Tout empêche le Randonneur d’ajouter son commentaire à ce dont aujourd’hui tout le monde parle – ou plutôt, est hanté. Car la terreur, quand elle fracture ainsi la mince pellicule des images, des récits, de l’information au jour le jour qui font notre culture, est indicible, incommensurable. Intraitable. Mais du même coup terriblement contagieuse : par une naturelle empathie, nous souffrons a minima du mal infligé aux victimes, nous en sommes révoltés, suffoqués ; et par la même contagion, tout aussi naturelle, nous crions vengeance, nous n’imaginons pas que de pareils crimes, atroces, demeurent impunis.
Quels mots ajouter aux innombrables commentaires ? En parler à son tour semble vain ; mais ne pas en parler sera jugé frivole, ou lâche. Je m’impatiente, comme beaucoup de lecteurs sans doute, devant les commentaires en boucle, ressassants, comme ceux hier soir sur la 15 qui revenaient inlassablement sur l’attitude de Mélenchon ou de Mathilde Panot, une fracture intérieure de la gauche est-elle vraiment, face à ce qui arrive, un sujet d’actualité ? Les querelles de notre Hexagone doivent-elles, face à l’embrasement du Proche-Orient, prendre une telle place ?
Les mots trouvés par Dominique de Villepin ce jeudi matin en revanche, sur France inter, m’ont paru à la hauteur de l’événement : les mots et le ton, vibrants d’une indignation, d’une douleur et d’un sentiment d’urgence qu’on aimerait voir mieux partagés. Entendre de telles paroles est une raison supplémentaire de se taire, en vingt minutes l’ancien ministre a tout dit ! Mais ce blog constitue une sorte de chronique du temps qui défile, et un tel traumatisme ne peut pas ne pas y laisser de trace ; essayons donc de cerner l’essentiel, soit un memento, sorte de minima moralia pour ce qu’il s’agit aujourd’hui de penser, d’exprimer.
Nous ne savons pas encore, à l’heure où je tente d’écrire ceci (jeudi 12 après-midi), ce que va être la riposte d’Israël. Mais si son gouvernement de guerre choisit l’escalade (écraser Gaza sous les bombes, ou l’envahir par voie de terre, comme tout l’en presse), il n’y a que de mauvaises options, ou un pronostique bien risqué : plus de la même chose, en guise de riposte, ne peut qu’ajouter au désastre. D’ailleurs, tous soulignent les risques énormes que prendrait Tsahal à fouiller les maisons de Gaza (ce qu’il en reste) ou à perquisitionner les souterrains à la recherche des otages…
Il ne faut pas faire ce que le plan machiavélique ourdi par le Hamas prévoit : attirer les Israëliens dans Gaza. Cette organisation terroriste a agi bestialement, comme l’a dit le ministre israëlien, et chacun peut vérifier que ce mot s’applique bien aux massacres commis, des bêtes fauves en effet, mais qui, quelles épreuves ou quelles situations les ont mis dans cet état ?
La tentation d’envahir Gaza est immense, or c’est un piège ! Qui conduirait à détruire un peu plus cette malheureuse « bande » de terre, une des plus peuplées du monde, habitée d’hommes, de femmes et surtout d’enfants qui ont pour ennemi principal – le Hamas ! Comment dissocier ces deux populations, celle des habitants-victimes de celle des terroristes ? Par la reprise de négociations (torpillées par les terroristes) qui devraient aboutir à la coexistence de deux états enfin viables, et coopératifs, ou du moins pratiquant une coexistence pacifique et non pas belligérante. L’étendue du malheur actuel, l’évidence de l’impasse où s’enferment les combattants, permettront-ils ce recadrage ?
La multiplication des colonies sous le gouvernement complaisant de Netanyahou, l’intransigeance et le fanatisme des religieux (des deux bords), l’absence de réaction des opinions indifférentes au sort fait depuis tant d’années à la bande de Gaza, cette prison à ciel ouvert, comme aux camps de réfugiés, notre lâche soulagement de voir ou de croire le terrorisme contenu dans cette région du monde, contenu oui comme dans une cocotte-minute, ou une grenade dégoupillée…, trouvent aujourd’hui leur limite, leur point de rebroussement. On ne peut que revenir en arrière, au projet des accords d’Oslo, ou aux frontières de 1967. Il y faudra le concours ou le réveil actifs de la si lointaine « communauté internationale » ; que dira notre Président dans son allocution annoncée à 20 h ? Aura-t-il les accents de Dominique de Villepin pour fustiger l’inertie des consciences, et l’urgence des négociations ? Face à l’horreur qui s’étale et fait son lit dans notre conscience (révulsée) de spectateurs, nous n’espérons pas plus de la même chose (une escalade dans la violence ou la vengeance aveugle), mais des paroles de paix, qui réparent, qui dégagent une issue ou un chemin provisoirement acceptable…
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