La foi au secours du deuil ?

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Je reprends donc, comme annoncé dans ma réponse au « commentaire » de Thomas Reverdy (posté à l’article « De quel présent ?… »), la question de savoir quelles ressources la foi chrétienne peut offrir à notre traitement de la mort.

2012-02-25 prairie de fleurs sous Aurési (7)

Domaine des Treilles (Fondation Schlumberger,

photo d’Olivier aimablement envoyée par Valérie)

Je n’avais mis aucune ironie dans la mention d’une vie surnaturelle dépeinte en termes naïfs, à l’intention d’une enfant de cinq ans : il était important de faire comprendre à Mathilde, et plus tard à Alice, qu’elles ne reverront pas en ce monde leur père, mais qu’il y a peut-être un lieu d’où il veille sur elles, et où après leur mort elles pourront le rejoindre.

La foi chrétienne a l’avantage d’affirmer la vie éternelle (de l’âme), et secondairement la résurrection des corps. Ce scénario ne peut que séduire un imaginaire affolé par la perte, et qui exige impérieusement le retour da capo, ou le prolongement du statu quo ante : nous n’arrivons pas à admettre que notre vie s’arrête complètement, et si l’âme poursuit sa carrière, pourquoi pas en prime la survie des corps ? Cet article de foi, inscrit au Credo, n’a pour lui aucune évidence sinon celle de notre désir le mieux ancré, le plus violent, et c’est pourquoi il continue de s’imposer : affronté au néant, ou à l’incertitude radicale, il faut bien croire (Pascal disait parier), et la fable chrétienne propose en effet quelque chose d’assez consolant.

Le débat avec un croyant sur le point de savoir en quoi sa foi adoucit le trauma de la mort se divise en deux ; je distinguerai un aspect de pure forme, il faut la foi, ou la confiance, toute vie l’exige et la plupart de nos actions ou décisions impliquent des paramètres qui ne sont pas de l’ordre de la démonstration ni de la certitude rationnelle, mais d’une croyance qui s’identifie à l’acte même de vivre ; et un aspect de dogme ou de contenu, la promesse de la vie éternelle, du jugement et de la résurrection, etc. Cet article de foi n’est pas par lui-même très solide ni facile à argumenter, et il semble que nombre de chrétiens aujourd’hui (comme Thomas dans son « commentaire ») glissent dessus ou le mettent au rang de la métaphore. La Résurrection est pourtant au cœur de la Bonne nouvelle, trop de textes, de chants religieux et d’iconographie y insistent : suivre le Christ ou le prendre pour modèle, c’est prétendre vaincre la mort – en se persuadant qu’elle ne nous arrête pas et qu’il existe pour chacun une vie au-delà.

2012-03-12 le printemps au Pertus (8)Les Treilles (photo Olivier)

Inversement, l’athéisme implique de refuser cette béquille, mais il ne renonce pas pour autant à toute projection vers un au-delà : il remplace la communauté des croyants (qui affirment le dogme) par celle des compatissants – et c’est un peu cette position de repli que m’expose Thomas, la « vie éternelle » de Brieuc est suspendue au souvenir que nous saurons garder et cultiver de lui, à la diffusion de son image, à l’éducation de ses fillettes, etc. Nous nous rejoignons pleinement sur ce point, que j’ai développé assez tôt ici en m’appuyant sur Spinoza (Ethique V, 23, scolie) où il affirme que « …nous sentons et nous éprouvons que nous sommes éternels » – dans la mesure où nos amis et nos descendants entretiendront nos traces. Entretenir, s’entre-tenir : il faut décidément faire fond sur ce verbe puissant, en est-il d’autres pour formuler cette exigence de communauté autour des tombes ?

Nous autres athées substituons donc à l’espérance religieuse transcendante une foi ou une confiance en la relation horizontale entre proches ; étendue au culte des morts, celle-ci rétro-agit sur la communauté de survivants. Quoi de mieux, pour activer ou sceller un « nous », que le surplomb ou l’intercession d’un cher disparu ? Jamais je ne me suis senti aussi proche de certains amis (qui ont su me parler de lui) que depuis la mort de Brieuc ; rarement aussi intime avec Françoise, ou nos deux autres enfants ; plus affectif puisqu’affecté, et en permanence ému. Le deuil fait de nous des personnes assez différentes, pour qui rien ne sera jamais plus comme avant.

