Femmes en bleu

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Le hasard de sortie des films m’a permis de voir, à une semaine d’intervalle, Blue Jasmine de Woody Allen et, hier soir vendredi, La Vie d’Adèle d’Abdelattif Kechiche. Ces deux titres n’ont rien à voir sans doute, sinon que l’un et l’autre s’attachent au portrait d’une femme blessée (Jasmine, Adèle), personnages dont le réalisateur homme extirpe chaque fois un portrait des plus touchants grâce à sa stupéfiante direction d’actrices. Dans le cas d’Adèle, gageons que le visage et la voix de son interprète Adèle Exarchopoulos poursuivront longtemps le spectateur, quelles que soient ses tribulations cinématographiques.

Unknown

Deux femmes couvertes de bleus ou comme on dit dans le blues, même si dans le film de Kechiche c’est Emma (Léa Seydoux) qui colore ainsi ses cheveux. Malgré mon goût presque inconditionnel de Woody, je traiterai surtout de ce deuxième film tant il fait lever de questions, ou de réflexions. Méritait-il pour autant la Palme d’or ? On se pose durement la question au cours de la longue  partie d’exposition (le film dure exactement trois heures). Disons-le d’entrée, la réalisation souffre d’un parti-pris pénible (sur lequel je n’ai rien lu dans les deux ou trois critiques consultées), qui saute aux yeux et qui d’abord surprend : toutes les paroles font l’objet de sous-titres, en français, disposés au bas de l’écran selon la position variable du locuteur ; et les bruits sont eux-mêmes signalés (« brouhaha », « aboiements », « percussions douces », « halètements »…, voire les silences par des points de suspension !).

Soulignement ou redondance – à mon avis – intolérables. Kechiche ne fait pas confiance à nos oreilles, il ne fait pas confiance à la bande son pour la repiquer ainsi, en nous forçant à lire au lieu d’entendre, pourquoi ? Une première réponse se trouverait du côté de la lecture justement : nous assistons dès le début à des scènes de récitation scolaire, et l’on sait le rôle que ces lectures de théâtre, avec leurs didascalies, tenaient dans un précédent film, L’Esquive (ici évoqué en allusion interne par les citations de Marivaux). Mais on repère aussi un écart entre le texte à lire et, simultanément, celui qu’articulent les voix, légèrement différent : comme si le réalisateur nous donnait à contrôler son script, en regard de ce qu’en font les interprètes (les deux actrices), et sur ce point l’effet, d’abord pesant, devient intéressant : nous mesurons la part de liberté ou d’improvisation relative de celle qui répète et répète encore, en ajoutant ses lapsus, ses variantes aux instructions. Les sous-titres, à première vue marqueurs de distanciation – ils nous font entrer dans le making of du tournage, nous mettent en main son programme – serviraient au contraire un certain effet de présence ou d’incarnation dans la mesure où l’interprète ne suit jamais exactement son texte, elle fait ou joue avec, elle se l’approprie.

Or cette plus-value apportée par l’actrice, essentiellement Adèle sur laquelle beaucoup repose, apparaît immense dans la mise en scène des baisers, et des actes sexuels qui font (assez tourné autour du pot !) le principal, le fascinant intérêt de ce film : La Vie d’Adèle aurait-il eu la palme sans les scènes de cul ? Scènes longues, très explicites, scènes immensément touchantes (et dérangeantes) par leur durée, leurs jeux de langue et de mains sur les chairs des seins, des fesses agrippées, retournées, fiévreusement fouaillées, sur les chattes où les bouches avidement se collent dans une mêlée dont le cinéma, à ma connaissance, n’est pas coutumier. On invoque bien sûr la pornographie pour aussitôt souligner que ceci n’est pas un porno – certes, mais où passe la frontière ?

Patrice Chéreau venant comme on dit de nous quitter, on songe aussi à son film Intimités, où un homme et une femme se retrouvent régulièrement (ou plutôt irrégulièrement) dans une chambre pour de furieux accouplements : film très différent, et dans mon souvenir assez peu convaincant ou touchant car le couple, hors de ces scènes elles aussi fort explicites et frappantes, existe à peine : on ne voit pas les protagonistes vivre, se chercher, se déchirer. La force de La Vie d’Adèle naît de sa longueur, nous accompagnons les deux filles, nous prenons le temps de voir, ou plutôt de sentir le couple s’anticiper, se former, évoluer et finalement se briser. Kechiche filme d’abord ce temps du sentiment – qui occupe beaucoup, qui prend c’est le cas de le dire un temps fou. Et ce temps détourné ou volé nous infiltre, nous envahit nous-mêmes d’un désir et d’un bouillonnement confus.

