Je prends actuellement mes vacances à la mer. La plage frappe par son hozontalité, redoublée par celle, à l’infini, du large ; non seulement la dimension verticale s’absente du paysage, mais les corps se plient au schème général en s’allongeant à qui mieux mieux sur le sable : homo oublie ici sa qualité d’erectus, pour s’étaler.
Quelles représentations accompagnent cette posture, quelles inavouables connivences renouent avec une étape dépassée de l’évolution ? La portée du regard faiblissant, la peau prend sa relève : une moitié du corps grésille au soleil tandis que l’autre partie enregistre les menus accidents du sable, qui ranime les aventures du contact et de tout un monde réduit aux empreintes, on y creuse, on s’y cale, on fait cuvette, cul à cul…
Mise à niveau démocratique des plages ? Il est tentant de projeter sur ce plan uniforme l’idée toujours récurrente que la démocratie agit comme force de nivellement. Si la République se veut vertueuse, verticale et virile, la Démocratie (selon ses contempteurs républicains) serait plutôt vile, avachie ou quelque peu vautrée. Le spectacle des corps quasi nus confirme cet aplatissement : ce sont les toilettes, les habitations, les montres ou les bagnoles qui d’emblée nous hiérarchisent ; déshabillées de ces marqueurs du premier regard, les classes sociales se distinguent moins facilement, le même maillot de bain pouvant emballer Dupont-la-joie ou le ministre de passage ; qu’on le veuille ou non, on se mêle sur ce plat pays où ce n’est pas forcément la fortune mais la beauté adolescente, le sex appeal ou la musculature qui imposent, quelques heures, leur différence.
Il y a certes les yachts qui se balancent à quelques encâblures, et les odieuses motos des mers pour nous rappeler que le fric et la connerie ne connaissent pas de frontières. Mais si l’on s’en tient aux mètres carrés du sable où chacun pose sa serviette et négocie sa querencia, on peut voir dans les âpres et minuscules disputes touchant l’espace vital une recherche de compromis où se joue, a minima, une passion démocratique faite d’appels à la réciprocité, à la tolérance, à un humour parfois qui n’est pas sans rapport avec la sexualisation latente ou cherchée de ces périodes d’exposition. Là où la transparence s’impose, nous ne retournons certes pas au dénuement adamique, mais nous perdons un peu de notre suffisance, de notre arrogance : n’ayant plus à cacher que son sexe, l’humain s’infantilise, ou j’allais dire s’humanise – comme si nos divisions s’accusaient avec nos prothèses, ou la jactance de nos rôles sociaux.
Un autre facteur « démocratique » ranimé par la plage peut frapper : dans la mer, c’est le même bain pour tous, les mêmes conditions de climat et de saleté ; si je heurte en nageant l’étron vomi par la carène rutilante du yacht, cette rencontre me rappelle que nous barbotons entre les déchets et les fèces, que l’idylle ou le paradis estival ont leur limite, ou que les corps en s’exposant, en se risquant hors de leurs bulles protectrices affrontent les mêmes déceptions, les mêmes pollutions. Ceux qui cherchent sur les plages l’utopie d’un monde neuf y sont vite rattrapés par la mortifiante évidence des déchets que chaque marée, ironiquement, ramène : ressac de la consommation, mémoire automatique infligée par un monde corrélé, ou devenu dense (sans plages vraiment « désertes »), à l’homme démocratique qui voudrait jouer, sur le sable, au petit Robinson.
Actuellement, je prends mes vacances à la mer. Je changerai le mois prochain pour les Hautes Alpes.
Laisser un commentaire