Brieuc peut-il encore d’une manière ou d’une autre nous apercevoir ? Dans l’incertitude absolue où laisse la disparition, cette possibilité n’est pas absurde, et Françoise y trouve même un élément de réconfort paradoxal : car après avoir fortement idéalisé le mort, nous en venons aussi à le détester, pourquoi nous a-t-il « fait ça » ? Pourquoi, pour tracer quelques courbes gracieuses dans cette poudreuse, avoir déclenché cette succession incalculable de souffrances ? Ne pouvait-il devant le risque renoncer à descendre par ce vallon (à l’altitude où tous deux se trouvaient, le facteur d’alerte passait de deux à trois sur une échelle de cinq, et ils avaient consulté cet avertissement avant de partir) ?… La possibilité que Brieuc continue de nous voir le place sinon en enfer, du moins dans un sévère purgatoire : quels remords l’imprudent doit-il endurer devant le spectacle des survivants en larmes, et pour combien de temps ? Avoir causé, pour quelques moments grisants de glisse, une telle succession de malheurs blesse en nous l’image idéale du Brieuc entreprenant et solaire, comme elle ne peut que fortement le blesser lui si son âme garde un degré quelconque de conscience !

Le « travail du deuil », en bonne doctrine freudienne, passe par des puits de mélancolie mais aussi par des épisodes où la dépression se mue en agression contre le mort. Je rétorque à Françoise que notre fils ne nous a rien fait positivement (intentionnellement) en se laissant prendre dans cette avalanche, elle argumente en retour qu’il s’y est exposé, insoucieux de sa famille au nom de sa passion. « Notre vie est foutue, il a tout emporté »… Dans la confusion de sentiments où nous macérons, l’idée d’un purgatoire ou d’un châtiment à l’échelle du tort immense qu’il nous cause ne paraît pas insensée ; nous reproduisons sans le formuler un état d’esprit auquel les chrétiens eux-mêmes, peut-être, n’adhèrent plus, car quelle forme donner aujourd’hui aux antiques croyances du paradis, du purgatoire et de l’enfer ?

Je ne veux pas dévoyer ce blog vers des querelles de théologiens, j’aimerais seulement par cette interpellation que ceux qui se disent croyants – y compris juifs, musulmans ou autres – m’écrivent un peu clairement sur les secours qu’on peut puiser dans la foi, du fond d’un pareil désastre.

Coucher de soleil sur les Agraires - Version 2

Les Treilles, Coucher de soleil sur les Agraires (photo Olivier)

11 réponses à “La foi au secours du deuil ?”

  1. Avatar de jean-pierre burdin
    jean-pierre burdin

    Cher Daniel

    Je garde aujourd’hui toujours le même silence que celui annoncé dans mon petit billet posté le jour où vous annonciez la mort de Brieuc dans ce même blog. Silence pour laisser cheminer en moi une propre parole, mais aussi pour ne pas parasiter celle qui doit devenir la vôtre et sans peser sur votre cheminement. Etre là simplement. Difficile accompagnement. Il vous faut trouver vous-même.. Vivre avec vous, et en moi, l’interrogation insupportable que cela représente. Vivre modestement cela auprès de vous.

    Brieuc est toujours là dans ce silence et dans mon cœur c’est comme un écrin où il rejoint beaucoup d’autres amis chers. Il m’est presqu’aussi proches qu’eux. Tant il est vrai que nos proches ne sont pas seulement ceux qui partagent notre quotidien ou un moment de notre histoire, mais également ceux qui nous touchent et nous obligent à l’empathie, à la compassion. Et ce chemin vers Brieuc c’est votre peine et votre chagrin que vous cause sa disparition qui m’y mène.

    Et voilà que votre mot ce matin m’appelle à écrire à nouveau. Je ne sais pas bien d’ailleurs à quel titre je ressens cette interpellation ! Mais j’entends cela. Pourtant je vais garder le silence encore un peu, peut-être plus tard. Ce ne sont pas là choses légères. Ce premier mot donc pour vous dire seulement que je suis toujours proche, bien présent.

    Si toutefois, quand même, peut-être : La théologie ne vous sera d’aucun secours pour comprendre. Aussi importante et nécessaire soit-elle pour les croyants et même pour les incroyants, elle est seconde. Ne cherchons pas à parler sur la mort, sur Dieu, sur la Résurrection mais de Dieu, de… ,de… Alors peut-être nous sera-t-il donné de murmurer une parole à Dieu, ou tout simplement de renouer avec le merveilleux bonheur de vivre. Pour l’instant, nous sommes avec Job ! Je porte plainte et nous dénonçons le scandale, nous crions. Nous sommes ensemble comme une abeille contre la vitre.

