Nous avons pris l’habitude de regarder (presque) chaque soir en DVD la série Engrenages, qui nous fascine par la maîtrise de ses personnages et de ses intrigues. Non seulement on y apprend beaucoup sur les rouages ou les imbroglios de la police et de la justice, et sur la marche en général des enquêtes et d’« affaires » bien de chez nous, mais on se passionne aussi pour le destin de ses personnages. Or nous voici, après avoir épuisé les quatre premières « saisons », en panne de DVD. On m’assure que la cinquième va paraître sur Canal dès ce mois de novembre, et que tous les épisodes (une douzaine ?) en seront immédiatement disponibles, mais seront-ils en DVD ? Nous préférons en effet ce support, pratique pour insérer le disque dans l’ordinateur portable, posé sur nos genoux le soir dans le lit.
Que va-t-il donc arriver à Laure Berthaud (Caroline Proust) après la mort de Samy ? Gilou (Thierry Godard) parviendra-t-il à la consoler ? Une indiscrétion de la chaîne nous prévient qu’à la saison cinq, ce personnage-clé risque de tourner « ripou », je n’arrive pas à y croire, holà scénaristes ! Gilou (après des débuts difficiles) est devenu une icône du flic battant et courageux, vous n’allez pas nous le gâcher ? Et l’adorable juge Roban (Philippe Duclos), célibataire endurci avec ses cheveux en pétard et ses complets approximatifs, va-t-il trouver une femme pour le peigner, et pourquoi pas sa greffière Marianne, qui le regarde en héros et aimerait tellement partager la vie de « François » ? Hélas, le dernier épisode n’a pas laissé à celle-ci beaucoup de chances, et le juge d’instruction réintégré dans ses (dures) fonctions semblait surtout pressé de rouvrir ses dossiers. Va-t-il devoir payer auprès de ses nouveaux amis francs-maçons un soutien qu’il ne leur a pas demandé ? Avec l’affreux procureur Machard (Dominique Daguier au doucereux regard de crocodile), on ne sait jamais… J’ai tout de suite adoré le personnage de Marianne, avant de découvir au générique qu’elle était interprétée par Elisabeth Macocco, ça alors ! Car j’ai connu cette Elisabeth il y a bien trente ans, mon souvenir la rattache (à tort peut-être ?) à la compagnie de Denis Guenoun « L’Attroupement », elle avait monté à l’époque un one woman’s show sur la Callas, pure merveille d’incarnation et de délicatesse, spectacle pour lequel je l’avais, chez elle à Lyon, interviewée… Deux autres flamboyants dont nous attendons avec impatience les nouvelles aventures, c’est le « couple » d’avocats Joséphine Carlsonn (pulpeuse, dangereuse Audrey Fleurot) et l’immensément sympathique Pierre Clément (Grégory Fitoussi), quelle classe celui-là ! Non sans dérapages ni dangers pourtant, il aime trop quoi, l’argent ? les plaidoieries difficiles ? la prise de risque du côté des truands ou des sans-papiers ? (Avec la petite frappe qui l’accusait de pédophilie, ça a failli très mal tourner.) « La » Carlsonn a un sacré abattage, on ne tue pas un pareil personnage et il était difficile de croire à son suicide quand elle s’est tailladé les poignets dans sa baignoire, nous étions bien sûrs de la revoir par quelque astuce du scénario…
Pierre Clément et sa collègue-
associée Joséphine Carlsonn
Et les méchants, les trafiquants, les proxos ? Le pitoyabe serial killer qui dépèce ses victimes, Mexicain à gueule de perdant… (Mais quelle mère il a eue !) Eux aussi, je ne dirai pas qu’on s’y attache mais on les suit, on en redemande. Dans la section des monstres, il faut accorder une palme spéciale à Sophie Mazerat (Judith Chemla), la stupéfiante Violaine de L’Annonce faite à Marie dont j’ai rendu compte ici même en juillet (« L’annonce faite à Judith »). Voir notre frémissante Violaine brandir en plein commissariat le téléphone portable qui va mettre à feu la bombe placée au même étage, au moment où elle vient d’apprendre que son complice Thomas Riffaud (Jérôme Huguet en terroriste très convaincant) la laisse tomber – c’est clouant, c’est hallucinant !
