On ne manquera pas de m’accuser, à la suite du précédent billet, d’avoir « giflé un mort ». Une amie m’assure de son côté que la personnalité du défunt « était plus complexe ». Dans un souci d’impartialité, et pour permettre à chacun de mieux en juger, je publie ici deux compléments, une précision sur les services rendus par Jean Ristat dans le cadre de son poste du CNRS, que m’a adressée Louis Hay (fondateur et directeur de l’ITEM de 1968 à 1985) ; et la nécrologie plus officielle que la SALAET (Société des Amis de Louis Aragon et d’Elsa Triolet) a mise en circulation, rédigée par François Eychart.
« L’ITEM me communique votre texte consacré à Jean Ristat, qui apporte un utile correctif à l’enthousiaste nécrologue de l’Humanité. Ristat a, en effet, obtenu un poste au CNRS, dans des conditions qui paraissaient tout à fait normales : le don d’Aragon portait sur un ensemble de documents si vaste qu’il nécessitait l’emploi d’une personne chargée de le dépouiller et classer en volumes. Aragon souhaitait que ce fut Jean Ristat, qui paraissait parfaitement qualifié pour ce travail et j’ai donc volontiers accepté son recrutement dans notre laboratoire. Mais par la suite, j’ai appris que Ristait présentait ce recrutement à sa façon : comme une bourse accordée à un jeune poète. Malheureusement, son comportement répondait à cette version : il se présentait au travail de façon de plus en plus irrégulière, au point que j’ai dû le mettre à la porte du laboratoire. Cela revenait à une suppression de son poste au CNRS. Mais, manifestement par crainte d’une réclamation de la part d’Aragon, la direction a refusé de prendre cette mesure. Ainsi, Ristat a-t-il fait de sa fiction une réalité : il a été le seul, à ma connaissance, fonctionnaire ayant jamais obtenu un traitement à vie, puis une retraite – à ne rien faire. Peut-être cela a-t- été rendu possible par l’attribution d’un emploi fictif – on ne m’en a pas informé. Voici donc un complément à votre tableau. »
Et ceci sous le titre : JEAN RISTAT NOUS A QUITTÉ (sic)
« Jean Ristat, le poète Jean Ristat qui était aussi notre président est décédé.
Depuis plusieurs années sa santé laissait gravement à désirer et il ne quittait plus son domicile de Saint Ouen les vignes où il vivait avec le dernier amour de sa vie, son mari, Franck Delorieux.
Quoiqu’éloigné et malade, Jean gardait toujours autant d’intérêt pour la vie de la Société des Amis. Nous étions en relation étroite avec lui, soit par téléphone, soit lorsque l’un de nous lui rendait visite. Il est resté un président actif jusqu’à ses derniers moments. De sa manière d’exercer ses fonctions de président, on ne peut dire qu’une chose : il était bienveillant, exigeant et fraternel, et jamais la moindre ombre ne s’est insinuée entre lui et les animateurs de la Société des Amis. Ses conseils étaient distancés, avisés, utiles.
Jean n’était pas que l’héritier d’Aragon et d’Elsa Triolet. Il était un des poètes importants de son temps et c’est comme cela qu’il sera considéré quand les animosités toujours vives à son endroit se seront éteintes. Il était aussi un intellectuel d’envergure qui avait connu et fréquenté nombre de personnalités prestigieuses parmi celles qui ont marqué leur temps. Leur liste sera mieux connue lorsque cette histoire de la vie intellectuelle sera écrite. En plus de son œuvre propre Jean a fondé et dirigé la revue Digraphe et relancé Les Lettres françaises malgré toutes les difficultés matérielles s’ajoutant à la témérité de prendre la suite d’Aragon.
Sa vie n’a pas été facile et le fait d’être l’héritier d’Aragon a étendu sur lui une ombre qui a amoindri l’intérêt porté à son œuvre propre.
Il n’a en fait jamais cessé de combattre pour faire reculer l’injustice sociale, l’obscurantisme, les régressions de tous types. Venant d’un milieu modeste, il avait très tôt mesuré le poids d’aliénation qui touche ce milieu et plus particulièrement les jeunes. Cela a beaucoup pesé dans sa décision de rejoindre le parti communiste et de ne pas le quitter malgré les invites.
Son combat social s’était enrichi de celui qu’il a mené contre les diverses formes d’homophobie sans jamais opposer les deux. Et c’est en pleine cohérence de ses choix politiques et sociétaux qu’il a fait partie du Comité de soutien à Fabien Roussel lors de l’élection présidentielle.
On n’aura jamais autant parlé de lui qu’à l’occasion de son décès. C’est là une des caractéristiques de ce que la presse de notre temps est devenue. La SALAET lui avait consacré en juin dernier un numéro spécial de Faites entrer l’infini qui constitue certainement une bonne introduction à son œuvre, mais le mieux reste encore de le lire ou de le relire. Deux mots correspondent bien à son œuvre : il était un écrivain du cœur et de la raison.
Il avait vu et supporté bien des vilenies sans que cela ait entamé sa confiance dans la pertinence des choix qu’il avait faits. Ceux qui l’ont connu n’oublieront pas la pétillance de son regard ni son élégance dans les affaires délicates.
Beaucoup va maintenant retomber sur Franck. Et d’abord le poids d’une absence pour laquelle il n’est pas de remède. Qu’il sache que notre affection ne sera pas un mot.
Les obsèques de Jean se dérouleront le vendredi 8 décembre à Saint Ouen les vignes. Celles et ceux qui le souhaitent peuvent adresser leurs condoléances à Franck (55 rue Jules Gauthier, 37560 Saint Ouen les vignes), ou assister aux obsèques prévues à 16 heures au cimetière de Saint Ouen. »
François Eychart
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