    Chérissez Madeleine, Françoise et les enfants. Je les aime beaucoup. Essayez tout de même de trouver un peu de moments simples de joie. Tenez demain je vais porter un toast à vous tous au déjeuner.. Là France-Musique diffuse la musique de Nino Rotta pour un film de Fellini ? Cher Daniel, je suis heureux de vous laisser sur cette musique-là !

    Peut-être à bientôt.

    1. Avatar de Daniel Bougnoux

      Oui Jean-Pierre, Vous aviez été un des premiers à déposer un « commentaire » sur ce journal du deuil, et cela m’avait particulièrement ému, le blog pouvait donc servir à cela en remaniant la carte des « connaissances », des proches s’effacent ou se révèlent lointains, des lointains ou de parfaits inconnus surgissent et deviennent tout proches, étrange transformation du paysage !… Votre « présence », même dans cette distance, a beaucoup de poids et nous la ressentons avec reconnaissance. J’ai moi aussi pensé à Job ; et même dit à Françoise qu’elle ne devait pas rester « cette abeille contre la vitre », à bourdonner sur place, mais qu’il faut au contraire tenter de décoller, en articulant des mots qui ne répètent pas la plainte primaire, aussi lancinante et évidente soit-elle… Nos arguments curieusement se rejoignent ; mais dans le couple malheureusement le deuil n’est ni symétrique ni synchrone dans son « travail » ou ses étapes – et nous n’en sommes qu’au tout début…