Kechiche filme ici, très explicitement, la montée du plaisir charnel et ses retombées. Celui-ci passait, dans La Graine et le mulet, par les peu ragoûtantes scènes du plaisir oral d’engloutir un couscous, où la caméra semblait s’attacher au destin des grains sur la langue, les muqueuses… Sucer, savourer, lentement mâcher avant de déglutir, tout un théâtre de la bouche accaparait alors la caméra qui ici encore s’intéresse au trajet des spaghettis entre la fourchette et la gorge ; on mange beaucoup chez Kechiche, dont l’objectif semble lui-même fonctionner comme l’orifice d’un ogre. Mais ce plaisir buccal nécessaire, essentiel autant qu’on voudra n’est que préliminaire au plaisir-roi, au plaisir-Dieu qui ruisselle des corps accouplés.

Ordinairement, le cinéma (classique) nous le dérobe. Nous y voyons les personnages manger, flirter, se déshabiller jusqu’à l’ellipse du lit, c’est à nous mentalement de boucher les trous. La Vie d’Adèle retourne ce système comme un gant, son sujet je l’ai dit est la grande, l’unique (et torturante) affaire du plaisir enfin dénudé, comme dans « L’origine du monde » Courbet propulse au premier plan ce que tous les autres tableaux et statues nous cachent,  la vulve copieusement velue d’une femme dont les chairs non-sexuelles disparaissent dans la pénombre, à l’arrière-plan de l’estrade des draps. Car ce plaisir ici crève les yeux, et il s’entend, d’abord photogénique lors des premiers baisers solaires, moins présentable ensuite dans la déformation et la grimace des traits, les convulsions, les grognements, les hurlements (odieusement soulignés en sous-titre). Et ce plaisir se prolonge, il prend son temps, un étirement qui fait toute notre fascination en nous invitant à entrer, à participer, à ressentir… Les très gros plans de lèvres, de langues, de muqueuses occupent rarement à ce point un écran, or c’est passionnant, c’est très excitant ! Comme dans le poème des « Phares » de Baudelaire comparant Rubens à un « fleuve de chair », on pense ici au pinceau de Renoir caressant ses modèles, à celui d’Ingres empilant au « Bain turc » les formes féminines. La caméra reproduit ces mouvements de brosses en palpant, en épousant longuement les mamelons et les plis de ces chairs adorables, le cadrage rapproché des corps aspire notre regard, au point que sucés par le zoom nous-mêmes participons à l’extase, à l’orgasme.

Mais les deux interprètes ? La question surgit nécessairement et ne laisse pas d’obséder : de même qu’Adèle conserve dans le film son prénom, ce qui arrive à l’Adèle (du film) arrive forcément à Adèle son interprète : comment « jouer » de pareilles scènes sans jouir ? Sur ce point, crucial, on aimerait vraiment que le réalisateur et ses actrices soient plus explicites, mais tous trois édulcorent. Kechiche est réputé pour son exigence, sa dureté dans la manipulation des actrices, allant jusqu’à faire répéter cinquante fois, cent fois la même scène, OK, mais cette tyrannie est-elle compatible avec ce qu’il obtient d’elles ici ? Comment sur un plateau de tournage a-t-il tiré de ces deux jeunes femmes des gestes à ce point intimes ? Peut-on à ce point simuler ou mimer ? Je l’imagine vociférant dans le haut-parleur, «  Allez les filles, lâchez la gouine qui est en vous ! », ou plutôt entre deux caresses, penché à leur oreille, murmurant un conseil, une indication de cadrage aux corps frénétiquement enlacés. C’est ici pour une fois qu’on réclame le making of

 

