Je lis dans La Croix de ce mercredi 25 octobre le vibrant (donc sympathique) témoignage d’un auteur pour moi inconnu, Emmanuel Golo, en faveur de son pays, sobrement intitulé « Israël ». Plaidoyer irrécusable sur la force des attachements ou des identifications à des racines qui nous grandissent, à une Histoire qui nous élève ; Emmanuel adhère corps et âme à un peuple, à une nation aujourd’hui gravement blessée, traumatisée, et dont les blessures sont les siennes ; il ne tolère donc aucun « oui mais », aucune concession au point de vue d’un adversaire, le droit à l’existence d’Israël est un bloc, non négociable.
Cette page qui peut entraîner, voire galvaniser son lecteur me semble pourtant très unilatérale, et ne se lit pas sans malaise. Car la rhétorique propre à Emmanuel Golo peut susciter en miroir les mêmes accents d’appartenance ou d’identification d’un Palestinien à cette terre dont lui-même se trouve exproprié, ou exilé ; lui aussi peut déplorer à juste titre les attaches perdues, la mémoire piétinée… Et cette symétrie fait tout le drame de l’impasse actuelle, où un gouvernement comme celui de Netanyahou reste sourd et aveugle à toute proposition d’une solution incluant deux Etats.
Emmanuel Golo martèle son haut-le-cœur devant le « oui mais ». C’est trop vite dit et il faut sur ce point s’entendre. L’attaque du 7 octobre est une infâmie, un retour aux pires atrocités de la Shoah qui n’admettent aucune excuse, aucune circonstance atténuante : des combattants ne se comportent pas comme ça, il y a des lois de la guerre qui sont ici bafouées par des terroristes, et ceux-ci par conséquent méritent une réprobation universelle. Dira-t-on que le Hamas se bat pour la cause palestinienne ? Et que dans cette mesure il représente celle-ci à la face du monde ? Mais quel Palestinien doté de jugement critique, ou d’un ferment d’humanité, acceptera de se voir ou de se dire représenté par de pareils égorgeurs et violeurs ? Il faut donc très fermement, au seuil de toute discussion, dissocier la guerre (la Résistance) et le terrorisme, il ne faut pas tomber dans cet amalgame : non les Palestiniens ne sont pas le Hamas, et ils ne méritent donc pas d’être châtiés pour le pogrom du 7 octobre.
Emmanuel Golo, dans son identification éblouie aux pères d’Israël, ne mentionne pas assez l’histoire du Proche Orient depuis la fondation de cet Etat ; deux peuples y appartiennent également à une même terre, y ont des droits égaux. Le « oui mais » est donc fatal, comme le « en même temps » cher à notre Président : oui Israël doit vivre, mais pas en opprimant son voisin ; oui je suis fier de me proclamer Juif, mais cette identité n’a pas pour condition la suppression de l’autre. Au nom de quoi, du premier occupant ? Mais comment allez-vous « ponctuer » l’histoire, multiséculaire, de cette occupation ? Les conflits se passent ici en miroir, et obéissent à la loi de la vendetta ; comment briser ce cycle de la vengeance, comment « recadrer » ou sortir du carré ?
Les deux belligérants en présence, aujourd’hui ivres de haine et de griefs accumulés, n’y parviendront pas tout seuls, il faut à l’évidence une médiation extérieure. Notre Président s’y emploie, sans grandes chances d’être aujourd’hui entendu. Mais sa démarche peut en rallier d’autres, en Europe et au Moyen-Orient, pour initier au moins un semblant de désescalade, une pause dans la montée aux extrêmes. La colère, la vengeance, la haine, pas plus que l’enthousiasme des identifications et les proclamations d’appartenance ne résoudront ce conflit – j’allais écrire ce merdier, où Tsahal se trouvera inéluctablement plongée si elle s’engage par malheur dans les ruines de Gaza.
Miroir demeure donc à mes yeux le mot-clé, le symptôme d’une « effrayante symétrie », qui veut que Netanyahou représente aussi mal la grande nation israëlienne que le Hamas le peuple de Palestine. Or de part et d’autre du miroir on s’enfonce dans une dangereuse, une obsédante fascination, on ne voit plus l’autre, mais soi et encore soi, sa propre cause sacrée. Comment briser ce face-à-face, comment restaurer un peu d’altérité ?
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