Catégorie sales types, ne négligeons pas les salauds plus ordinaires : mention spéciale à Herville, le si petit chef de notre équipe gagnante ; au procureur Machard déjà cité, ou à tant d’autres, car les polices se font la guerre autant que les « chers confrères » du barreau. Que dire en particulier du répugnant avocat Szabo (que trois balles dans la peau n’ont pas achevé) ? Du si jeune juge Wagner, qui s’acharne sur Pierre Clément avec un zèle sadique ? Ou du plus jeune encore stagiaire Ledoré, trop aimé de sa mère celui-là et qui va flanquer une sacrée pagaille dans les affaires du juge Roban, avant de se suicider ?
Or, ce carnaval d’embrouilles et de coups de théâtre tourne autour d’une femme, déjà citée mais à laquelle il faut crier notre admiration, notre éperdue gratitude : Caroline Proust, en « capitaine Berthaud », fait merveille, elle est mieux que bonne, elle est courageuse et craquante, fière (voire indomptable) et fragile, rusée voire teigneuse comme un chien de chasse en pleine action et sensuelle, adorable en gros plan avec ses mèches et ses fossettes… Il faut la voir planquer devant la maison suspecte, murmurer dans son téléphone, ou de retour au commissariat interroger durement sa proie en tentant de la faire craquer avant l’irruption de l’avocat, pour mesurer les difficultés de sa vie si remplie, de ce job auquel elle se voue corps et âme. Voilà, ce qui frappe aussi dans ce film c’est combien les personnages aiment leurs rôles et le défendent. Près d’un million de spectateurs suivent, dit-on, Engrenages, tant mieux, gageons qu’ils connaîtront mieux grâce à cette série (française !) le Palais de justice de Paris ou les dédales du commissariat. On y apprend par exemple, en assistant aux audiences, l’admirable discours judiciaire, si précis dans son rebutant formalisme ; ou, au fil des gardes à vue et des interrogatoires, les rapports de force et de ruse, le jeu des dits et des non-dits, la perspicacité du criminel comme de l’enquêteur qui le file et le presse, avec quelle patience et quel flair ! Tandis que des personnages comme Gilou, ou son pote Fromentin (Fred Bianconi) nous révèlent parfois l’envers de cette force, les cauchemars, la panique, la tentation des drogues, le tube de Lexomil en prévention des coups durs…
Une pareille série suscitera sûrement quelques vocations de flic, ou de magistrat (professions également dépréciées, sinon diabolisées, et que ces films peuvent contribuer à faire aimer). Il n’y a pas que les courses-poursuites engagées par Laure ou Gilou contre les truands qui donnent le frisson, et le sentiment d’un héroïsme contagieux ; les réflexions ou la tirade du juge Roban contre l’enterrement des affaires, au moment par exemple où sa supérieure hiérarchique le dessaisit d’un dossier (affaire de la « mairie de Villedieu »), sont des modèles de pugnacité intellectuelle, et de probité, face à un monde servile – de tels discours mériteraient une diffusion en boucle dans les écoles ! Parmi les nombreuses leçons morales glanées aux successives visions d’Engrenages, je relève particulièrement un plaidoyer systématique pour l’esprit d’équipe et les vertus de l’entraide, contre tous ceux qui jouent perso. Or c’est le penchant naturel du juge Roban, du petit chef Herville mais aussi de la capitaine Berthaud, trop prompte à faire de sa traque une affaire personnelle ; quand elle dézingue pour finir le monstrueux serial killer dans ce hangar où il s’apprête à découper sa victime, le droit est pour elle bien sûr mais la police des polices ne l’entend pas de cette oreille et elle encourt (malgré notre indignation) de sérieux ennuis car elle a enfreint les règles en faisant de cette chasse un duel, et de son dénouement une estocade. « On a inventé la justice pour rendre la vengeance inutile », comme lui (et nous) rappelle solennellement le flic chargé de corriger les flics.
A quelle autre série se vouer en attendant ? Sur un conseil (ancien) de Louise Merzeau, nous avons tâté l’autre soir du premier épisode de Game of thrones – déception cuisante, désastre sur toute la ligne ! Qui m’avait vanté une série « shakespearienne » ? C’est se faire une bien piètre idée du grand Will, ou de quel que soit celui qui écrivit ses pièces… Dès les premières minutes, la prétention à afficher de belles images trahit le désir d’en mettre plein la vue : un Moyen-Âge de convention forcément « grossier », une sexualité racoleuse égarent le scénario vers des images-chocs, qui dispensent de construire l’intrigue. Je n’en suis qu’au premier épisode mais je doute que la série s’améliore, ou que j’ai envie de voir le second.
Mais vous, cher lecteur, quelles sont vos séries, et quel conseil me donneriez-vous ?
cherchent la sortie…
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