  2. Avatar de Serge Cuenot
    Serge Cuenot

    Ayant lu et relu vos différentes interventions, pour Daniel et Françoise que je ne connais pas, j’avais d’abord cru mieux de garder le silence, parce que dans ces circonstances, il n’y a que le silence qui soit approprié en face de la douleur vide de nos amis … Et puis je me suis dit que peut-être, quand même, une parole, glissée respectueusement dans le vide causé par le « départ de Brieuc dans l’Autrement du monde », pourrait avoir un sens, sans prétendre en rien être une réponse…
    Quelques renseignements sur celui qui ose vous dire quelques mots, bien timides, parce que, finalement si peu sûrs, dans leur cheminement depuis des dizaines d’années :
    Je suis prêtre, religieux, ayant vécu près de trente ans en Afrique, et en France depuis 15 ans… Rassurez-vous, c’est pas un « sermon » que je voudrais vous faire, mais mon expérience au long des ans (j’en ai 70 aujourd’hui)
    En décembre 85 alors que j’étais au Tchad, on m’a annoncé, quelques jours après, la mort accidentelle d’Alain, mon jeune frère, 38 ans, papa de 3 jeunes enfants… Il m’a fallu faire 120 km pour pouvoir communiquer avec la famille… plusieurs jours après cette terrible nouvelle…
    Réaction : la catastrophe, le monde qui s’effondre, plus rien ne compte autour de moi, ni les copains confrères qui viennent me dire quelques mots de sympathie, ni le travail pastoral à assurer, ni les gens qui viennent me voir… le trou, le vide, la fin du monde !
    et la douleur accentuée par la distance… « si au moins j’avais été là avec eux » me disais-je, sachant bien que ça n’aurait pas changé la dure réalité… Quatre ou cinq jours de trou noir, de gouffre, sans réactions, un peu dans les nuages, absent, en dehors du monde qui était le mien depuis des années …
    Rien ne comptait que moi, ma douleur, ma solitude loin, si loin, à 4000 km de la famille…
    Et puis soudain, le souvenir si vif de la parole d’un ancien que j’avais rencontré quelques années auparavant dans les montagnes du Nord-Cameroun, que j’étais allé visiter après la mort de deux de ses petits enfants morts de la rougeole (qui peut tuer à cause de la faiblesse et de la malnutrition)
    Il m’a pris mes mains dans les siennes et m’a dit :
    « Merci d’être venu, je vais te parler comme je parle à mon fils…
    Tu vois, nous les hommes en ce monde, nous sommes comme dans le ventre de notre mère… nous sommes là, ensemble, contents, nous nous connaissons, nous sommes heureux de vivre avec tous. Mais voilà ! de temps en temps, il y en a un parmi nous qui s’en va : il sort du ventre de notre mère, nous ne le voyons plus, son départ nous fait mal, nous pleurons, nous nous désolons… mais s’il est sorti du ventre de notre mère, c’est pour naître, au dehors, là où nous ne connaissons rien, là où nous ne savons rien… Nous, nous pleurons un départ, mais de l’autre côté, tout le monde doit se réjouir de cette naissance…Pour nous l’un des nôtres vient de partir, quelle tristesse ! mais pour eux un enfant vient de naître, quelle joie ! Voilà comment je comprends la mort, que nous, nous nommons « mort » mais que eux, de l’autre côté nomment « naissance »… »
    Ces paroles dites par un vieux sage des montagnes du Nord-Cameroun, me sont d’un seul coup revenues à l’esprit… Non pas qu’elles aient atténué mon désarroi, mais elles lui ont donné un sens, un questionnement, une volonté d’expliquer, ou au moins de donner signification et direction à ce que je vivais…
    Et pour porter tout cela et le digérer peu à peu j’ai écrit des poèmes… ce fut ma façon de prendre les questions à bras le corps, à bras le coeur, pour vivre avec et continuer ma route…
    C’est alors que j’ai ressenti presque physiquement, une présence, un cheminement avec moi, un accompagnement… au jour le jour Alain m’était présent, je le sentais, je le devinais, je lui parlais en moi, je le prenais à témoin, je lui disais « puisque tu es sorti du ventre de notre mère, de là où nous sommes encore, attire-moi vers toi, mets-moi en route vers cet autrement du monde que tu as rejoint »… Il m’a fallu près d’un an pour vivre tout cela sereinement…
    Je me permet de donner un autre témoignage, peut-être à l’opposé (qui sait?), c’est celui de la femme de mon, frère Alain… qui dès le début s’est « bloquée » , s’est enfermée dans sa douleur, retenue, non exprimée, refusant toute visite, tout mot de sympathie, pensant que tout cela était de l’hypocrisie, pensant que sa douleur lui appartenait à elle seule, se persuadant qu’elle seule savait ce que c’était que de perdre un mari dans sa jeunesse … Je lui ai envoyé des lettres et des lettres avec mes poèmes, elle les a reçus, je ne sais même pas si elle les a lus… Ce fut le déni total ! « De toute façon personne ne peut comprendre ce que je vis »…
    J’en ai reparlé avec ses enfants, il y a peu d’années, ils m’ont fait comprendre que leur maman n’avait pas encore fait son deuil …20 ans après…
    Voilà, chers amis ma petite expérience… je pourrais ajouter toutes ces déceptions, toutes ces colères, devant la mort d’enfants, dans mes bras, alors qu’on était en train de les soigner ou de les transporter au dispensaire le plus proche…
    Un mur contre lequel on butte… Contre lequel on se fait mal… Un mur dont l’autre côté nous échappe …, parce que nous n’en sommes plus maître…Il faudra bien arriver un jour à ce que l’Homme reconnaisse qu’il ne sait pas tout, qu’il ne connaît pas tout…, à cette limite là, il est invité à reconnaître que quelque chose le dépasse, et que ce n’est plus lui le centre du monde…
    Je vis toujours avec mes questions, mes doutes, mais dans la foi, j’essaie de leur donner, non pas des réponses toutes faites, mais un sens (signification et direction), discrètement, humblement, sans prétention, avec des moments de certitude et d’enthousiasme, et d’autres moments de vide, de nuit, de questions sans réponses…
    C’est, je crois, cette attitude de questionnement qui touche les gens, quand je suis amené à célébrer des funérailles… C’est ensemble que nous nous posons des questions et que nous essayons de leur donner un sens… Pas forcément la réponse de celui qui sait tout !
    Serge Cuenot, Nice

    1. Avatar de Daniel Bougnoux

      Merci Serge, vous avez eu bien raison de ne pas garder le silence, votre témoignage nous fait du bien car vous avez passé votre vie à côtoyer ce que nous vivons, et ce traumatisme qui nous révolte est le sort de combien d’inconnus autour de nous !… Oui, je sens qu’il faudra du temps, et beaucoup de patience pour accepter l’inacceptable, vous avez composé des poèmes, et moi je tiens ce journal du deuil qui, je le sens, me fait du bien en mettant des mots à la place d’un silence qui autrement m’étoufferait ; et quand ces mots en appellent d’autres comme les vôtres, je me dis que ce triste blog n’est pas tout à fait inutile.

