Le déroulé d’une carrière, s’il énumère quelques traits saillants d’une personne, n’en retiendra jamais l’essentiel. Qu’aurais-je dit si l’on m’avait prié d’évoquer Jean-François en ce matin du 31 août ? (Mais le programme de la cérémonie était déjà imprimé, et je n’ai pas osé demander la parole dans cette enceinte forcément solennelle.)
Les conversations qui ont suivi, à son domicile privé, m’ont révélé bien des aspects que je ne connaissais pas, que j’aurais aimé explorer avec lui. Que Jean-François avait soutenu sa thèse de lettres sur les Pères de l’Eglise (?) ; qu’il lisait et relisait, dans les dernières semaines de sa vie, Saint-Augustin. Qu’il animait chez lui un groupe de lectures ; que son auteur de prédilection, au long de sa vie, était resté Flaubert…
Nos études de communication sont fort loin d’engendrer une communauté, et la corporation de nos SIC, paradoxalement, apparaît toujours cloisonnée, ou dispersée en chapelles qui ne se parlent guère. Quand Jean-François a quitté la direction de notre UFR de Grenoble-3 pour rejoindre son université lyonnaise, je me rappelle le mot de Bernard Miège, « on ne va pas te laisser partir comme ça ». On va t’organiser une fête ! Y eut-il entre temps trop de querelles accumulées ? Ce samedi matin pour accompagner son départ, je me suis retrouvé le seul grenoblois (avec Françoise Séguy), tous les autres manquaient, ils laissaient bel et bien Jean-François « partir comme ça ». Incompréhensible !
Je ne connaissais pas moi-même assez bien Jean-François pour en parler en termes personnels, mais si j’avais pris la parole, ç’aurait été en revanche pour m’adresser à Annick Duchêne, sa compagne, qui fut aussi celle de mon ami Jacques Oudot. Que de souvenirs ressuscitent en moi ces noms ! Car Jacques s’est montré à mon égard d’une générosité exceptionnelle, d’abord dans le cadre du Patch-club, puis du Prix Rhône-Alpes du Livre où je croisais aussi Claude Burgelin, présent samedi matin (avec un discours où il a souligné la stature, la droiture de l’homme de devoir qu’était Jean-François).
J’aurais rappelé chère Annick, dans cette allocution rentrée, à quel point tu avais dû souffrir de ces deux décès successifs (termes tous deux d’un douloureux cancer), auquel entre les deux tu avais ajouté le tien, heureusement plus bénin… Pour avoir connu cette épreuve avec ma femme Françoise, décédée voici huit ans, je me représente tout ce chemin par où tu es passée au long de ces dernières années, la découverte du mal qui laisse d’abord anéanti, les propos rassurants de l’oncologue, la succession des faux espoirs brutalement démentis par un scanner catastrophique, les allers-retours incessants entre l’hôpital et la maison, les phases de rémission et le projet d’un « nouveau traitement »… Si les taux allaient remonter, si tu retrouvais assez de forces pour entreprendre ce voyage que nous nous étions promis, si, si, scie, la morsure insinuante de la scie dans nos arbres de vie !
J’ai repêché cette semaine en remuant quelques papiers un court poème-sonnet que j’avais composé pour toi, Annick, à l’occasion d’un anniversaire, c’était du temps de Jacques, du temps où il peignait, entre les chats et les silhouettes de rhinocéros qui peuplaient votre maison-jardin à l’écart de Lyon… Cela s’appelait « À Montagny », je m’aperçois à relire ces paroles qu’elles pourraient trouver place dans la bouche de Jean-François, aurais-je osé les prononcer dans le cadre un peu austère, un peu sévère, un peu trop « Jean-François » de cette cérémonie ? Ce pas de côté littéraire aurait apporté la détente d’un sourire, faufilé dans notre chagrin. Voici :
À Montagny
À revoir chaque été les roses
Je rêve de métempsychose,
Mais je me demande en quel être
Il serait curieux de renaître.
Trouverai-je au bout de mon âge
Le bonheur dans le jardinage ?
À tous les travaux je préfère
Le doux emploi de ne rien faire.
Plaise à d’autres la botanique !
Passant de l’une à l’autre vie
Il n’est sort plus beau que j’envie,
Allongé sur le lit d’Annick
Revivre en chat de compagnie
Chez mes amis à Montagny.
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