Dans la tête de Dominique Pélicot ?

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Le procès des viols de Mazan qui se déroule actuellement au Palais de justice d’Avignon, où Dominique Pélicot et ses comparses (cinquante-et-un prévenus dont trente-cinq assistent aux audiences) se trouvent confrontés à leur victime Gisèle, défraye à bon droit la chronique tellement l’énormité des faits stupéfie, intrigue, scandalise… 

La foule qui se presse dans la salle, les pancartes brandies, le mouvement populaire qui entoure Gisèle Pélicot, mère courage de soixante-douze ans qui par sa présence, sa parole et ses yeux bien ouverts participe aux débats, les reportages et numéros spéciaux dans la presse (hier soir vendredi un long montage documentaire sur BFM-TV, entouré de témoignages et d’arguments émus et passionnés…), attestent que ce procès fera date dans la dénonciation d’une (chez nous persistante) « culture du viol ». Et que tout ce bruit encouragera d’autres femmes à porter plainte, quelle que soit l’humiliation passagère qui en résulte : la honte doit changer de camp, la tolérance a assez duré, ne mélangeons pas les bourreaux et leurs victimes…

Je regardais donc moi aussi ce documentaire, stupéfait d’apprendre par quel hasard l’accusé avait éveillé les soupçons : circulant voici deux ans au centre Leclerc, il filmait depuis une caméra dissimulée dans son cabas sous les jupes des femmes, ou des filles comme chante Souchon, quand un vigile apercevant sa manœuvre le ceintura et appela la police ; laquelle, autre hasard, perquisitionna son domicile où son ordinateur, et quantités de vidéos et clés USB, révélèrent l’étendue et la gravité incroyables d’une entreprise qui pouvait d’abord passer pour un comportement de collégien. Tous ces méfaits détaillés aujourd’hui dans la presse et connus de tous dispensent ici de répéter. Et le procès qui ne fait que commencer promet bien des surprises et des rebondissements. Je ne voulais rien ajouter au flot déjà copieux des commentaires disponibles, mais JFR, lecteur assidu de ce blog, m’en presse, qu’en dit le Randonneur ? Et un détail du document visionné hier suscite mon questionnement, l’image d’un Dominique Pélicot tassé dans son box, la tête enfoncée dans les mains, se répétant en boucle « On ne naît pas pervers, on le devient ».

Risible démarquage d’une maxime bien connue de Simone de Beauvoir ? Dominique assurément s’est montré pervers à l’égard de cette femme aimante, confiante, et qu’il dit lui-même toujours véritablement aimer. « On le devient »… Par quel chemin en est-il arrivé là ? Au terme de quelle succession de confusions, de méprises, de quel gâchis ?  

Autre « « détail » appris hier en passant, cet homme aurait été victime, autour de ses quatorze ans, d’un viol ou de sa tentative de la part d’un infirmier ; et il aurait plus tard avec une bande participé, enrôlé ou de son plein gré, à l’agression sexuelle d »une adolescente mineure, et handicapée. Comment séparer le pervers, ou le « monstre » comme dit paresseusement la rumeur, de ces violences vécues dans l’enfance ? Je ne suis pas l’avocat de Dominique Pélicot, et je suis curieux de ce que ceux-ci pourront dire ; mais pour moi sa « défense » ne passera certainement pas par des soupçons de complicité, de complaisance ou de racolage venus de Gisèle (un scénario esquissé à l’audience avec les passes d’armes rapportées dans une page du Monde de jeudi). Je ne crois pas au monstre. Avec Romain Gary, ou avec le regretté Henri Leclerc qui vient de décéder, j’aimerais mieux comprendre comment l’inhumanité fait encore partie de notre humanité ; ou pour le dire autrement, selon une vieille maxime tirée de mes études de Platon, comment oudeis kakos ékhon, nul n’est méchant de son plein gré. Tout mal infligé viendrait, pour développer cet adage, d’un mal plus ancien et constituerait moins une action qu’une réaction, doublée d’une tentative de réparation. Le mal autrement dit cascade, d’une génération à l’autre, par mimétisme (bien étudié par René Girard), et par une confusion des personnes.

Il est incontestable par exemple que bien des bourreaux (criminels nazis, serial killers ou meurtriers endurcis) commencèrent par être des enfants battus ou abusés. Lesquels plus tard, incapables d’accéder au langage ou, comme nous disons dans les parages de la psychanalyse, au symbolique, se replièrent de la plainte sur le faire, du dire sur le montrer : regardez ce que j’ai enduré, voyez le mal que l’on m’a fait (« dit » la première victime en se vengeant sur d’autres)… 

En quoi ceci peut-il nous éclairer l’énigme-Pélicot ? Ce dernier a soigneusement archivé ses viols, en étiquetant les vidéos qu’il prenait des « séances » où on l’entend, paraît-il, assister l’agresseur de sa femme, le diriger : criminel paradoxal, il a lui-même préparé l’enquête des policiers qui n’ont qu’à éplucher ses archives où tout figure, preuves filmées, noms, adresses des complices ou des partenaires, dates des faits !… On discute beaucoup depuis quelques jours sur le bien-fondé des projections de vidéos, on loue Gisèle Pélicot de s’être opposée au huis-clos (que vient de rétablir le Président des séances au nom de la dignité des débats, un tribunal ne doit pas déchoir en sex-shop) ; montrer au public ces enregistrements (poisseux, nauséabonds) constituait pour elle un élément de  clarification, une façon de passer de la nuit où la maintenait la drogue au jour (relatif) de la réalité que son mari soigneusement lui cachait…

Je proposerai ici de reculer d’un cran cet argument, pour tenter de comprendre l’incompréhensible Dominique, d’abord enfoncé dans le noir et la terreur de ses quinze ans. Car qu’est-ce que la terreur, sinon l’abolition de la vue, et de toute perspective, l’écrasement d’une tête ou d’un corps dans la boue, la gadoue, le mélange infect de ce qui fait notre humanité avec la terre ? Si cet homme n’a pas su voir ce qui alors lui arrivait, on peut comprendre (je ne dis pas excuser) ses tentatives suivantes, répétées de voyeur, son acharnement à rabâcher ad nauseam une scène de viol pour laquelle il recrutait un acteur, une scène (a dit un participant de celles-ci) au cours de laquelle le mari s’échauffait, s’excitait et semblait quelque peu, malgré ses efforts pour maîtriser son scenario, perdre la tête… Le pervers ici semble la victime d’une tentative désespérée de mentalisation, de mise à distance symbolique d’un réel écrasant ; comme une figuration de l’infigurable, obscène (qui à la fois exige et écrase la scène). Ou, pour le dire dans un cadre freudien, la pulsion de mort est d’abord une pulsion de répétition (Wiederholungzwang), qui n’est elle-même qu’un essai de cadrage du trauma, paradoxalement répété pour conjurer sa répétition – une sublimation ratée ou qui n’accède pas…

Deux indices à l’appui de cette esquisse d’interprétation : le mari à l’audience de mercredi a demandé pardon, à sa femme et à ses enfants et petits-enfants, « même si ce que j’ai fait n’est pas pardonnable »… Mais cette demande à Gisèle ne lui était pas directement adressée, Dominique ne la regardait pas, et parlait d’elle à la troisième personne – extraordinaire dépersonnalisation, froideur bien connue du pervers, absence d’empathie ou, derechef, tentative ratée de cadrage et de mise à bonne distance de l’objet-sujet du trauma ? Ce que j’ai fait à Gisèle, on me l’a d’abord fait à moi, hurle peut-être Dominique dans sa tête devenue cachot. Et nos prisons semblent, de fait, autant de caveaux où nous n’osons pas descendre, pas nous risquer à démêler le mal infligé d’un mal d’abord reçu.

Le deuxième indice de cette protestation profonde qui doit hanter Dominique Pélicot devant le désastre évident de sa vie, ou ce qui lui en reste, se décèle peut-être dans sa façon de charger ses co-inculpés, auxquels il ne reconnaît aucune circonstance atténuante ; comme si son crime à lui avait voulu réparer un trauma primitif, alors qu’eux ne venaient qu’en consommateurs, avides de profiter d’un viol offert, d’une bonne occase. 

En bref, ce procès hors du commun nous affronte à un nœud gordien de questions, que nous ne sommes pas près d’épuiser…  

33 réponses à “Dans la tête de Dominique Pélicot ?”

  1. Avatar de Dominique
    Dominique

    Bonsoir !

    Que dire de tout ça…Se voiler la face et passer outre ?

    Se souvenir, comme à l’automne dernier, ici même, avec l’abbé Pierre…

    Confessionnal ou divan…Elle court, elle court, la bête dans les corps.

    Et ça continue encore et encore !

    Une conduite et un écart.

    Sortir de l’ornière et faire son pas de côté…Telle est sans doute la solution.

    Décoïncider pour provoquer, peut-être, cette étincelle de hasard dans la contrée des coïncidences de l’ailleurs.

    Et là peut-être toucher la vraie vie !

    Écoutons notre cher Edgar Morin :
     » La première et fondamentale résistance est celle de l’esprit
    C’est l’union, au sein de nos êtres, des puissances de l’Eros et de celles de l’esprit éveillé et responsable qui nourrira notre résistance aux asservissements, aux ignominies et aux mensonges. »

    Oui, mais pour les gens d’en bas qui voient parfois ce qui se passe, chez les gens d’en haut, c’est quoi, au juste, cette résistance ?

    Dans les cours d’éducation sexuelle et les préparations au mariage, qu’est-ce qu’ils nous racontent,

    professeurs et curés ?

    Dans La physiologie du mariage, Honoré de Balzac s’envole : « L’amour est la poésie des sens »

    Et en cette lyrique assertion, on trouve dans ses lettres permutées « La démesure et la possession »

    Est-ce par hasard ? Quant au « devoir conjugal », il devient par le même jeu lexical « Ce jargon du viol ».

    Est-ce par hasard ?

    Au secours Monsieur J-R, venez vite nous éclairer, même si, par anagramme ça « ne coûte rien » -« une érection » pour ceux qui ne veulent pas perdre leur âme, ni prendre le risque de disparaître corps et biens.

    Comment dans les mystères de l’érotisme trouver sa voie, Monsieur le savant ?

    Dans l’armée des ombres de l’esprit, les tunnels ne sont pas interminables, le probable n’est pas le certain, l’inattendu est toujours possible.

    Une main tendue, peut-être…Qui sait !

    Dominique

  2. Avatar de Jacques Toledano
    Jacques Toledano

    Bonjour Daniel
    Je n’ai pas eu l’occasion de suivre cette affaire, à part qqs titres de qqs médias.
    C’est très inhumain. Mais Dominique Pelicot est un cas qui mérite une analyse, au delà de la bienvenue la tienne, par qqs personnes d’exception avec un groupe, si possible de niveau international. Cette affaire déjà exceptionnelle, est elle isolée ?
    Merci pour ton texte.
    Bonne continuation.

