Faut-il chroniquer Belle et bête ? Et d’abord, fallait-il l’acheter ?
Je viens de sacrifier une heure trente à la lecture de ce mince opus, aiguillonné par les successifs dossiers du Nouvel obs et quelques bons articles, dont un remarquable papier de Philippe Kieffer sur Slate ; je donne raison à Joffrin, et j’étais moi-même curieux de savoir comment une philosophe, qui prétend rivaliser avec Deleuze ou Foucault, avait pu prendre avec succès un pareil risque ; son défi ne manquait pas d’allure, et empêche de la condamner d’avance en hurlant avec les loups de l’opinion au « coup médiatique », à la surenchère dans l’escalade sexuelle, au honteux déballage ou au « trop c’est trop »… Le coup semblait énorme en effet mais à vrai dire rien n’est de trop si le mystère ou le drame DSK s’en trouvait un peu éclairé, car les péripéties de mai 2011 nous ont tous scotchés ; et dès lors que l’intéressé sur le fond a gardé le silence, autant qu’Anne Sinclair, une analyste participante comme Marcela avait, supputais-je, un beau matériau à rapporter. J’approuvais donc a priori l’amazone d’y aller voir avec cette belle témérité, en se risquant dans des parages que les donneurs de leçon préfèrent éviter.
Le résultat hélas n’est pas à la hauteur du projet. D’une métaphore saisissante et qui aurait pu éclairer, le « cochon », emblématique d’un dédoublement poussé chez DSK au déchirement tragique, Iacub ne fait pas grand chose, sinon la répéter à chaque ligne jusqu’à l’incantation. On sent par là que ce cochon lui a plu, sans qu’elle ait pu surmonter sa jouissance mêlée d’horreur fascinée en composant un texte capable de nous intéresser ; Iacub s’arrête au seuil, au coup justement (aux deux sens du terme). « Asinus asinum fricat » dit le proverbe, l’âne aime se frotter à l’âne – et les porcs entre eux, comme ici le cochon trouve sa truie. Sans nous attarder davantage à développer les implications de cette histoire fertile en commentaires, et pour ne pas céder nous-mêmes au « marronnier » aguicheur prévu par l’auteur et son éditeur – DSK fait vendre –, disons en bref que cette descente à la porcherie (familière et intime à chacun) n’est pas en soi blâmable, combien d’intellectuels ne rêvent pas de s’encochonner ? Et quelles limites assigner au plaisir sexuel, ou aux jeux du désir entre adultes consentants ? On attendait toutefois de Iacub qu’elle nous éclaire davantage sur cette attirance réciproque, au lieu d’y succomber si vite, pour n’en tirer ensuite qu’un tapage médiatique – et un gros tirage. Son livre donne en passant un fort bon conseil au « cochon », que celui-ci prenne la plume à son tour, qu’il transforme son sperme en encre au lieu de demeurer vautré dans la fange médiatique. Il n’est pas vrai que toute écriture soit « de la cochonnerie » (comme prétendait Artaud), elle peut aussi, précisément, nous en extraire. Ni DSK ni, je le crains, Iacub n’en ont encore pris le chemin.
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