Aragon, guerre et paix

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Je donne ce soir mercredi 12, à la Maison de la Poésie de Saint-Martin d’Hères, une conférence sur Aragon qui rentre dans le cycle de cette saison, « Guerre et paix ». J’y apporterai le très joli film de 20′ (montage vidéo) qu’avait préparé pour moi Louise Merzeau, à l’occasion d’un colloque Aragon que j’ai dirigé à la BPI ; et sans doute une ou deux chansons (Ferré « Tu n’en reviendras pas »…, Marc Ogeret, quel poète mieux qu’Aragon nous aura parlé de la guerre ?)

Je ne sais trop encore quels propos je tiendrai ce soir, faisant sur Aragon confiance à l’improvisation, et au génie du lieu ou de la rencontre. Cela inclura forcément les points touchés infra, dans ce texte donné au Catalogue « L’Art en guerre » du Musée de l’Art moderne de Paris (article sollicité par Laurence Bertrand Dorléac, et paru en novembre 2012). Quels choix font les poètes « dans les temps de détresse » ?

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La guerre aura énormément marqué Aragon, qui en fit deux sans compter la guerre froide, et qui – Breton le note en manière de reproche dans ses Entretiens de 1952 – supporta toujours ses obligations militaires « avec allégresse ». En 1918 comme en 1940, son héroïsme fait l’admiration de ses supérieurs. De toute évidence, il y a chez lui une passion de la chose militaire, ou plus exactement du service. Il demeurera sa vie durant un militant c’est-à-dire un soldat, un homme qui sert : l’armée, le Parti, Elsa, autant de cadres propres à structurer cette personnalité aux dons et aux tentations multiples, mais qui le désorientent. Le service lui donne un rail, et fonctionne aussi comme un sacrifice expiatoire en rachetant par l’exposition à la mort la faute de sa naissance, la bâtardise.

Son amour du combat et un imaginaire chevaleresque tirent Aragon du côté du croisé ou du troubadour ; devenu, comme beaucoup d’autres, communiste par haine des pères et des bourgeois, il nourrira ce sentiment sincère et sans doute viscéral par un fond aristocratique, qu’il peinera toujours à reconvertir en voix ouvrière.

S’il conçoit pour la guerre un goût très vif, autant bien sûr qu’un immense dégoût (ambivalence très bien analysée dans Aurélien ou quelques poèmes du Roman inachevé), sa vaillance militaire prend également sa source dans l’altruisme, et la pitié. Les conditions du feu dénudent entre les hommes une solidarité primaire, dont témoignent plusieurs textes touchants, autant que le témoignage de ses camarades de combat : jamais l’appellation de camarade n’est mieux justifiée qu’au front – la solidarité du Parti, notamment lors de la guerre froide, rejouant ou réactivant en mineur les mêmes affects.

Or l’horreur recherchée de la guerre permet de mieux rêver l’idéal. Aragon se vantera d’avoir traversé les tranchées sans écrire un mot sur elles, ni dans Anicet ni dans ses poèmes d’alors ; de même l’ancien combattant devenu résistant se lance en 1940-1944 dans la longue rêverie amoureuse d’Aurélien, alors fort anachronique. Surtout il rencontre en décembre 1941 Henri Matisse, et entame avec sa peinture – qui ne reflète en rien les terribles circonstances de l’époque – un dialogue passionné. Sur ces années de plomb, le peintre apporte sa lumière, « une certaine couleur des idées ». Une même lumière venue de Géricault tombera sur les soldats désorientés de La Semaine sainte (1958), comme un ciel de peinture au-dessus des hommes enlisés.

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À propos de ce blog

  • Ce blog pour y consigner mes impressions de lecteur, de spectateur et de « citoyen concerné ». Souvent ému par des œuvres ou des auteurs qui passent inaperçus, ou que j’aurai plaisir à défendre ; assez souvent aussi indigné par le bruit médiatique entretenu autour d’œuvres médiocres, ou de baudruches que je…

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À propos de l’auteur

  • Daniel Bougnoux, professeur émérite à l’Université Stendhal de Grenoble, est ancien élève de l’ENS et agrégé de philosophie. Il a enseigné la littérature, puis les sciences de la communication, disciplines dans lesquelles il a publié une douzaine d’ouvrages.

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