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Si le plaisir est ici crûment, superbement exhibé (le meilleur du film), nous assistons aussi à sa montée puis à son décours, à son massacre… Il faut parler du personnage ou de l’actrice Adèle que la caméra ne lâche pas puisqu’elle occupe je crois bien tous les plans, ce qui dénote de la part de Kechiche une fidélité, une obsession ou un acharnement véritablement obsessionnels à scruter sa vie. Et c’est vrai qu’Adèle est follement attirante, avec sa bouche toujours entrouverte et ses joues enfantines où dansent les mèches ; par cercles concentriques, le film nous raconte comment le monde environnant réagit à cet enchantement et au choix, au feu sexuels de cette jeune femme terriblement enfant… Il y a d’abord la cour du lycée et les camarades monstrueuses de cruauté (un vrai chœur de sorcières épiant, clabaudant, déchiquetant l’innocente) ; il y a avec un garçon une première relation sexuelle sans doute décevante et qui semble rejeter Adèle vers l’homosexualité, choix par défaut suggère le film, comme elle choisira par timidité le métier d’institutrice, le refuge auprès des enfants… Il y a les boîtes ou les bars homo et hétéro où les regards se croisent, se frôlent ; il y a la manif des étudiants puis la Gay Pride pas vraiment flattées, comme ne sont pas montrés à leur avantage les cercles des deux familles, celle d’Emma où l’on veut tout savoir en dégustant des crustacés (pour Adèle l’horreur), et la sienne socialement plus ordinaire, qui mange des pâtes à la bolognaise et ne veut rien voir. Il y a le cercle des amis d’Emma, futurs bobos à dominante homo où l’on fait l’éloge d’Egon Schiele et de ses corps aux lignes de fils barbelés (la « beauté morbide »), où l’on parle vernissages et philo de comptoir : ici encore la caméra ne juge pas mais le constat n’est guère encourageant ; Kechiche filme au ras des corps, des paroles trébuchantes, des accessoires de cuisine ou des enfants de la crèche (seul milieu que le film traverse avec chaleur et empathie), et la récolte est sans concessions… L’aveuglement de la famille d’Adèle persuade le spectateur de sa supériorité, lui se flatte de tout voir. Mais derrière ces images parfois torrides, que de secrets, que de mouvements plus intimes que l’intimité sexuelle demeurent à sonder !

 

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Au fil de ses rencontres et face à la dominatrice Emma, Adèle s’éprouve intimement perdante, ou soumise, entravée de timidité. Et ce portrait est bouleversant tellement nous pensons, devant elle, à L’Idiot de Dostoievski : princesse Mychkine, Adèle est ce corps ou cet esprit un peu faibles sur lesquels convergent les assauts, la dureté du monde des grands ; elle nous touche aux larmes particulièrement quand Emma s’emporte atrocement contre elle, la traite de pute et la met à la porte, puis ensuite lors des retrouvailles au café, qui nous confirment la dureté d’Emma qui n’a rejeté Adèle sur un prétexte que pour convoler avec sa nouvelle  (ou un peu ancienne) liaison… Dans ces deux scènes assez déchirantes, Adèle n’a à opposer au massacre que ses sanglots, et la persistance impitoyable du désir qui la jette pantelante vers ce corps qui l’a si haut portée, et maintenant la repousse. L’enfant grandira, comme ces enfants qu’elle éduque à la maternelle. Dans cette rue où nous voyons pour finir s’enfoncer une Adèle encore vacillante vêtue de bleu (allusion aux mèches qui l’ont tant fascinée ?), les bleus de l’âme semblent guérir, le désir se réorienter. De la galerie où les tableaux exposent son corps, Adèle emporte sa fierté, avoir aimé Emma contre vents et marées, avoir donné et reçu tout ce plaisir.

Mais vous qui avez vu ce film, vous a-t-il touché ? Qu’en dites-vous ? J’aimerais vraiment recevoir votre commentaire.

15 réponses à “Femmes en bleu”

  1. Avatar de duchene jacques
    duchene jacques

    Bonjour Daniel,
    J’ai apprécié ton analyse du film « la vie d’Adéle » que j’ai vu avant hier. Une interrogation à propos de ton commentaire : dans la version que j’ai vue il n’y avait pas de sous-titres !! Pour ce qui est du tournage tu ne reviens pas sur la polémique initiée par Léa Seydoux. Imagines tu les scénes de sexe
    tournées plusieurs dizaines de fois si j’en crois certains articles de presse ? Personnellement je n’imagine pas !
    J’ai beaucoup aimé ce film dans lequel la caméra m’a donné la sensation de restituer le toucher autant que la vue.
    Amitiés
    Jacques

  2. Avatar de Henry Torgue
    Henry Torgue

    Mon cher Daniel
    Tu as vu le film lors d’une séance en VFST, version française sous-titrée, c’est à dire en audio-description, qui permet aux sourds et mal-entendants d’avoir accès aux informations données par la bande-son. Si cette technique est précieuse pour cette catégorie de spectateurs, elle est redoutable pour les autres et pousse certains à des commentaires inattendus !
    Merci pour ton blog. Toujours admiratif de ta capacité à ouvrir la réflexion !