    1. Avatar de Anetchka
      Anetchka

      Merci Daniel , d’avoir apporté, comme toujours, ton éclairage en surplomb sur cette sinistre et retentissante affaire à laquelle on ne peut plus guère échapper.
      Pour ma part, tentant aussi de prendre un peu de recul, cette « affaire » m’inspire plusieurs réflexions.
      En partant de la déclaration à la barre de Gisèle Pelicot du 18 septembre: «  Je souhaite que ce procès soit public mais pas qu’il soit sur la place publique ».
      C’est là le coeur du problème. Comment demeurer un procès exemplaire, emblématique, historique à certains égards, sans franchir la ligne du voyeurisme, du spectacle qui crève la toile du quotidien, fascine les foules, par un jeu d’attirance / répulsion. Le procès exemplaire qu’a semblé appeler de ses vœux la très courageuse victime, au risque d’un effondrement personnel, est d’éclairer les citoyens sur l’histoire et l’état de notre société, de ses mœurs et mentalités, sans parler de l’évolution du droit et de la justice. A l’instar du fameux procès de Bobigny des années 70 mené par Gisèle Halimi ayant culminé à la non moins fameuse Loi Veil. On n’a pas oublié non plus les procès du XXe siècle Landru et Petiot qui avaient rivalisé dans l’horreur…
      Mais tout cela, c’était avant l’ère des réseaux sociaux agissant comme un formidable amplificateur des événements, et souvent de défouloir des bas instincts anonymes. Bref un porte flambeau du voyeurisme, une télé-réalité en parallèle du procès.
      Ceci étant, ce canal n’est qu’un prolongement d’un voyeurisme qui se déployait très bien sans lui lors des exécutions capitales publiques du XIXe s français, spectacle populaire sous le regard des élites, qui mobilisait des masses fascinées, qui suivaient tous les épisodes de la chaîne du crime avec assiduité, et par seulement la guillotine elle-même.
      On est ici devant un équilibre à trouver, le choix du huis-clos, peut-être, pour ne pas lancer en pâture au tout venant toutes les images -la puissance de l’image hypnotique, si vite manipulée – et celui des plaidoiries publiques pour la cause de l’information précise et de l’exemplarité.
      Une autre réflexion, de linguiste, cette fois. La représentation populaire des grands procès publics est aussi une affaire de mots. Pour reprendre l’exemple des exécutions du XIX e siècle, le lectorat populaire reprenait systématiquement et unanimement les termes des élites, en les vulgarisant et en les galvaudant le plus souvent. Dans le procès Pelicot, chacun se croit autorisé à jongler avec : « emprise, exhibitionnisme, perversion, consentement, duplicité (Dr Jekyll et Mr Hyde), sédation, soumission chimique » sans toujours cerner les concepts des médecins, psychiatres, psychanalystes.
      Un abus de langage encore concerne à mes yeux l’usage de procès du « patriarcat », avec cette généralisation si vite franchie, qui passe d’un criminel sexuel (peut- être en série? L’on impute à Pelicot en outre deux cold cases de viols dans les décennies précédentes, dont l’un avec meurtre), au procès de tous les hommes potentiels.
      Rappelons tout de même que le patriarcat est un régime, un système social, politique, juridique, économique, et religieux fondé sur la filiation patrilinéaire dans lequel l’homme exerce un rôle dominant au sein de la famille et par rapport à la femme. A ne pas vouloir distinguer les résidus de mentalités patriarcales de notre société des patriarcats authentiques de la Rome Antique, de la culture des Kourganes du 5e millénaire avant notre ère, ou celle, bien actuelle, de l’Afghanistan, on tord les signifiés et référents de ces signifiants.
      Espérons que ce procès reprenne la trajectoire d’une prise de conscience vaste et ample, et non celui d’un emballement généralisé de télé-réalité….

      1. Avatar de Daniel Bougnoux
        Daniel Bougnoux

        Oui chère Anetchka, il est très facile de s’embourber avec cette sordide affaire, et j’ai tenté un recadrage de surplomb… Tout ce que tu cites et rappelles des dérives liées au spectacle de la justice n’est que trop réel, et la voie est étroite entre publicité et…. pornographie ! Affaire à suivre, donc…

        1. Avatar de Anetchka
          Anetchka

          Oui, cher Daniel, et en suivant l’affaire, on observe d’autres lignes de crêtes, où un malaise nous envahit. Dans une démocratie honorable, chaque présumé coupable a droit à une défense, même le pire des criminels. Mais la déontologie judiciaire – explicite et implicite- devrait (s) assigner des limites à l’expression de cette défense, dans le cadre d’ un procès public. Or en marge du tribunal, dans le déversoir des réseaux sociaux, via certains avocats, l’affaire Pelicot a instillé perfidement un retournement de la charge de l’accusation (les retournements de valeurs sont dans l’air du temps ! ) de la manière la plus ignoble et rétrograde qui soit , sur le sempiternel leitmotiv de « elle l’a bien cherché » ou « pas si innocente »…
          « Embourbés », c’est le mot juste, nous le sommes. Pour sortir du marécage, et
          à l’instar de certaines régulations des réseaux sociaux en prévention de la pédophilie et du terrorisme, ne pourrait-on pas introduire une forme de régulation, au sein de ces canaux, dans le champ des procès ultra sensibles? Des garde -fous ne me semblent pas liberticides car licence totale sans limites et sans bords n’est pas liberté….

  3. Avatar de JFR
    JFR

    D’où vient le malaise que nous ressentons à lire en détail les récits du procès de Mazan ? Le procès de Mazan nous renvoie à notre voyeurisme. Nous sommes convoqués dans la chambre à coucher du couple Pélicot. Nous assistons en direct au viol de la victime endormie, inconsciente de ce qui lui arrive. Procès en huis clos ? Non, Madame Pélicot a demandé qu’il soit public. On a juste demandé à la fille du couple de sortir de la salle pour ne pas assister aux images dégradantes du viol de sa mère. Dépassée l’affaire Clinton et le rapport du procureur Kenneth Starr publié sur internet… Sa publication par le journal Le Monde avait été qualifié alors de roman le plus érotique de l’année. Mais à l’époque, nous n’avions que des récits. Nous apprenions par voie de presse le nombre très exact de fellations prodiguées par Monica Lewinsky au Président et les pirouettes réalisées sous le bureau ovale… L’époque, aujourd’hui, a changé. Nous sommes à l’ère de l’image et du porno généralisé. Dès leur plus jeune âge les enfants ont droit à l’obscène. Sur n’importe quel mobile, ils peuvent accéder aux scènes les plus violentes, les plus dégradantes et les plus ignobles. Les parents s’effraient. Comment protéger nos chers petits ? Comment retarder leur confrontation aux images hard et comment leur parler de l’amour et de la sexualité ? Plus grave : l’accès direct et continu à ces scènes peuvent-elles rendre plus aisé le passage à l’acte ? Les addictions à la pornographie ne risquent-elles pas de transformer l’addict et le voyeur en consommateur direct ? Voici un exemple entendu par un professionnel de l’écoute … Une mère horrifiée raconte le récit de sa fille, treize ans, confrontée pour la première fois à la sexualité. « Comment fait-on ? », avait demandé la très jeune fille à son petit copain. « C’est simple », avait-il répondu. « Tu me suces et après je t’encule… ». La mère a manqué de s’évanouir au récit de sa fille…Cette histoire est vraie et peut-être deviendra-t-elle dans quelque temps une bluette… La pornographique met en scène une sexualité dégradante et les parents se doivent d’en interdire formellement l’accès aux enfants.
    Quelles sont ces personnes cagoulées et têtes basses qui cherchent à échapper aux photographes dans le prétoire ? Leur honte parle pour eux et un sentiment tardif de culpabilité semble les étreindre. « Monsieur tout le monde, de bons pères de famille », disent certains. Révoltant ! « Un homme, ça s’empêche », rappellent les autres, horrifiés, citant Camus. Au-delà de leurs personnes, le procès de Mazan renvoie à celui des hommes, de tous les hommes, à leur misère sexuelle, à leur sexualité. « Tous des violeurs, tous des prédateurs » disent les féministes les plus acharnées. On évoque le patriarcat, on parle de culture du viol… Que répondre ? Nous sortons d’une culture millénaire où la femme fut d’abord une valeur d’échange – un objet donc – permettant d’organiser l’exogamie et de renoncer à l’inceste. Notre siècle est une lutte permanente pour de nouvelles définitions marquées par l’égalité des droits. Pour cela commençons un travail sur les mots, ce que note Anetchka, pour mieux les définir… Ils n’ont visiblement pas le même sens pour tous. A la misère sexuelle des hommes, à leur misère psychique, n’ajoutons pas la misère des mots. « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde », dit encore Camus.

    1. Avatar de Daniel Bougnoux
      Daniel Bougnoux

      Merci cher JF pour ce commentaire si juste, auquel je souscris entièrement ! Mon propre billet ne portait pas sur les dangers du voyeurisme et d’une invasion des images pornographiques, souvent dénoncées et en effet préoccupantes, mais sur ce qui avait bien pu animer cette pulsion scopique dans la tête ou l’histoire du malheureux Dominique Pélicot ; j’ai retenu l’importance probable de l’abus sexuel et d’un trauma qui lui aurait, littéralement, bouché la vue, et c’est sur ce point que j’attends le relais ou le renfort du psychanalyste…