  3. Avatar de Pierre Martin
    Pierre Martin

    Jean-Pierre m’a guidé vers votre blog, pensant sans doute qu’en me reliant à vous, ma hantise de perdre ma fille atteinte depuis un an et demi d’un cancer à innombrables métastases successives perdrait de son acuité et que je trouverais de nouvelles ressources pour détourner ses enfants, mes trois petites filles, de prendre le chemin de la désespérance. Communions !

  4. Avatar de Jean Claude Serres
    Jean Claude Serres

    Cher Daniel, je me replonge dans ton blog en parcourant différents articles et commentaires de grande profondeur. Cela me touche. Le silence est aussi nécessaire, non pas comme but, mais comme moyen de régénérer la parole. J’ai trouvé quelques points à te proposer qui me font question, c’est-à-dire qui n’ont pas de réponses évidentes.

    Faut-il écrire tout cela dans un blog ? Pour moi cela relève d’une action qui libère de l’inhibition sidérante. L’écrit par la prise de distance et le partage, les va-et-vient de la pensée peuvent nourrir le cheminement du deuil. Cette douleur psychique n’est pas au bout du supportable puisque elle peut être écrite (« L’écriture ou la vie » de J. Semprun). Il me semble qu’elle présenterait à long terme un risque, celui de la jouissance de la souffrance. A cela il me parait utile de t’engager personnellement à une date précise et connue de toi, où tu auras tourné une autre page de ton existence.

    L’évaluation du niveau de risque à 2 ou à 3 n’a plus de sens du moment que l’avalanche est partie. La probabilité qu’elle parte ne change en rien son ampleur. Par contre il y avait trois possibilités à même probabilité : que l’avalanche parte sous les pieds du premier, sans accident, la situation qui s’est produite, et en dernier, qu’elle parte après le deuxième skieur, laissant ainsi deux orphelins. Skiant à deux, le couple avait aussi pris en compte ce facteur de risque.

    L’idée que Brieuc a détruit votre vie par son imprudence me parait bien toxique. Brieuc en tant qu’adulte a été responsable de ses choix de vie et de leurs conséquences sans avoir de compte à rendre. Chacun est responsable de décider de sa vie. Chacun est maintenant responsable de décider si un tel malheur doit se perpétuer éternellement ou non. Chacun de ceux qui décident de survivre positivement à ce drame, aura nécessairement à tourner la page, à changer d’existence, à accepter le passé. Nourrir ses proches et surtout les petits enfants d’une confiance renouvelée en la vie devient alors un nouvel objectif de vie. La vie ne nous appartient pas, elle nous est prêtée un moment. A chacun de nous d’en faire le meilleur usage à chacun des moments.

    La foi ou la croyance peuvent-ils aider à atténuer la souffrance ? Je ne le pense pas, il ne s’agit pas de trouver une roue de secours. Ce qui me parait par contre très utile voire difficile à contourner, c’est de s’engager dans une pratique spirituelle qu’elle soit confessionnelle ou athée, une forme d’autodiscipline vouée à l’instant présent. La méditation de pleine conscience, par exemple, permet de contrôler, pas à pas, ses pensées et surtout ses souffrances (intellectualisation de la douleur psychique), d’orienter la pensée et l’action future, sur l’instant présent, sur le futur proche et l’intention de reconstruction. Le changement d’existence au cours d’une vie nécessite une décision personnelle, un engagement ou une forme de pari. J’espère que cette décision de vivre à nouveau heureux malgré le manque irréductible, saura surgir au moment opportun pour chacun de vous. Méditer cette possibilité en rapprocherait sans doute la date.
    Bien à toi
    Jean Claude

    1. Avatar de Daniel Bougnoux

      Merveilleuse mise au point, cher Jean-Claude, réconfortante vraiment ! Je vais, nous allons méditer cela…

  5. Avatar de Cécile d'Eaubonne
    Cécile d’Eaubonne

    Elles sont inattendues et magnifiques, Daniel, ces rencontres au fil de votre blog. Un cadeau de Brieuc ? Et pourquoi pas ! …

    Depuis que je vous lis, mes pensées ont pris plusieurs chemins. Le point de départ ? le choix de Brieuc de s’engager sur la neige, ce jour- là. Son destin !

    Désormais, un cataclysme sur lequel nos mots semblent bien pâles pour consoler tant de douleurs.

