Les écrans m’envoient ces temps-ci plus de messages que les écrits, ou c’est ma vue qui baisse, regarder fatiguerait moins que lire ? Je poste en vrac quelques propos sur des films récents, qui ne méritent pas un trop long commentaire – encore que…
Vu hier soir le très impressionnant Scorsese, Le Loup de Wall Street, je me suis rendu à ce film avec retard, on m’en avait dissuadé. Et pourtant quelle force dans la conduite et le jeu des acteurs, les dialogues, le montage, je n’ai pas vu les trois heures passer, j’en redemande ! Et je comprends que ça déplaise car ce film, s’il fallait le caractériser d’un mot, est satanique.
On y plonge aux enfers contemporains de la concupiscence, qu’on peut résumer par la dope, le fric, le sexe (tiercé à remettre dans l’ordre), en un mot la luxure ou le stupre, où les personnages littéralement se vautrent. On dira que c’est répugnant, et on aura raison ; qu’ils sont idiots, aveugles à leur propre destruction et à celle, collatérale, de l’Amérique – OK… Mais on ne pourra s’empêcher de trouver ça fascinant, voire excitant et tonique : le spectacle intelligemment reconstitué de la pire folie contemporaine, celle qui gravite autour des marchés financiers, ne peut pas ne pas intéresser. Est-il nuisible de le montrer ? (Est-ce que ça peut faire des adeptes ?) Je ne sais pas, tout le monde n’est pas doué pour parvenir à un tel niveau de fraude lubrique, de débauche et d’autodestruction. Jordan Belfort est certes un monstre mais aussi un cas, comme tel instructif, à montrer justement et à méditer.
Sa trajectoire en effet n’intéresse pas que la finance : les séquences éblouissantes où on le voit prêcher, les réactions d’un auditoire de traders subjugués, enthousiastes font penser bien sûr aux pratiques du télévangélisme, recyclées en tribunes politiques. La religion, les jeux de pouvoir, le charisme, le fric sont donc inextricablement, infernalement noués par Scorsese dans ce personnage hypnotisant (aujourd’hui sorti de prison et qui vit, paraît-il, de gentilles conférences), désormais inséparable du jeu de Leonardo di Caprio. L’acteur accède ici au sommet de son art – incroyables séquences des discours, mais aussi des appels téléphoniques pour draguer les gogos, ou des discussions serrées avec le flic intègre (Steve Madden), ou avec le banquier genevois (Jean Dujardin)… On ne peut oublier non plus les partouzes (dans l’avion !), le défilé des top models, les corps nus tapissés de billets… Ni les lancers de nains sur la cible du dollar ! Ni le premier déjeuner, où un Jordan naïf écoute stupéfait son mentor Mark Hanna (Matthew McConaughey) lui détailler le monde où il pénètre, en une leçon que l’élève va très vite dépasser. Ni la complicité perverse, à-la-vie-à-la-mort, qui enchaîne Belfort à son émule grotesque Jonah Hill (magnifique Donnie Azoff, qui décrochera peut-être l’Oscar du second rôle). Ni cette ouverture diabolique où nous voyons Belfort/Di Caprio sniffer directement sa coke dans le cul d’une pute !
Il fallait un réalisateur italien, qui porte la mafia et le catholicisme dans les veines, dans ses gènes, pour nous montrer pleinement cela : le sabbat autour du veau d’or, la sarabande de tous les péchés (jusqu’au dernier, la trahison qui consomme la chute de toute la maison « Stratton Oakmont »), l’Apocalypse hilare ! Chapeau Signor Scorsese pour cet immense, ce mémorable bûcher des vanités (si le roman de Tom Wolfe était épatant, je n’ai en revanche pas grand souvenir du film qui en fut tiré).
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Egalement vu L’Amour est un crime parfait, par fidélité pour Matthieu Amalric et sa performance dans La Vénus à la fourrure. Film ludique et noir, d’une noirceur tapissée de neige, comme il neige aussi sur la conscience du personnage, professeur de « creative writing » au Polytechnique de Lausanne, magnifique bâtisse au toit courbe, aux planchers en pentes douces. L’écrin suisse, et le douillet chalet incestueux du frère et de la sœur, donnent évidemment le frisson : la folie meurtrière rode, comment la débusquer ? Ce film souligne son inspiration littéraire, par l’activité du personnage (encore un loup), par les citations de L’Âge d’or de Dali-Bunuel, et surtout celle du poème « Le Soleil en laisse » tiré de Clair de terre de Breton qui livre un peu la clé de cette histoire (où tout le monde fume beaucoup) : « Le fumeur met la dernière main à son travail / Il cherche l’unité de lui-même avec le paysage / Il est un des frissons du grand frigorifique ». Frisson, frigorifique, nous brûlons ! Et les images, les visages de cette intrigue (Karin Viard, Maïwenn, Sara Forestier, Denis Podalydès…) peuvent nous poursuivre quelques heures au-delà de la projection. C’est bien fait, bien tourné, mais ça reste joué, intelligent comme souvent autour d’Amalric, pas vraiment essentiel.
Quoi d’autre ? Mère et fils, dont je pensais associer l’interprétation au merveilleux, au bouleversant Tel père, tel fils (mon blog de la semaine dernière) ? Hélas, ce film roumain assez pataud, pas même pathétique, ne soutient guère la comparaison car on ne peut qu’assez difficilement s’attacher à ses personnages : la peinture de la nouvelle bourgeoise de Bucarest, ses combines, ses magouilles ne tissent pas vraiment un drame ni une histoire ; le fils a tué accidentellement au volant de sa voiture un enfant, mais sans que cela entraîne une délibération morale, tant le chauffard paraît borné, muré dans son silence devant un mère affairée à faire jouer ses bonnes relations. Seule la scène finale, chez les parents prostrés, pourrait émouvoir mais elle est comme évacuée, ou jouée à la cantonade – tout cela glauque à souhait, assez moche.
« Tiré d’une histoire vraie » : on attire ces jours-ci le chaland avec cette annonce, c’est le cas de Philomena, du Loup de Wall street, de Twelve years a slave que je verrai demain (rendez-vous sur ce blog)… La réalité aurait-elle plus de talent que les scénaristes ? Intéressante question, à suivre.
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