miracle absolument improbable, à la faveur duquel l’éponge est passée sur deux ans et demi de mensonges, d’échec et même de turpitudes. Tu peux comprendre inversement que pour ceux qui tiennent depuis le début l’élection de FH pour une triste déchéance, ce soit un coup terrible : un peu comme si des Français libres avaient en 1943 vu Pétain devenir soudain certain de gouverner jusqu’en 1949 avec l’acclamation du peuple pour avoir su orchestrer une manifestation contre les bombardements ! Tu vas me dire que j’exagère, mais c’est exactement cela.
6 Enfin, il y a eu dans tout cela beaucoup d’émotion, sur laquelle le pouvoir et les media ont soufflé comme mistral sur braises et, comme je te l’ai dit, je déteste autant hurler avec les filous qu’avec les loups. Ces grandes émotions populaires m’inspirent la plus grande méfiance. Que dirons nous si demain on en tire le prétexte d’un patriot act qui nous musèlera tous alors qu’il n’y a lieu de contrôler, mais alors sévèrement, qu’un quarteron d’activistes islamiques (que l’on n’ose malheureusement pas désigner du doigt ni même nommer), exactement comme sur les routes on gaspille des fortunes à opprimer la totalité des automobilistes sous prétexte de sécurité, alors qu’il suffirait de retirer le permis à quelques milliers seulement d’incapables ou d’irresponsables.

Voilà, mon cher D., un billet d’humeur bien matinal, mais je ne me remets pas de voir l’affaire Charlie servir de pavois à ceux et plus encore celui à qui allaient être refusées nos voix — à ce que le PS et son chef passent de pas voix à pavois et que cela prolonge encore l’affaissement national dont ils sont les ferments. Le chômage n’a cessé de croître depuis qu’ils sont là, la France a reculé d’un rang, les élites fuient en douce à l’étranger, les déficits continuent de croître malgré la ponction énorme faite sur les classes moyennes, etc… Mais ils sont Charlie, et tout devrait être oublié ? On nous prend pour des Charlots ! 

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À propos de ce blog

  • Ce blog pour y consigner mes impressions de lecteur, de spectateur et de « citoyen concerné ». Souvent ému par des œuvres ou des auteurs qui passent inaperçus, ou que j’aurai plaisir à défendre ; assez souvent aussi indigné par le bruit médiatique entretenu autour d’œuvres médiocres, ou de baudruches que je…

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À propos de l’auteur

  • Daniel Bougnoux, professeur émérite à l’Université Stendhal de Grenoble, est ancien élève de l’ENS et agrégé de philosophie. Il a enseigné la littérature, puis les sciences de la communication, disciplines dans lesquelles il a publié une douzaine d’ouvrages.

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