  4. Avatar de Christine BARON
    Christine BARON

    D’abord merci à Daniel pour ce texte magnifique qui tente de jeter un peu de lumière dans un puits noir et nauséabond. Cette affaire fera date, sans doute, et il faut en reconnaître le mérite au courage de Gisèle Pélicot qui accepte que soit dit et montré l’invraisemblable. 
    Je suis frappée, en tant que femme par un fait. Certes, on peut tenter de se demander, si en effet « on ne naît pas criminel mais qu’on le devient », par où est passé l’agresseur pour en arriver à ce degré d’aveuglement sur soi-même. Son parcours n’est pas banal, mais… D’une autre manière, il l’est. Combien de jeunes garçons violés par des prêtres, des oncles ou des cousins ont dénoncé, et surmonté ce terrible trauma? Chacun réagit à sa manière face à l’innommable, mais ce que D. Pelicot a mis en place depuis quelques années est un véritable système. Ce qui me glace dans cette affaire c’est la préméditation manifeste, l’organisation minutieuse, le fait que pas à un seul moment avant d’être pris, l’accusé ne s’est interrogé sur ses actes. Sa psyché, si profonde et complexe qu’elle soit ne l’a jamais poussé à se demander ce que pourrait ressentir Gisèle si elle savait. Il ne s’est jamais posé la question, au fond, de la place de l’autre.
    Comment peut-on dire aimer une femme et lui infliger cela? 
    L’autre point et il est capital selon moi et symptomatique d’une mentalité encore (hélas) vivace dans nos sociétés, c’est l’argument de nombreux violeurs qui ne voyaient pas où était le mal. Ils avait l’ « autorisation » (et les encouragements) du mari. Et donc… Où était le problème???
    Tant que les hommes se penseront propriétaires du corps des femmes et habilités à donner le consentement à leur place, nous en serons là. Et ces affaires lamentables continueront de défrayer la chronique. 
    Le procès de Mazan, c’est le procès du patriarcat (et non, s’il vous plaît, n’allez pas dire que je déroule le credo féministe en pensant … Alllez c’est reparti!). Mais c’est bien au nom de l’autorité du pater familias (celui qui décide à la place de sa femme et en son nom) que ce crime a été possible. 
    On touche le fond là…
    Et ce qui m’intéresse, moi, c’est plutôt ce qui se passe dans la tête de Gisèle Pelicot. Comment elle vit le naufrage de sa famille, de son couple, comment elle pense se reconstruire, comment elle vivra l’après-procès, les relations avec ses filles (elles mêmes photographiées à leur insu par le père). Son courage inouï ne fait pas d’elle une victime pleurnicharde mais quelqu’un qui affronte l’innommable sans savoir où mènera ce triste cortège de témoignages nauséeux. Et il faut avoir une personnalité hors du commun pour affronter cela.
    C’est cette personnalité qui m’intéresse, donc. Nul voyeurisme ou exhibitionnisme dans le refus du procès à huis clos. C’est seulement quand ces terribles affaires seront PUBLIQUES que les choses peuvent changer… Un jour.
    Christine

  5. Avatar de Kalmia
    Kalmia

    Bonjour !

    Belle saison d’automne à tous, cet andante mélancolique si cher à la dame de Nohant qui en savait des choses !

    Enfin, il a parlé, pour presque tout nous dire, notre J-FR national du blogue du randonneur pensif.

    Il n’y a rien à ajouter et pourtant…

    Comment aller au delà, rester dans le sujet en essayant d’apporter quand même quelque chose ?

    Au risque de faire endêver notre randonneur pensif au large chapeau, je vais revenir derechef, à l’intérieur des terres, aux gens d’en bas, les sans lettres, les sans -grades, gens silencieux sans importance.

    Entre deux bottes de foin sous une grange, on pourrait imaginer un gentil cénacle sous l’autorité de Monsieur J-F R par exemple, avec à ses côtés des universitaires lyonnais, tels Mme Kopecka, M.Parrochia et quelques autres, tous fins penseurs, sans oublier le maître qui, avec Régis Debray, a organisé à Paris, un jour d’hiver, un petit colloque sur « Éros aujourd’hui », il y a quelques années.

    La revue « Médium, n° 46/47 (premier semestre deux mille seize) sous la direction de Pierre-Marc de Biasi nous dit tout, tout, tout sur la chose sans oublier le con d’Irène dévoilé comme de bien entendu par Monsieur Daniel Bougnoux.

    Oui, mais le pauvre paysan du cru qui lit, entend tous ces mots des gens de la ville, se pose quand même une sacrée question.

    Vous êtes bien savants, Mesdames et Messieurs, mais le rideau tombé, vous nous laissez sur notre faim, notre fin.

    Quid, messires, du « superbe spectacle de l’amour » ? Oh, je sais ce que va nous dire l’arlequin du blogue qui n’en rate pas une ! « La courbure de l’espace-temps » par lettres interposées. Ben voyons !

    Seulement cette étonnante coïncidence, Monsieur le psychanalyste, nous laisse Gros-Jean comme devant.

    Et les villageois qui en ont vu passer d’autres, dont un chef de gouvernement, dans leurs granges de France et de Navarre, ne sont pas tous du genre à gober, bouche bée, les phasmes et fantasmes qui passent par-dessus leurs têtes, palsambleu!
    N’allons surtout pas croire que ce mal innommable qui s’en prend à la liberté de l’autre dans ce qu’il a de plus intime n’existe ni peu ni prou dans les classes sociales mal endentées !
    Il est hélas partout et c’est une banalité que de le redire ! Des pourcentages affreux sur les comportements de nos contemporains, nous en disent long sur la crise morale qui traverse les familles de notre douce France, chantée par le poète.
    Mais bon, revenons sous la grange avec nos gens instruits qui trouvent le spirituel et le réciproque dans le lien érotique que peut représenter, peut-être, un bronze étrusque d’un musée de Florence, par exemple.
    Oui et alors, répliquent de conserve les braves gens qui sont censés ne point raisonner de travers ?
    Le maître, s’il est là, leur dira que c’est avec le couteau des mots d’arracher le sujet englué dans la fascination d’un
    réel mortifère, tout en nuançant son optimisme intellectualiste sur la théorie des médecins du divan.
    Belle image en effet d’une France réunie sous la coupole de l’imaginaire, mais qui peut y croire ?
    Le petit peuple assis sur ses bottes de paille ne cherche pas les selfies…Il voudrait une autre photo, celle qui au delà des mots fait voir quelque chose, telle la trace de l’esprit, une ombre, un spectre, démon et ange à la fois.
    Les gens d’en face qui parlent de « destinerance » ne l’ont pas dans leurs cahiers, fussent-ils de médiologie.
    Pour trouver telle image, peut-être faudrait-il prendre un autre chemin…Un chemin qui a un cœur.

    « Éros ou Cupidon » contiennent dans leurs treize lettres le « poison du cœur »
    Changer le poison en remède…
    Psyché es-tu là ? Au pays des merveilles…

    Kalmia

    1. Avatar de Daniel Bougnoux
      Daniel Bougnoux

      Merci Kalmia pour ces anagrammes toujours stupéfiantes ! Et qui émaillent ces commentaires comme autant de galipettes verbales. À propos de mots, je crois que Derrida écrivait « destinerrance », dans le contexte de sa réponse (polémique) au Séminaire sur La Lettre volée de Lacan, auquel il opposait l’idée, très juste, que là où l’écriture intervient il y a toujours un risque d’errance ou de dérive, de « misdirection » (risque déjà clairement formulé par Socrate dans le Phèdre de Platon). Bref que toute écriture est tordue, ou tordante – ce que démontrent aussi vos chères et précieuses anagrammes…

  6. Avatar de JFR
    JFR

    Le Monde daté du 22/23 septembre se fait l’écho du voyeurisme que l’on dénonce dans ce procès. Le prétoire s’est transformé en un véritable peep show. La diffusion des vidéos qui montre le corps inerte de Mme Pélicot dans toutes les positions sexuelles possibles a semblé nécessaire à l’avocat général Jean-François Mayet pour confondre les accusés. Stéphane Babonneau, avocat de Gisèle Pélicot, a soutenu cette demande. Beatrice Zavarro, avocate de Dominique Pélicot, n’y a pas vu d’inconvénient. En revanche ses confrères en défense des cinquante coaccusés ne sont pas de cet avis. « La justice pour bien passer n’a pas besoin d’un déballage porno-criminel, nauséabond, qui confine à une certaine forme de voyeurisme », affirme l’un d’entre eux. Après réflexion Robert Arata, président de la cour criminelle du Vaucluse, a tranché. « Les diffusions ne seront pas systématiques », décide-t-il. « Elles se feront à la demande de l’une ou l’autre des parties dans le but unique de la manifestation de la vérité ». « Ces images sont indécentes et choquantes ». « Je ferai évacuer la salle », a-t-il ajouté.
    Permettre au public d’assister à la projection du calvaire de Me Pélicot est d’une grande indécence et évoque un autre âge, celui où la foule se pressait place de Grève pour voir les suppliciés. C’est en 1939 que le gouvernement Daladier interdit enfin les exécutions publiques en France. On a parlé de kermesse et de liesse populaire à l’occasion de ces exécutions capitales. Ne sommes-nous pas dans la même ambiguïté ? Ces scènes qui nous révoltent sont les mêmes que celles dont on peut se repaitre sur les sites pornographiques qui sont offertes à tous.
    Les mots ont bien leur sens, mais « l’on tord les signifiés de leurs signifiants », remarque Anetchka dans ce même billet. Les termes empruntés à la psychopathologie sont le plus souvent mal employés et mal compris. On ignore le plus souvent la pathologie que ces termes recouvrent. Pire, les mots employés sont le plus souvent les reflets d’idéologies ou d’étiologies fantaisistes. Il en va ainsi pour les mots « narcissisme, emprise, résilience ou psycho-traumatisme » que l’on entend partout. Boris Cyrulnik a fait une mise au point récente au sujet du mot « résilience » employé à tort et à travers. Un avocat de la défense a demandé à Mme Pélicot si elle était « exhibitionnisme » ! Qu’est-ce à dire ? Le terme valait comme accusation morale ou pénale. « Pervers narcissique », employé à tout bout de champs dans les divorces conflictuels, est devenu l’insulte définitive. Les termes de psychiatrie ont gardé toute leur valeur d’insulte et sont le plus souvent employé comme tels. On est parano ou bipolaire, c’est dire qu’on est dingue. Que valent dans un prétoire ces termes qui passent pour évaluation psychologique ! Que valent les notions de psycho-trauma et de mémoire traumatique quand elles enferment le sujet dans un trauma indépassable, comme certaines psys de la télé veulent le faire croire ?
    Poser la question de la causalité psychique comme le fait le Randonneur Pensif ouvre à toutes les interrogations, toutes les théories. La plus célèbre reste la théorie du trauma infantile, de l’empreinte laissée sur la psyché par l’infantile, décrit par Freud et la psychanalyse. Elle a inspiré les plus beaux scénarios d’Hitchcock avec La maison du Dr Edwards, Vertigo, ou Marnie. Mr Pélicot s’en est emparé avec sa formule : « On ne nait pas pervers, on le devient ». Il invoque des faits de violences qu’il aurait subi enfant. Cette assertion suffit-elle à le défendre, à tout expliquer ? Tous les enfants incestés et violés ne deviennent pas à leur tour des assassins. Le principal accusé du procès reprend sans vergogne la formule célèbre de Beauvoir : « On ne nait pas femme, on le devient ». Être femme (ou homme) ce n’est pas une donnée naturelle, c’est le résultat d’une histoire, expliquait Simone. Le « Wo es war, Soll Ich werden » freudien dit à peu près la même chose. « Là où était le ça, le Moi-Sujet doit advenir ». Là où l’enfant nait pervers polymorphe, l’adulte se doit d’advenir. Le stade de la compassion permet la reconnaissance de l’autre comme sujet. Il interdit de traiter l’être humain comme un objet et de le dépouiller de son humanité.
    En 1946, Jacques Lacan faisait devant ses pairs une conférence sur la causalité psychique. Rejetant l’organo-dynamisme de Henri Ey, il soulignait comment la construction du sujet comme un autre portait en même temps sa propre aliénation. C’est dans l’autre que le sujet s’identifie et même s’éprouve tout d’abord, écrivait-il. Toute la dialectique du maitre et de l’esclave s’y retrouve. Quelles identifications secrètes gisent dans les jeux sexuels pervers de Mr Pélicot ? Je relève une phrase de Lacan, jadis soulignée par l’étudiant que je fus, et que j’offre au Randonneur, grand spécialiste d’Aragon fasciné par La mise à mort. « Quand l’homme cherchant le vide de la pensée s’avance dans la lueur sans ombre de l’espace imaginaire, en s’abstenant même d’attendre ce qui va en surgir, un miroir sans éclat lui montre une surface où ne se reflète rien ». (Écrits. p 188).