    Souvenir d’autrefois … Je n’avais que 8 ans, l’année où ma mère est morte.. Je peux vous confier que je me suis écorchée les yeux avec mes torrents de larmes.
    Jusqu’à ce que je réalise … combien sa présence, les souvenirs que j’en avais d’elle m’avaient construite positivement, à mon insu.

    La vie de Brieuc a été riche, joyeuse et pleine. Et je me dis:  » qu’il est et … vivra de toujours à toujours ». Aussi tant mieux qu’à travers les paroles d’un cœur aimant, Mathilde ne doute pas de son papa.
    C’est ce que je souhaite à votre épouse et à vous. Même s’il vous faudra être patients, très patients pour que le trop de colère et d’incompréhensions s’atténue un peu, suffisamment.

    Cordialement. Ch.

  6. Avatar de Cécile d'Eaubonne
    Cécile d’Eaubonne

    La Foi au secours du deuil ? Qu’en est-il dans ma gestion quotidienne de toutes les morts de proches et d’amis … A chaque fois, c’est une remise en cause tellement cruelle de certitudes patiemment élaborées. Rappel de notre finitude inexorable

    Quel sens donner à la vie quand le contexte quotidien fait vivre la perte de la famille d’autrefois et l’absence de celle d’aujourd’hui ? Il reste pour combler le vide quelques temps de partages hypothétiques. souvent mal compris ou négligemment reçus : tels ces sourires dans la fragilité de l’éclosion des fleurs de pommier sur l’envoi d’une photo.

    La mort de Brieuc est entrée par effraction dans mon quotidien de Toscane. Et là où je me reposais, rêvant d’une existence printanière italienne, j’ai retrouvé le temps des insomnies et des questions sans réponses.

    Sauf que … n’ètait-ce pas une façon de veiller à distance avec tous les proches bousculés par l’avalanche mortelle !

    La Foi au secours du deuil ?  » Fable chrétienne pour enfants naïfs » ou … ou … Ou comme le dit l’humour grinçant d’un athée, fier et conquérant :  » Rien à attendre de l’après … just chicken « .

    Là où je vis, il m’est nécessaire de faire appel à toutes les forces vives au-delà des pulsions de mort qui nous minent. Souvent quand absence et douleurs deviennent lancinantes, je me concentre sur celui qui a quitté notre monde visible.

    Et parce que Brieuc est et restera … vivant dans ce temps d’avant et d’après Pâques, je le prie. Oui, je le prie d’étendre encore sa force et ses sourires sur tous ceux qui l’aiment.

    Miracle d’une communion de vivants, dans le froid et la grisaille d’Ile-de-France, j’en recueille à mon tour l’éclat bienfaisant.

    Cordialement aux passants de ce blog.

    1. Avatar de Daniel Bougnoux

      Même réponse qu’à Elisabeth, chère Cécile (et ancienne lectrice !), nous rentrons d’Italie, je prendrai un jour ou deux pour vous répondre et remettre ce blog en route, avec mon amitié, D.

  7. Avatar de Cocci49
    Cocci49

    Moi c’est le contraire, je crois que d’avoir perdu ma mère a fait que j’ai cru un moment aller vers la foi, mais enfin de compte je l’ai regrettée, et je deviens Athée,

    Je ne pense que çà soit bon d’aller vers Dieu après un Décès, il faut d’abord se reconstruire, pour aller vers lui, en tout cas moi je n’ai pas réussi et pensant que j’avais fini mon double deuil, je l’ai blasphémé, comme je ne l’avais jamais fait de toute ma vie, çà m’a fait plus de mal.

    Je pense qu’il faut se reconstruire, et ensuite voir si vraiment on veut aller vers la foi…

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À propos de ce blog

  • Ce blog pour y consigner mes impressions de lecteur, de spectateur et de « citoyen concerné ». Souvent ému par des œuvres ou des auteurs qui passent inaperçus, ou que j’aurai plaisir à défendre ; assez souvent aussi indigné par le bruit médiatique entretenu autour d’œuvres médiocres, ou de baudruches que je…

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À propos de l’auteur

  • Daniel Bougnoux, professeur émérite à l’Université Stendhal de Grenoble, est ancien élève de l’ENS et agrégé de philosophie. Il a enseigné la littérature, puis les sciences de la communication, disciplines dans lesquelles il a publié une douzaine d’ouvrages.

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