  3. Avatar de Daniel Bougnoux

    Mes amis, merci ! Damned cher Henry, comment ai-je pu ignorer cette charitable pratique des sous-titres ? Les malentendants – mais bien entendu ! Le problème pour moi est que je n’avais, malgré les centaines, les milliers de films vus, jamais rencontré ça à l’écran, ou alors c’était moins envahissant. Je ferai gaffe désormais, ou plutôt, l’âge venant, je risque moi aussi d’en avoir besoin…

  4. Avatar de estelle bak.

    Oui c’est bien la toute la problématique des sous-titre. Bien sur il ne faut pas les remettre en cause, ils sont indispensables autant pour les malentendants que les non-anglophone. Par contre c’est vrais l’histoire peut en être très légèrement modifiée.

  5. Avatar de Michel Pierssens

    Belle analyse, cher Daniel — et dommage pour toi que ces sous-titres pour malentendants, ce que tu n’es pas! Ta remarque sur le côté Mychkine d’Adèle est très juste et pourrait être prolongée: la bêtise (au sens, disons, de Rosset) est la force du personnage — force des faibles puisqu’elle laisse survivre sa candeur, sa fragilité d’enfance, sa foi trahie dans les adultes. Mais il faudrait aussi parler de l’époustanflante maîtrise plastique de chaque plan, de chaque couleur, de chaque geste, l’infinie subtilité des enchaînements et des ruptures du montage, la façon de filmer le temps qui traîne (cf. P. Cassou-Nogues). Bref, un chef-d’oeuvre extraordinairement émouvant…

    1. Avatar de Daniel Bougnoux

      Oui cher Michel, une fois de plus nous nous rejoignons. Ce film pourtant n’a pas que des adeptes, et j’ai croisé des avis horripilants… Au plaisir de te revoir, bientôt aux Invalides ! (colloque à introduire plus tard sur ce blog)

  6. Avatar de BLACK
    BLACK

    Je ne partage pas complètement l’analyse de Daniel Bougnoux qui fait du plaisir exhibé le meilleur du film. Le meilleur du film est pour moi de prendre le temps de montrer une passion inscrite dans l’ordinaire de tous les jours (l’école, la vie familiale, les contraintes de la vie professionnelle), d’en filmer la naissance, l’éclosion timide, le déchaînement sexuel, les conséquences douloureuses. En prenant son temps, le réalisateur désamorce les représentations stéréotypées auxquelles aurait pu conduire la banalité de cette histoire, il donne aux sentiments un poids de chair, une épaisseur de vérité, plus qu’il n’érige le plaisir en clé de voûte de son film. Quoiqu’il en soit, une palme d’or bien méritée.

    1. Avatar de Daniel Bougnoux

      Je crois que nous somme d’accord, j’ai moi-même souligné le temps (la durée) qui inscrit l’histoire racontée dans un fleuve narratif aux antipodes de tout format pornographique, accusation lancée contre lui et qu’il faut absolument réfuter : le porno n’a que faire du récit, de la psychologie, d’un cadrage social et esthétique, soucis du réalisateur constants ici… Mais il faut aussi saluer la performance de montrer avec cette vigueur, ou faut-il dire éclat ? le plaisir sexuel au cinéma, chose finalement assez rare.

  7. Avatar de Martin
    Martin

    Bravo, très belle critique. C’est vrai, le plaisir sexuel est exposé comme peu de réalisateurs savent le faire.
    Palme d’or méritée.