    1. Avatar de Daniel Bougnoux
      Daniel Bougnoux

      Bien d’accord avec toi cher JF ! Je ne suis pas suspect moi-même de lancer au hasard de grands mots psys, de barboter dans cette culture de Trissotin ! Restons calmes et tentons de serrer un peu mieux les faits… Je ne connaissais pas la citation de Lacan, mais elle évoque évidemment celle qu’il donne d’un extrait du Fou d’Elsa dans Le Séminaire XI je crois (impossible de vérifier, j’ai donné jadis toute la bibliothèque psy de Françoise), « Vainement ton image arrive à ma rencontre / (…) Je suis ce malheureux comparable aux miroirs / Qui peuvent réfléchir mais ne peuvent pas voir / Comme eux mon oeil est vide et comme eux habité / De l’absence de toi qui fait sa cécité ». Je n’en finirai JAMAIS avec Aragon ? Mais en quoi cela concerne-t-il D. Pélicot ? Quelles lumière projeter sur ce funeste scénario pervers ?

  7. Avatar de Kalmia
    Kalmia

    La lettre envolée

    La lettre s’est envolée, mon bon maître, alors qu’elle était là en fin de ligne, au chapitre de « La photographie au défi », page 141 de votre recueil où le revenant du milieu, nous hante.

    Mais comment s’envoler sans elle, la lettre « l », qui s’est plu à prendre la clé des champs dans la belle citation que vous faites, page 142 de « Médium » n°6, du « Phèdre » de Platon, dans l’expression « plus de science » qui a perdu son  » l » palsambleu !

    On dira que c’est la faute d’Épiméthée.

    Bonne soirée

    Cordialement

    Kalmia

  8. Avatar de Gérard
    Gérard

    Bonjour !

    Je me permets de reproduire ici fidèlement par un copier-coller, la citation de Monsieur J-F R :

    « Le « Wo es war, Soll Ich werden » freudien dit à peu près la même chose. « Là où était le ça, le Moi-Sujet doit advenir »

    Ce célèbre aphorisme qui clôt la 31 ème des Nouvelles conférences de 1932 laisse place, paraît-il, à diverses interprétations, comme celle-ci, anonyme, trouvée sur internet :

    « Freud ne dit pas que le moi va où était le ça ; pour indiquer une idée de direction, l’allemand ne peut se contenter du seul Wo, il doit ajouter un -hin »

    Un blogueur de ma connaissance proposait, hier à ses lecteurs de répondre à la question :

    « Comment ça va ? »

    Parlez-moi de « ça », c’est intéressant, n’est-ce pas?

    Finalement, Monsieur J-F R, propose au randonneur pensif une phrase tirée des « Écrits », page 188.

    Dans mes deux livres « Écrits I » et « Écrits II » (1966, Seuil) cette phrase n’y est pas et le psychologue M Dario Moralès se trompe quand il écrit :

     » Et c’est donc dans l’article de 1949 sur le « stade du miroir comme formateur de la fonction du Je » que Lacan aura fait un pas supplémentaire. Il écrit « quand l’homme cherchant le vide de la pensée, s’avance dans la lueur sans ombre de l’espace imaginaire en s’abstenant même d’attendre ce qui va en surgir, un miroir sans éclat lui montre une surface où ne se reflète rien ».

    Il semblerait qu’elle se trouve au Chapitre III. La passion de Narcisse.

    « Propos sur la causalité psychique » prononcé aux Journées Psychiatriques à Bonneval le 28 septembre 1946 et paru dans l’Évolution Psychiatrique, 1947, fascicule I, pp 123-165 (sans l’allocution de clôture).

    Messieurs les savants qui lisez beaucoup de livres, parlez-moi de lui, ce « lien nécessaire » entre le moi isolé et l’univers qu’il cherche à rejoindre; c’est ça qui est intéressant, n’est-ce pas ?

    Bonne journée

    Gérard

  9. Avatar de Anetchka
    Anetchka

    A lire la grande diversité des réactions, sur ce blog même, que suscite le retentissant procès Mazan, et la recherche éperdue des causalités, chacun apportant son éclairage selon son domaine de spécialité, ses lectures, et son expérience, la seule attitude à tenir semble être pour moi celle que formulent un Primo Levi (Si c’est un homme) ou un Soljenitsine (l’Archipel du Goulag). « L’Enfer du pourquoi » comme dit le premier, essayer de comprendre a cédé la place plus modestement à une approche de l’origine des problèmes. « Détecter une ombre, un spectre », comme l’écrit prudemment Kalmia.
    Ces grands écrivains et témoins des tragédies où l’homme fut transformé en objet par l’homme, à une échelle massive, n’incriminent pas le seul carcan totalitaire comme source du mal. Ils interrogent la CONSCIENCE, et n’ont de cesse de montrer des hommes debout, non complices, résistant à la fatalité du rouleau compresseur. Des « Monsieur tout le monde » (en inversant la formule douteuse), hommes debout venant de toutes les strates de la société sous le joug.
    Alors à fortiori, en une échelle de Richter un peu moins haute, dans «  la crise morale qui traverse notre douce France «  (Kalmia encore) , il serait tellement réducteur de faire ici le seul procès du patriarcat (comme insiste Christine). Ce dernier prévalant sur la planète (nos dernières illusions d’´attestations de matriarcat ont été balayées par les anthropologues), on peut sûrement travailler les esprits chez nous, déjà, pour diminuer les ravages de toute cette part qui demeure dans nos mœurs et mentalités. C’est ce à quoi vise un tel procès public. Quant à éradiquer le système qui s’impose sur d’immenses aires géographiques de manière radicale, dans une société ouverte comme la nôtre….Les procès moins spectaculaires et pas méticuleusement prémédités certes, autour des victimes de viol (avec récidive ou pas, avec meurtres souvent), Lola, Claire ou Philippine sont là pour nous montrer que l’échelle de temps risque d’être longue.
    Et pour ce qui est des causalités du passage à l’acte, chaque cas doit être examiné par les experts psychiatres et psychanalystes, comme JFR nous invite à le faire, avec beaucoup de sérieux, d’amplitude, , et sans généralisation abusive. « Monsieur tout le monde » est vide de sens.
    Sortant vivant du broyage de l’être humain: « Aucun d’entre nous n’est obligé d’être complice » rappelait Soljenitsine »…

  10. Avatar de JFR
    JFR

    (Suite)
    Me voilà doublement interpellé sur ce blog, et par Daniel et par Gérard, dont j’apprécie particulièrement le retour sur les « Écrits » de Lacan comme sa lecture précise du texte freudien. Je leur réponds avec d’autant plus de plaisir que leurs questions touchent au regard et à la fonction scopique. La phrase de Lacan citée plus haut, aussi sibylline que poétique, fut formulée en 1946 aux journées psychiatriques de Bonneval dans un texte intitulé « Propos sur la causalité psychique ». Elle figure page 188 dans « Les Écrits » publiés en 1966. La formulation résonne étrangement avec le poème d’Aragon « Le contre-chant » paru dans « Le fou d’Elsa » en 1963 que Lacan cite entièrement au début de son séminaire du 20 février 1964. Lacan lisait donc Aragon. Cette séance fait partie du Séminaire XI « Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse », paru au Seuil en 1973. C’est dans ce Séminaire que Lacan développe la question du regard comme objet petit a, de la schize entre l’œil et le regard, en citant Valery et La jeune Parque : « Je me voyais me voir ».
    « Funeste scénario », indique Daniel à propos du voyeur de Mazan, « Qu’en pensent les psychanalystes ? ». Il me semble que l’instruction va suivre elle-même les fantasmes de Mr Pelicot et leurs mises en acte criminelles, en visionnant les vidéos déjà enregistrées et classées par le prévenu. Les scénarios fétichistes sont souvent répétitifs et ritualisés. Mr Pélicot semble trouver sa jouissance au travers d’un autre corps qui prendrait sa place dans le lit conjugal. Les clubs échangistes vivent de ce type de permutation. « Changer de lit, changer de corps, tout est affaire de décor/ A quoi bon puisque c’est encore moi qui moi-même me trahis, qui me traine et m’éparpille… », écrit Aragon qui a du connaître les errances d’un moi clivé et fragmenté pas seulement dans le miroir. Les miroirs Brot ont trois faces. Qui suis-je et combien est-on dans l’acte sexuel ? Freud expliquait à son ami Wilhem Fliess que dans l’acte sexuel on était quatre. Si l’on est à la fois homme et femme dans l’amour, alors on peut partager et faire varier le plaisir. Et ceci bien entendu jusqu’à l’extinction du plaisir, jusqu’à la mort. Dans le miroir de « La mise à mort » Aragon se voir disparaître jusqu’à vivre des expériences d’hallucination négative. Dans quels miroirs sans tain le prévenu de Mazan devait-il se projeter pour lui permettre d’y faire disparaitre jusqu’à son humanité ?
    « Je me voyais me voir » dit La jeune parque. Dans toute sa féminité, dans toute sa néantisation. La réflexion réfléchissante va-t-elle faire jusqu’à faire disparaitre le sujet ? Je renvoie Gérard, grand lecteur de Lacan, au passage où celui-ci traduit à sa manière le « Wo Es war… ». C’est dans les « Écrits » au chapitre de « La chose freudienne », page 417. « Le moi n’est pas le sujet ». « Le moi est constitué en son noyau par une série d’aliénations aliénantes » écrit Lacan. A quelles figures aliénantes le violeur de Mazan était-il assujetti ? Dans « La chose freudienne » on peut lire encore : « Ça parle, là où ça souffre… ».

    1. Avatar de Daniel Bougnoux
      Daniel Bougnoux

      Que d’érudition mes amis !

  11. Avatar de Aurore
    Aurore

    Bonjour tout le monde !

    Je ne dis pas « Monsieur Tout-le-monde » Anetchka, dont le mélange des lettres le désigne du doigt :

    « Tu es le mouton endormi ». Je m’adresse, bien sûr, à des lecteurs éveillés des troupeaux de l’aurore.

    Je me doute bien que notre cher maître ne sera pas content et j’imagine déjà son ire face ce déferlement de mots en ce commentaire. J’espère qu’il ne va pas me rayer de son blogue et téléphoner à mon patron du supermarché où je suis simple caissière, pour délit de harcèlement textuel.

    Vous avez vu avec cette pauvre Kalmia de Césarée qu’il a repris tout de go pour l’oubli d’une lettre dans un mot de tous les jours ! Laissons la lettre à son instance et brisons là.

    J’ai bien lu la très belle et pertinente réponse de Monsieur J-F R. Aussi, j’aimerais apporter quelques petites précisions sur les citations faites.

    « De toutes façons sans même avoir à confirmer par la critique interne de l’œuvre de FREUD qu’il a bien écrit Das Ich und das Es pour maintenir cette distinction fondamentale entre le sujet véritable de l’inconscient et le moi comme constitué en son noyau par une série d’identifications aliénantes, il apparaît ici que c’est au lieu : « Wo », où Es : sujet dépourvu d’aucun das ou autre article objectivant, war : « était », c’est d’un lieu d’être qu’il s’agit, et qu’en ce lieu : soll, c’est un devoir au sens moral qui là s’annonce, comme le confirme l’unique phrase qui succède à celle-ci pour clore le chapitre [« Es ist Kulturarbeit etwa die Trockenlegung der Zuydersee.], Ich, je, là dois-je (comme on annonçait : ce suis-je, avant qu’on dise : c’est moi), werden, devenir, c’est-à-dire non pas survenir, ni même advenir, mais venir au jour de ce lieu même en tant qu’il est lieu d’être.(Écrits I, page 226) (identifications et non aliénations)

    « Car ce sujet dont nous parlions à l’instant comme du légataire de la vérité reconnue, n’est justement pas le moi perceptible dans les données plus ou moins immédiates de la jouissance consciente ou de l’aliénation laborieuse. Cette distinction de fait est la même qui se retrouve de l’a de l’inconscient freudien en tant qu’il est séparé par un abîme des fonctions préconscientes. » (Écrits I, page 226)

    « On se prenait seulement à répéter après FREUD le mot de sa découverte : « ça parle », et là sans doute où l’on s’y attendait le moins, là où ça souffre. » (Écrits I, page 222)

    « Le sujet en effet n’est pas le moi. Dans le moi, on se reconnaît, on se mire, voire on s’admire.(L’inconscient lacanien : une béance, page 2, Élisabeth Pontier),

    Concernant les citations de Louis Aragon lors du séminaire XI du 22 janvier 1964 :

     » Mesdames, Messieurs, pour commencer à l’heure, pour vous permettre aussi de prendre place, je vais commencer mon propos d’aujourd’hui par la lecture d’un poème qui, à la vérité, n’a aucun rapport avec ce que je vous dirai, mais un certain rapport… et je crois même que certains en retrouveront l’accent le plus profond …avec ce que j’ai dit l’année dernière7 , dans mon séminaire concernant l’objet mystérieux, l’objet le plus caché : celui de la pulsion scopique.

    Il s’agit de ce court poème qu’à la page 70 du Fou d’Elsa, ARAGON intitule Contre-chant :

    Vainement ton image arrive à ma rencontre

    Et ne m’entre où je suis qui seulement la montre

    Toi te tournant vers moi tu ne saurais trouver

    Au mur de mon regard que ton ombre rêvée

    Je suis ce malheureux comparable aux miroirs

    Qui peuvent réfléchir mais ne peuvent pas voir

    Comme eux mon oeil est vide et comme eux habité

    De l’absence de toi qui fait sa cécité  »

    (…)
    Ils saisiront, je pense, ceux-là – je m’excuse d’être aussi abrégé, elliptique, allusif – ils saisiront la saveur du fait qu’ARAGON dans cette œuvre admirable où je suis fier de trouver l’écho des goûts de notre génération, celle qui fait que je suis forcé de me reporter à mes camarades du même âge que moi pour pouvoir encore m’entendre sur ce poème d’ARAGON, qu’il fait suivre de ces lignes énigmatiques :
    « Ainsi dit une fois An-Nadjî comme on l’avait invité pour une circoncision »

    Au sujet de la citation de Paul Valéry lors du séminaire XI du 26 février 1964 :

    « Je me voyais me voir », dit quelque part La Jeune Parque. Assurément cet énoncé a son sens, plein et complexe à la fois, quand il s’agit du thème que développe La Jeune Parque, à savoir celui de la féminité. Nous n’en sommes point arrivés là. Nous avons affaire au philosophe qui, lui, saisit quelque chose, dont on peut dire que c’est un des corrélats essentiels de la conscience dans son rapport à la représentation, et qui se désigne comme :

    « je me vois me voir ».
    Quelle évidence peut bien s’attacher à cette formule ? »

    Fin des citations.

    Vous dites « érudition », cher Monsieur Bougnoux.
    Mais enfin, voyez l’immensité de l’univers ! Que sait-on vraiment de l’essentiel, au delà des livres qui ne nous disent pas tout ?
    Encore une citation finale, à mon corps défendant, du « Nouvel esprit scientifique » de Gaston Bachelard :

    « Au fur et à mesure que les connaissances s’accumulent, elles tiennent moins de place, car il s’agit vraiment de connaissance scientifique et non d’érudition empirique, c’est toujours en tant que méthode confirmée qu’est pensée l’expérience. »

    Sur le tableau noir, j’écris ton mot, puisque j’en ai le droit : Rêver.

    Bon, je vous quitte, je reprends ma caisse dans une heure.

    En toute amitié

    Aurore

    1. Avatar de Daniel Bougnoux
      Daniel Bougnoux

      De JFR ou de la caissière, je ne sais lequel ou laquelle admirer davantage, la caissière-JFR 1/0, ou la balle au centre ?

  12. Avatar de Tvinpsy
    Tvinpsy

    L’affaire dite « des viols de Mazan » à l’occasion de l’orage médiatique qu’elle déchaîne provoque tant de réponses rapides ou conventionnelles et de points de vue péremptoires face à l’incompréhension première qu’elle suscite, que cela finirait par en effacer toute sa complexité. Car devant la question « comment une telle histoire est possible ? », mieux vaut essayer d’abord de poursuivre le questionnement et d’accepter l’incompréhension qu’elle entraine chez la plupart d’entre nous. Une incompréhension qui se déploie dans trois directions au moins.
    La première, qui peut paraitre choquante de prime abord en raison même de la figure centrale de la victime dans l’affaire, Gisèle Pelicot, consiste à poser cette question : comment cette femme a-t-elle pu être droguée, voire anesthésiée tant de fois, et ne s’être jamais rendu compte de rien ? C’est une question qui pour scandaleuse qu’elle puisse paraitre, agite cependant fortement les milieux médicaux et ceux de l’anesthésie en particulier. Arriver à placer quelqu’un dans un coma artificiel n’est pas si facile, nécessite une dose de drogues suffisantes et son action réitérée laisse des traces psychiques et provoque en général des interrogations : dormir même profondément la nuit ne donne pas les mêmes sensations au réveil que d’avoir été anesthésié. Si l’on devait démontrer que notre cerveau est un organe dont une des fonctions premières est d’éviter de penser et de préférer sans cesse mettre la poussière sous le tapis, on ne s’y prendrait pas autrement.
    La seconde tient évidemment à la personnalité de l’instigateur principal de l’affaire : Dominique Pelicot. « Pervers » ! a-t-on crié de tout côté, un diagnostic que l’accusé lui-même a repris à son compte dans un triomphal « on ne nait pas pervers, on le devient » qui, j’espère, marquera durablement les annales de la psychopathologie. Pervers, un diagnostic bien commode qui dit tout en n’expliquant rien. Un diagnostic qui, au fil du temps, se dégonfle comme un vieux pneu, en perdant depuis les catégorisations de Krafft-Ebing à peu près tous ses composants, à commencer par celui qui a tenu une place de choix dans le catalogue : l’homosexualité. « Pervers » un mot qui, comme presque tous les diagnostics est passé du stade de la catégorisation diagnostique, à celui de l’injure banale et banalisée escamotant toute tentative de définir un peu précisément un mode relationnel, voire un rapport au monde. (Il va de soi que la famille contemporaine normale est constituée à présent d’un père pervers narcissique, d’une mère bipolaire et d’enfants HPI.) Mais si donc on partait de l’idée que Dominique Pelicot n’était pas un pervers justement, ou pas seulement ? Le père et mari aimant d’un côté, et de l’autre celui qui installe la folie sexuelle d’un théâtre où les spectateurs sont invités à devenir les acteurs d’une jouissance avec la mort. (Il y a en effet peu de différence dans cette histoire avec la nécrophilie). J’ai cru déceler, mais je me suis peut-être trompé, un soulagement chez Dominique Pelicot dans le fait d’avoir été démasqué, et même d’avoir été mis en accusation, ce qui ne cadre pas avec le diagnostic classique de perversion. Même sa demande de pardon en ajoutant que ce qu’il a commis est impardonnable, témoigne d’un curieux espoir dans l’Autre auquel le pervers classique ne croit pas. Aussi ses actes méritent-ils mieux que d’être recouvert du diagnostic de perversion qui élude finalement tout effort psychopathologique un peu soutenu pour en rendre compte.
    Enfin, le troisième point concerne le déchainement médiatique que l’affaire entraine : une aubaine pour venir chanter les ritournelles militantes sur « les hommes tous coupables » afin d’escamoter là aussi comme le dit très bien Daniel Bougnoux, l’inhumain au cœur de l’humain. Soit le pacte diabolique de chacun avec l’ignoble ou l’ignominie. Et ce ne seront pas les effets de manches et les bons mots des différentes parties au sein du tribunal et de son double médiatique qui jetteront quelques éclaircissements sur l’affaire. À vouloir trop vite « comprendre », on dresse un tableau général des choses où surgissent l’innocente victime au centre et les hommes coupables autour, le bien sans cesse cerné par le mal (sans jeu de mots excessif sur ce dernier terme). Cela permet à chacun de rentrer chez soi rassuré : le mal a été circonscrit, identifié, isolé, on sait maintenant comment le combattre, et nous, les gens honnêtes et sans histoire, toujours du côté de la belle âme, ne sommes heureusement pas concernés par une abjection pareille. Il ne manquerait plus maintenant qu’on se retrouve avec des peintres assassins, des comédiens violeurs et des écrivains de génie mâtiné de canaillerie antisémite au sein de notre brave new world et qu’on se mette à découvrir qu’il y a un lien trouble avec les saloperies qu’ils commettent ou disent, et leur créativité ! Les humains sont essentiellement bons, ce sont les constructions sociales qui les pervertissent, cela va de soi et mieux en le répétant.
    À la fin (mais peut-il y en avoir une dans cette histoire ?) je ne ressens devant tout cela que chagrin et pitié. Chagrin pour Gisèle Pelicot, ses enfants et petits enfants qui vont relire leur passé à la lumière des actes de leur mari, père et grand-père, en s’apercevant que ce passé, leur passé, est une farce, et pitié devant ces hommes misérables qui ne peuvent aller quémander leur part de jouissance que dans un commerce désespéré avec un sujet réduit à une entité réifiée incarnant la mort. Il faut y voir sans doute là une forme renouvelée de la banalité du mal.