  8. Avatar de JFN
    JFN

    Balayons d’emblée les allégations de pornographie(je viens de visionner le film) de ce film bouleversant.On est loin du « porno »,de ses figures stéréotypées et compulsives.La force du film tient à l’union du sentiment et du charnel(les mots, la nourriture,la chair) dans le premier temps du film, celui de l’adolescence oû les corps et les esprits sont la proie d’une métamorphose autant euphorique qu’incertaine et on suit Adèle qui avance à tâtons vers son avenir d’adulte(d’oû la durée 3h).Oui il ya un souffle sexuel puissant,mais dans les pulsions qui se libèrent c’est la passion qui impose sa prégnance sai,

  9. Avatar de JFN
    JFN

    dans la mêlée haletante des sexes.La fin est poignante.Adèle,vêtue du bleu lumineux du début vire au bleu sombre de la perte de l’innocence qui la voit naître de sa chrysalide adolescente.Dans ce visage si vrai,si juste,on atteint à l’universel.Oui,Daniel, vous avez raison,il nous hantera longtemps.

    1. Avatar de Daniel Bougnoux

      Merci Maïté de ce commentaire enthousiaste (en deux morceaux) d’un film qui le mérite bien, car il faut le défendre contre des attaques superficielles des cagots. A propos du visage d’Adèle (Exarchopoulos), quelle déception pourtant de revoir celle-ci sur la couverture du Nouvel Obs Ciné-Télé du 12 au 25 octobre, en bimbo girl fardée et relookée à l’usage des médias – bel indice de la magnification opérée par l’écran ou la caméra sur le corps des acteurs, qui déchoient tristement de leurs rôles quand le tournage s’arrête. Il y a quelque chose que la scène ou l’écran arrache aux êtres, une part divine ou une grâce venue d’en haut, qui survit mal à la magie éphémère du film… Comment réussir à vivre au niveau de certains films, comment mériter cette image que nous donne l’écran ?

  10. Avatar de Jean Claude Serres
    Jean Claude Serres

    Merci Daniel de cette superbe analyse que je partage et que j’apprécie tout autant que les commentaires qui ont suivi. Ce film, cette œuvre devrais-je dire, comme un oignon, comporte de nombreuses couches de sens. Je me suis fait avoir par tes réflexions concernant les sous titres, ce qui est une belle illustration des biais de confirmation de nos intuitions (Cf. : Gérald Bronner). Toute analyse est liée à l’écosystème dans lequel elle s’élabore. Je voudrais donc apporter deux regards supplémentaires liés à mes propres préoccupations du moment.

    Ces longues scènes amoureuses que scrute une caméra attentive et intelligente offrent une superbe pédagogie de l’éprouvé, en lieu et place d’une construction intellectuelle de ce que peut être une relation d’amour homosexuelle. Elle casse ainsi un conditionnement de l’imaginaire sexuel occidental dissymétrique : la femme étant objet de désir se doit d’être désirable et doit tout faire pour être désirée, elle même n’étant pas désireuse de l’homme, ce dernier étant celui qui désire. Ici le mythe est balayé, premier petit pas.

    Il y a dans cette œuvre une graine de futur. Au-delà des caractères spécifiques des deux héroïnes, qui induisent les choix de vie, Abdelattif Kechiche révèle par une touche discrète combien la dimension amoureuse et sexuelle devient partie intégrante de la vie privée et va se dissocier complètement de la vie en ménage, engagement beaucoup plus complexe et intégratif de nombreuses dimensions (dont la vie amoureuse), seul en prise avec l’institution et la citoyenneté. Un nouvel imaginaire de la vie en ménage désexualisée est en train de balbutier tournant ainsi la page de celui du XX siècle.

    1. Avatar de Daniel Bougnoux

      Et merci Jean-Claude de donner encore plus à penser ! En effet, il y a des films vertigineux, inépuisables à la première vision, et qui nous touchent multiplement (on dit comme ça ?). J’espère poster ici prochainement un compte-rendu de « Gravity » qui m’a, pour de tout autres raisons, également ému.

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À propos de ce blog

  • Ce blog pour y consigner mes impressions de lecteur, de spectateur et de « citoyen concerné ». Souvent ému par des œuvres ou des auteurs qui passent inaperçus, ou que j’aurai plaisir à défendre ; assez souvent aussi indigné par le bruit médiatique entretenu autour d’œuvres médiocres, ou de baudruches que je…

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À propos de l’auteur

  • Daniel Bougnoux, professeur émérite à l’Université Stendhal de Grenoble, est ancien élève de l’ENS et agrégé de philosophie. Il a enseigné la littérature, puis les sciences de la communication, disciplines dans lesquelles il a publié une douzaine d’ouvrages.

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