    1. Avatar de Daniel Bougnoux
      Daniel Bougnoux

      Magnifique commentaire cher Tvinpsy, je souhaiterais qu’il soit lu par tous, et suscite des développements ! Tu pointes en particulier très bien l’intrication d’eros est de thanatos dans l’attirance que tous ces « violeurs » durent éprouver pour une pareille copulation, et le vertige d’une pareille situation, ou « relation », à méditer par chacun…

  13. Avatar de JFR
    JFR

    J’ai réécrit et précisé mon intervention.
    Merci
    JFR.
    Me voilà doublement interpellé sur ce blog, et par Daniel et par Gérard, dont j’apprécie particulièrement le retour sur les « Écrits » de Lacan comme sa lecture précise du texte freudien. Je leur réponds avec d’autant plus de plaisir que leurs questions touchent au regard et à la fonction scopique. La phrase de Lacan citée plus haut, aussi sibylline que poétique, fut formulée en 1946 aux journées psychiatriques de Bonneval dans un texte intitulé « Propos sur la causalité psychique ». Elle figure, page 188, des « Écrits » publiés en 1966. La voici citée à nouveau : « Quand l’homme cherchant le vide de la pensée s’avance dans la lueur sans ombre de l’espace imaginaire, en s’abstenant même d’attendre ce qui va en surgir, un miroir sans éclat lui montre une surface où ne se reflète rien ».
    Cette formulation complexe et énigmatique résonne étrangement, me semble-t-il, avec le poème d’Aragon « Le contre-chant », paru dans « Le fou d’Elsa » en 1963. Lacan cite la totalité du poème d’Aragon dans son Séminaire du 20 février 1964 paru dans le Séminaire XI « Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse ».
    Vainement ton image arrive à ma rencontre
    Et ne m’entre où je suis qui seulement la montre
    Toi te tournant vers moi tu ne saurais trouver
    Au mur de mon regard que ton ombre rêvée

    Je suis ce malheureux comparable aux miroirs
    Qui peuvent réfléchir mais ne peuvent pas voir
    Comme eux mon œil est vide et comme eux habité
    De l’absence de toi qui fait sa cécité

    Même allusion au vide, à la lueur sans ombre, au miroir qui ne réfléchit pas et ne reflète rien. C’est dans ce Séminaire que Lacan développe la question du regard comme objet petit a, de la schize entre l’œil et le regard. Il cite aussi Valery et La jeune Parque : « Je me voyais me voir ». Autant de paradoxes, d’antithèses, d’oxymores, de figures de style cernant l’opposition ou le retournement en contraire.
    « Funeste scénario », indique Daniel Bougnoux à propos du voyeur de Mazan, « Qu’en pensent les psychanalystes ? ». Il me semble que l’instruction va suivre elle-même les fantasmes de Mr Pelicot et leurs mises en acte criminelles, en visionnant les vidéos déjà enregistrées et classées par le prévenu. Les scénarios fétichistes sont souvent peu inventifs, répétitifs et ritualisés. Mr Pélicot semble trouver sa jouissance au travers d’un autre corps qui prendrait sa place dans le lit conjugal. Les clubs échangistes vivent de ce type de permutation. « Changer de lit, changer de corps, tout est affaire de décor/ A quoi bon puisque c’est encore moi qui moi-même me trahis, qui me traine et m’éparpille… », écrit Aragon. Lui-même a bien connu les affres et les errances d’un moi clivé et fragmenté. Le miroir Brot qu’Aragon évoque dans La mise à mort a trois faces. Anthoine, Alfred et/ou Aragon ? Comment s’y retrouver ? Qui suis-je ? Combien est-on dans l’acte sexuel ? Freud expliquait à Wilhem Fliess que l’on était quatre quand on faisait l’amour. La bisexualité nous partage et nous voilà, chacuns, homme et femme dans le plaisir. Dans « La mise à mort », Aragon se voir disparaître jusqu’à vivre des expériences d’hallucination négative. Dans quels miroirs sans tain le prévenu de Mazan devait-il se projeter pour lui permettre d’y faire disparaitre jusqu’à son humanité ?
    Aragon parle admirablement des hommes-doubles dans La mise à mort. Il évoque le clivage, Jekyll et Hyde de Robert-Louis Stevenson dans son chapitre Le miroir Brot. « Stevenson a eu la première vue sur la duplicité de l’homme », « Les hommes-doubles, le bien et le mal, coexistent dans un même homme comme une alternative de l’âme et celui-là qui hait la guerre fait les gestes qui la déchaînent », écrit-il (Folio p 106). « De bons pères de famille », dit la presse…
    « Je me voyais me voir » dit La jeune parque. Dans toute sa féminité, dans toute sa néantisation. La réflexion réfléchissante va-t-elle jusqu’à faire disparaitre le sujet ? Toujours dans les Écrits, au chapitre « La chose freudienne » Lacan s’exerce à traduire le Wo Es war freudien (page 417). « Le moi n’est pas le Sujet » écrit-il. « Le moi est constitué, en son noyau, par une série d’identifications aliénantes » écrit-il. A quelles figures aliénantes le violeur de Mazan était-il assujetti ? Il évoque un viol subi par lui enfant. « Ça parle, là où ça souffre… »., écrit encore Lacan. Que n’eut-il écrit comme Kawabata, Les belles endormies. Un hymne à la beauté féminine. Un livre sublime sur la sublimation.

  14. Avatar de Jacques
    Jacques

    Vous avez dit sublime ? Oui, je sais, c’est votre dernier mot.

    On dira qu’il a sa place dans « L’âme atomique », mon bon seigneur.

    Kōzaburō Yoshimura a fait un film du roman dont vous parlez avec beaucoup de finesse.

    Du pays du soleil levant au bois de terres de France, elle chante la source…

    Légende et réalité. Le « Bois de Boulogne » a dans ses lettres une « Église du bonobo ».

    La luxure et la mort / Éros et Thanatos. À quoi bon, pérorer sur ça toute une éternité ?

    Attendre et espérer…Oui, Monsieur le comte, oui Mesdames et Messieurs les gens honnêtes.

    Faire…Oui mon Capitaine, mais quoi, au juste ?

    « Faites l’amour, pas la guerre » Par un hasard étonnant, l’anagramme du slogan nous dit que « L’orgasme apaisera le futur »

    Ce n’est sûrement pas en « Mouillant sa robe de bal » que « La Belle au bois dormant » (encore un renversement de lettres)

    va rouvrir les yeux.

    Rencontre de l’esprit et de la sève de l’espèce humaine. Il avait vu juste l’homme politique et visionnaire.

    Éducation, bien sûr ! Mais qui

    éduquera les éducateurs ?

    Bonne nuit étoilée

    Jacques

  15. Avatar de Anetchka
    Anetchka

    En lisant ces passionnants développements, et dernièrement celui, remarquable, de Vinpsy, qui ouvre d’immenses champs d’exploration, il me revient la phrase d’un astrophysicien : « Plus la recherche progresse, plus on perçoit l’étendue de notre ignorance ». Un gouffre nous sépare encore de la connaissance des tréfonds obscurs de l’âme humaine….

    Finalement, les deux maestri de l’anagramme: Kalmia et Aurore, nous viennent en consolation avec toute une magie de sens cachés quasi kabbalistiques, vraiment éblouissants:
    « Monsieur tout le monde ——>Tu es le mouton endormi ».
    « Mouillant sa robe de bal —-> La Belle au Bois dormant »… et autres pirouettes de haute voltige!

    On rêverait que tout soit affaire d’encodage et de décodage à simple, double ou même triple clé…

  16. Avatar de JFR
    JFR

    29/9/24
    (suite)
    Daniel Bougnoux nous demande que l’on lise attentivement le billet de Tvinpsy et que l’on puisse lui réponde. Il a raison car les commentaires que l’on peut y lire posent des questions essentielles. Celles-ci renvoient non seulement aux faits du procès de Mazan mais aussi aux notions ou aux concepts dont nous nous servons, dans la presse comme dans le prétoire, pour décrire le fonctionnement mental des accusés et au-delà de leurs personnes de la psyché humaine. On peut constater à cet égard combien le sens des mots diffère selon les locuteurs et combien les notions que l’on emploie pour caractériser les mouvements de la psyché diffèrent dans leurs significations. Il en va ainsi pour les mots « perversion » ou « pervers narcissique » employé à tout bout de champ pour exprimer l’ire que l’on ressent vis à vis d’autrui, du mot « pulsion » confondu avec impulsion, du mot « résilience » galvaudé et surtout du terme « emprise » dont on ignore le sens véritable et la beauté pour qualifier tous les assujettissements. Remarquons aussi que beaucoup de ces termes sont issus du corpus freudien si décrié aujourd’hui et qu’ils sont passés dans le langage courant.
    Le premier point du billet de Tvinpsy questionne les sommeils comateux de Mme Pélicot et leur pouvoir d’insensibilité, le second interroge la notion de perversion, le troisième pose la question du mal. Considérons d’abord le premier point. L’instruction, les experts en neurologie, en neuroscience, en psychiatrie et en pharmacologie, auront à qualifier l’état de conscience exact de Mme Pélicot au cours des viols qu’elle a subis. Tvinpsy n’a pas tort de s’interroger sur ce point. On ne peut que s’étonner, en effet, qu’un sujet humain ait pu être ainsi berné pendant dix ans, qu’il ait subi tant de sévices sans rien en ressentir, sans rien en reconnaître les effets. Une histoire à dormir debout, pourrait-on dire, sans aucun l’humour. Hypnos est au centre et nous avons à nous interroger sur la fonction du sommeil. Les spécialistes des benzodiazépines, des psychodysleptiques et des états modifiés de la conscience seront convoqués à la barre. Dommage que l’on ne puisse également convoquer Charcot et Bernheim, Breuer et Freud, et certains écrivains comme Barbey d’Aurevilly, pour nous parler de l’hystérie, des états hypnoïdes et du sommeil hypnotique. Soyons clair ! Je ne récuse aucunement l’authenticité de la plainte de Mme Pélicot ni les conduites criminelles de ses violeurs, mais je souhaite interroger la science du sommeil pour nous mieux connaitre les états vigiles et les états d’inconscience, les états modifiés de la conscience et mieux comprendre le fonctionnement de la psyché. « Comment ça marche, une tête ? », questionne le Randonneur.
    Les écrivains, une fois encore, nous sont ici d’un grand secours. Une nouvelle de Barbey d’Aurevilly, Une histoire sans nom, nous permet de mieux situer le débat. Le Professeur Jean Bernard, fondateur de l’hématologie moderne, s’en est servi pour décrire le syndrome de Lasthénie de Ferjol. Lasthénie, dans la nouvelle de Barbey, est une jeune fille qui vit un deuil pathologique après la mort de son père et qui est violée pendant son sommeil, au cours d’un accès de somnambulisme, par un capucin, le père Riculf (anagramme de Lucifer). Elle accouche d’un enfant mort et, pour se punir, elle se soustrait du sang, tout en le déniant, d’où une anémie hypochrome sévère qui la conduit à la mort. Le Pr Jean Bernard s’est servi de cette nouvelle de Barbey pour décrire les femmes qui sont dans le déni de la mort (comme les anorexiques) et qui se soustraient du sang tout en le niant ou le déniant, et qui arrivent en urgence à l’hôpital, exsangues, sans avoir conscience, du moins en apparence, de leurs conduites mortifères. Innombrables sont les patientes appelées hystériques, au temps de Charcot, Bernheim, Freud et Breuer, qui présentaient des états hypnoïdes, des moments de catalepsie ou, comme Lasthénie de Ferjol, des états de somnambulisme, et dont on peut lire les observations à l’époque. Dans une lettre que Freud adresse à Wilhelm Fliess, le 16 janvier 1899, il est question d’une « jeune femme, qui tombe dans un sommeil pathologique, au moment du coït, pendant lequel elle parle comme si elle était en état d’hypnose. Ensuite, amnésie totale de tout ce qui s’est passé », écrit Freud (S. Freud La naissance de la psychanalyse. PUF 1956 p.243). Certes, ces états d’hypnose ou hypnoïdes vécus par ces sujets ne sont pas de même nature que l’anesthésie provoquée par le chloroforme ou par l’éther, encore moins par l’ingestion du GHB, la pilule du violeur, ou par l’absorption de somnifères à haute dose dans le but d’endormir le sujet, mais ils méritent cependant d’être rappelés lorsque l’on cherche à comprendre comment on a pu disposer d’un corps sans que celui-ci ne s’en aperçoive.
    Deuxième point. La notion de perversion elle aussi prête à toutes les interprétations. Cette notion clinique ne s’est jamais débarrassée du jugement moral qui, lui est attachée. Un pervers est d’abord quelqu’un qui dévie de la voie commune et qui doit donc être condamné. Mais qu’est-ce qu’un pervers ? Tvinpsy remarque judicieusement que les homosexuels ne sont plus considérés comme des pervers, du moins dans les pays démocratiques. La loi 82-683 du 4 août 1982 a, en effet, dépénalisé en France l’homosexualité et d’autres réformes ont suivi. Les couples homosexuels peuvent se marier et avoir des enfants ou en adopter. Cependant, dans d’autres pays, ils sont sanctionnés ou punis de mort. La notion de perversion est donc toute relative. Dans la préface qu’il écrivait en1920 pour les « Trois essais sur la théorie de la sexualité », parus en 1905, Freud remarquait que « personne ne peut se former un jugement sur ces sujets (la sexualité) qui ne soit déterminé par ses propres antipathie et ses préjugés ». Il en va ainsi aujourd’hui pour la notion de transidentité pour laquelle nos opinions et nos savoirs ont considérablement évolués. Le mot « pervers » a perdu aujourd’hui de sa spécificité et cache difficilement sa connotation morale. Surtout dans un prétoire… (à suivre).

  17. Avatar de Aurore
    Aurore

    Bonjour !

    Le temps est maussade et la campagne semble triste.

    Une occasion pour relire vos billets, cher Maître, et les commentaires qui suivent.

    Telle une araignée de légende tissant le ciel de ma nuit, votre blogue m’apporte quelque chose comme de « la lingerie fine » dont l’anagramme se révèle « légère à l’infini ». Quelque chose qui ne pèse ni ne pose.

    Je vois cette demoiselle ou libellule aux élytres bleutés virevolter sur l’étang mystérieux de la pensée complexe.

    Elle porte un nom : ANETCHKA. Il y a dans ce mot quelque chose qui chante. Le qui chez les indiens se nomme ka et chez les anciens égyptiens, le « ka chante ». L’anagramme, encore une fois est merveilleuse et révélatrice.

    Papillon butinant sur les fleurs des connaissances, cette belle-dame, telle la croyance littéraire, si chère au physicien,

    est fine mouche et ne se va sottement froisser les ailes au roc des choses établies par le savoir.

    Sa citation digne de Confucius en apporte la preuve.

    En cet espace, les résultats de la recherche scientifique se trouvent être de nature à lui laisser les profondeurs, nous dit le physicien qui pérorait avec Ondine, un soir, sur les berges d’un cours d’eau du Quercy.

    En ce lieu béni là, ses derniers mots furent ponctués d’un « ploutch! » sonore et une onde circulaire de belle ampleur se dessina sur la rivière.

    Un jour d’été, je suis allé sur place et j’ai rêvé, en longeant le ruisseau, du retour de la petite sirène, sans faire des ronds dans l’eau.

    Mais où la voir surgir, émerger, issir, cette voyageuse ultramarine dont j’ai lu les carnets et qui vise le « fond des choses » ?

    Aujourd’hui, en lisant Anetchka, je pense à ce lac inconnu où vivent des expressions sans rapport avec la pensée et qui par cela même la révèlent, écrivait Marcel Proust utilisant la métaphore dans « Le temps retrouvé ».

    « L’inconscient est un lac obscur » là où l’anagramme, par hasard, trouve un « blanc inconnu sous clé stricte ».

    Mon bon Seigneur, dans quelle maison dans la forêt trouver le serrurier qui va nous donner la clé du code ?

    Petite Poucette connaît le code, son auteur en a fait l’éloge entre le Ménon de Platon et le Ka des anciens égyptiens.

    Mais la clé, Messires, la clé, vers quel chemin bachelardien parsemé de cailloux blancs, la trouver dans quelque chaumière où vacille allègrement la flamme d’une chandelle ?

    Demain soir, avachis sur leurs canapés, ils seront des millions à regarder « L’amour est dans le pré » puisque le bonheur l’a quitté – le pré, à mille lieues de ce genre de conversation.

    Ainsi va la société du spectacle permanent. Comment ne point penser à la fable particulièrement instructive intitulée

    « Le villageois et le serpent » ?

    Quand « Le bonheur est dans le pré » « où le serpent dans l’herbe » se cache par anagramme, il ne messied pas de retourner aux sources pour voir ce qui se passe vraiment derrière le rideau des apparences.

    Le bonheur était dans le pré, titrait un auteur, connaisseur de la France, de ses mairies et de ses clochers.

    Il s’en est retourné, un jour, le brave, prié de laisser ses caméras à Paris et d’emporter quelques petites choses pour un élève « buissonnier » nommé François Dagognet auquel la revue « Médium » a consacré, une décennie plus tard, un numéro (48) entier.

    Ainsi va la vie…sous nos tristes tropiques.

    Pour la trouver ailleurs, il faut parfois débrancher tout !

    Bonne soirée avec ou sans télé.

    Aurore la caissière.

    1. Avatar de Anetcka
      Anetcka

      Les jours gris passent, ponctués de lueurs savantes projetées ici et là dans le labyrinthe de l’ »affaire ». Vinpsy et JFR en éclaireurs spécialistes, et l’anagrammiste en jeteur d’énigmes poétiques.
      Encore une jolie trouvaille :
      « L’inconscient est un lac obscur » —-> « Blanc inconnu sous clé stricte »…

      Ayant été, par une nouvelle pirouette, rebaptisée Ka-chante par Aurore, et par suite associée phoniquement au Ka des anciens Égyptiens, je vais faire un détour vers « l’écriture énigmatique » des Égyptiens pharaoniques, qui eux aussi jouaient si finement avec le rideau des apparences.
      Dans cette tradition d’écriture cryptographique, royale ou privée, on détournait malicieusement les hiéroglyphes officiels dans diverses cérémonies. Soit dans l’intention de brouiller les pistes d’un texte en le réservant secrètement à des initiés; soit au contraire dans le but d’ inciter le public à lire un texte en le présentant sous forme d’énigme pour exciter sa curiosité par effet de surprise. Le malicieux scribe procédait comme Kalmia et Aurore par permutation – de hiéroglyphes-, ou encore par renversement des signes, par adjonction de segments, ou par suppression, ou bien par substitution de signifiants ou de signifiés. Pour opacifier encore un peu, il introduisait des chiffres et fabriquait des rébus.
      Ainsi, il arrivait que sous une banale et ennuyeuse formule funéraire, se tapissait dans l’ombre un licencieux énoncé, réactivant les esprits endormis (dans certaines périodes de déclin).
      D’ailleurs, par des procédés analogues, et pour les deux visées opposées, là aussi (fermeture ésotérique ou ouverture pour réactiver les esprits), les Kabbalistes du monde hébraïque exploraient l’écriture et le code pour explorer la réalité et agir sur elle. Avec à l’appui des figures à caractère quasi-hypnotique…

      En somme, des proto-virtuoses de la manipulation du son et de l’image, et « un recueil des manifestations obliques » cher au disciple de Bachelard cité par Aurore …

  18. Avatar de JFR
    JFR

    (suite) Pour Freud, la disposition à la perversion est bien la disposition générale de la pulsion sexuelle laquelle ne devient normale qu’en raison des inhibitions psychiques qui surviennent au cours du développement. D’où sa formule célèbre : « La névrose est le négatif de la perversion ». (Freud. Trois essais sur la théorie de la sexualité. Gallimard. 1962 p 54 et 145). De fait les psychanalystes sont bien en peine de définir la perversion, la plupart de leurs patients (et des êtres humains) décrivant une variété infinie de scénarios érotiques, d’objets fétiches, de jeux sadomasochistes, qui sont autant d’espaces privés de leur vie amoureuse mais qui ne sont ressentis ni comme compulsifs ni même indispensables pour atteindre le plaisir sexuel. (Joyce Mac Dougall in Dictionnaire international de la psychanalyse. De Mijolla et coll. Calmann-Levy). Nombre d’auteurs gardent cependant au mot perversion, sa connotation péjorative en ce qu’il évoque la perversité et un penchant vers le mal. Robert Stoller (1975) définit par exemple la perversion comme « la forme érotique de la haine », c’est-à-dire au désir de faire du mal à un autre. Cette définition rejoint le cadre juridique qui condamne toute relation sexuelle non consentie ou non responsable (avec un enfant ou un adulte perturbé), c’est à dire des relations au cours desquelles un partenaire est indifférent à la fragilité et au désir de l’autre. Le procès de Mazan le démontre amplement.

  19. Avatar de Tvinpsy
    Tvinpsy

    Merci d’abord à JFR de s’être donné le mal de lire mes quelques bredouillements, m’engageant à poursuivre ce que je n’avais qu’esquissé. (L’affaire est à la fois si complexe et, comme toute clinique si éclairante, qu’elle nécessiterait une discussion plus précise et argumentée que je ne le fais ici.) Et si le dispositif mis en place avec sa femme par Dominique Pelicot était avant tout une « installation » comme les affectionne tant l’art contemporain ? Une installation en trois parties Dominique Pelicot, lui-même dans le rôle (à l’insu de son plein gré, bien entendu) de l’« artiste », Gisèle Pelicot dans le rôle du (faux) cadavre et enfin le rôle des spectateurs appelés à devenir des « performeurs » dont la jouissance sexuelle fait partie de la réjouissance générale, y compris médiatique déclenchée par la révélation du dispositif inventé par Dominique Pelicot.
    J’exagère ? Oui, un peu, mais pas tant que ça.
    Y-t-il beaucoup de différences avec les dispositifs de certains performers contemporains. Je pense en particulier à Marina Abramovic qui met son corps nu à disposition de spectateurs, lesquels peuvent utiliser pour en jouir douze objets, dont des lames de rasoir et un revolver chargé. Selon Slate (https://www.slate.fr/culture/its-happening/rhythm-0-quand-marina-abramovic-risquait-peau-danger-peur-pistolet) certains des spectateurs-acteurs l’auraient tailladée, bu son sang, etc. À l’aune de ce type d’évènements, on est en droit de s’interroger…
    On arguera avec justesse que dans le cas des « viols de Mazan », une des protagonistes du scénario, en l’occurrence Gisèle Pelicot, n’était pas présente en tant que sujet (ce qui est loin d’être un simple détail) puisqu’elle était chargée d’incarner la mort, une fausse mort puisqu’elle ne l’était pas, et que son innocence à jouer ce rôle devait certainement renforcer encore la jouissance du mari et celles des comparses sollicités pour venir compléter les rôles d’acteurs-spectateurs que requérait ladite « installation ». (Encore que devrait être pris au sérieux, le fait que certains des violeurs ont déclaré qu’il pensait que dans la scène à laquelle ils participaient, Gisèle était complice de son mari.) Mais cette absence « in presentia » de Gisèle Pelicot est évidemment ce qui justifie le procès. Pour le reste…
    Pour le reste, cela donne à réfléchir sur les tours et détours d’un certain art contemporain qui, après le carré blanc sur fond blanc, n’a plus grand-chose à exposer, si ce n’est dévoiler son ressort ultime. Le montage pervers et quasi délirant de Dominique Pelicot l’indique de façon claire. Pour le dire (trop) vite : la part que recèle toute jouissance avec la mort. Tel semble le jeu anéantissant qu’il a voulu figurer.

    1. Avatar de Anetchka
      Anetchka

      Très loin des analyses expertes, n’ayant pas voix au chapitre sur ce point, il me semble en vous lisant tous qu’on ait affaire en somme ici à un processus de déshumanisation dans sa coloration particulière.
      La réification des êtres humains peut passer au pire par leur réduction à l’état d’insecte nuisible ou autre animal réputé tel, avant d’aboutir à l’état de « déchet biodégradable » (Elisabeth de Fontenay), dans les cas les plus tragiques. Échappatoire permettant au criminel de préserver une tranquillité de conscience, une justification de son acte, à supposer qu’une telle « conscience » n’ait pas été purement et simplement neutralisée par de complexes processus.
      La réification d’êtres humains, en l’occurrence ici des femmes dans leur écrasante majorité, passe par un état d’êtres inanimés, ou de parties du corps inanimés. Ceci à des fins de plaisir morbide émanant de certains hommes entrant dans la criminalité.
      A ce stade, un éclairage extérieur pourrait nous venir de certaines catégorisations existant un peu partout dans les langues du monde. Celle, obligatoire, d’un affixe « animé/ inanimé, accolé aux noms, un genre autre que sexué qui se surajoute à ce dernier. De multiples langues africaines possèdent de tels classificateurs, qui comportent leur part d’arbitraire tout autant que le genre masculin/ féminin chez nous, celui qui distingue « un tabouret » d’’ »une chaise ».
      Très intéressant cas est celui d’une langue exotique, de la famille algonquienne des hautes terres du Québec. En atikamekw, on distingue, là encore, des « noms animés » (personnes, animaux, arbres et plantes) des « noms inanimés » (objets). Or l’arbitraire décide ici qu’une « partie du corps » soit réputée « inanimée » tandis que le « pantalon » lui , soit vu comme « animé » !
      Échapper à toutes ces catégories , établies par convention (comme c’est le cas pour les langues) ou par les mentalités ambiantes, via une éducation très poussée, serait déjà un premier pas. De là à échapper à la criminalité, celle notamment qui concerne « l’affaire » ….

  20. Avatar de Alicia
    Alicia

    Bonjour chers amis du blogue !

    Quel succès pour notre maître avec cette pluie de commentaires !

    Des érudits poètes gradés et la petite caissière par-dessus le marché…Eh bien, pourquoi pas?

    Hélas, mille fois hélas, c’est à propos de choses ignobles.

    Un billet sur les crimes abjects de gens qui n’ont rien à faire chez nous et qui sont logés (parfois à l’hôtel), nourris, soignés par une politique qui a généré depuis des décennies, cette abominable situation, aurait-il le même morbide succès ?

    Des gens bien endentés et installés confortablement dans leurs beaux appartements ont peut-être une autre manière de voir, qui

    peut ne pas être celle de millions de personnes en colère, exaspérées par tant d’injustices et de laxisme sans nom.

    Sans nom…Revenons à cette histoire de Barbey d’Aurevilly cité judicieusement par l’excellent J-FR et à son commentaire du 29 septembre dernier.

    Ce jour-là, sur une chaîne de résistance, un prêtre exorciste du diocèse de Paris, Jean-Pascal Duloisy s’exprimait sur Satan dans

    l’émission ‘ »En quête d’esprit » en partenariat avec « La France Catholique » (Il fut un temps où j’étais abonné à cette publication hebdomadaire qui s’intitulait, à l’époque, « France Catholique Ecclesia » concomitamment à « La Raison » mensuel de la Libre pensée nationale, où j’ai signé quelques rares articles.

    En lisant le propos de Monsieur J-FR, je me suis aperçu que notre commentateur reprenait l’assertion de M.François Orsini qui, dans son article fort pertinent sur le satanisme dans l’œuvre romanesque de Jules Barbey d’Aurevilly, écrit que le Père Riculf est l’anagramme de Lucifer.

    Que nenni, mon Capitaine ! Il manque la lettre « e » au nom du capucin. L’anagramme de « Lucifer », en cherchant bien, je viens de la

    trouver, est « fier-cul » (orgueilleux) et non Riculf, palsambleu !

    Il ne s’agit nullement de marquer un point sur le terrain du débat, cela n’a aucun sens.

    Ce qui importe, ce qui nous intéresse, c’est d’essayer de comprendre, de « nous » comprendre. Pas facile, on le sait bien, mais bon !

    J’aimerais vous poser à vous, chers amis de si loin, une question sur l’absence de Barbey d’Aurevilly dans toute l’œuvre de

    Gaston Bachelard, alors que Stanislas de Guaita, auteur de « La clé de la magie noire », est mentionné, cité au chapitre sur Victor-Émile Michelet dans « Le droit de rêver ».

    G.Bachelard, référence de Philippe Richard dans « le corps et la parole : le statut problématique de l’incarnation, chez Barbey
    d’Aurevilly », est cité :

    « La réalité est faite pour « fixer » nos rêves » (La terre et les rêveries de la volonté, page 185)

    S’obliger et s’exiger, est-ce encore possible, chez le libertin et le bénédictin, tous deux nécessaires et indispensables l’un à l’autre,

    précise Michel Onfray, connaisseur du normand, dans son journal hédoniste?

    Propos de nature à « lyncher ma foi » (anagramme de « Michel Onfray ») dirait peut-être Monsieur l’abbé, chasseur de démons, sur le plateau de la même chaîne où officie Monsieur Onfray…

    Pas sûr !

    Bon, je vous laisse à votre réalité et moi je continue à relativiser la mienne.

    Bien à vous tous

    Alicia

    1. Avatar de Daniel Bougnoux
      Daniel Bougnoux

      Alicia, Je suis comme vous bien conscient de l’intérêt morbide qu’il y a à s’intéresser à l’affaire dite « de viols de Mazan », et plusieurs commentateurs soulignent ici même le danger des projections publiques des vidéos… Pourtant on ne peut mettre cette affaire sur le même plan que d’autres (que vous évoquez), elle interroge invinciblement par son obsession spectaculaire, D. Pélicot voulait avant tout donner à voir, dans le secret d’un cabinet très spécial de curiosités, où lui-même figurait en participant équivoque. La somme de paradoxes et d’intentions scabreuses ici mise en oeuvre attire invinciblement nos propres interrogations, sur les détours (les perversions ?) du désir sexuel, les compromissions du regard, la proximité d’éros et de thanatos dans la figure de cette quasi-morte, offerte ainsi à la copulation. Ces mises en scène intriguent, révoltent, subjuguent, et en effet nous com^promettent intimement, d’où dans doute une présentation des faits et une analyse ou psychanalyse des ressorts psychiques qui ne sont pas près de s’épuiser…

  21. Avatar de m
    m

    « Post coitum animal triste

    Ac post mortem inutilitas »

    (Anagramme)

    m

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À propos de ce blog

  • Ce blog pour y consigner mes impressions de lecteur, de spectateur et de « citoyen concerné ». Souvent ému par des œuvres ou des auteurs qui passent inaperçus, ou que j’aurai plaisir à défendre ; assez souvent aussi indigné par le bruit médiatique entretenu autour d’œuvres médiocres, ou de baudruches que je…

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À propos de l’auteur

  • Daniel Bougnoux, professeur émérite à l’Université Stendhal de Grenoble, est ancien élève de l’ENS et agrégé de philosophie. Il a enseigné la littérature, puis les sciences de la communication, disciplines dans lesquelles il a publié une douzaine d’ouvrages.

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