La roue de l’infortune (Wonder Wheel)

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Parmi les chefs d’œuvre tardifs de Woody Allen, il faut enfin examiner ce film de 2017, que je n’avais pu voir lors de sa sortie (passée plutôt inaperçue semble-t-il), mais combien impressionnant, si l’on veut bien pénétrer avec Woody dans ce sanctuaire de son enfance, le parc d’attraction de Coney Island ici pieusement, minutieusement reconstitué avec ses manèges, ses stands de tir, ses gargotes, la foule en maillots de bain de l’époque (années cinquante), le tout triomphalement dominé par le soleil géant de la grande roue (Wonder wheel) et baignant dans une chaude lumière orangée, qui semble emprunter ses reflets aux quenouilles de barbe-à-papa et aux bonbons acidulés, dans le tintamarre coloré des toilettes de plage, la musique grinçante moulinée par les chevaux de bois et le claquement des carabines.

Le réalisateur n’a pas lésiné sur la figuration, ni sur la reconstruction d’un monde disparu qui, dès les premières images, nous prend à la gorge, n’avons-nous pas comme Woody, Fellini, ou Tennessee Williams, la nostalgie de ces ambiancespopulaires ? Mais le loisir, la flâne, une humeur de guinguette s’étalent ici pour mieux refouler dans ses marges ou ses plis les drames humains de la frustration, de la jalousie et du crime. Que nous cache cette foule bigarrée ? Lesquels d’entre eux la Grande Roue, du destin ou de l’infortune, va-t-elle de son mouvement uniforme écraser ?

Les Grecs, Œdipe, Hamlet (à travers le livre d’Ernest Jones), Tchekhov ou les tragédies d’Eugene O’Neill sont successivement mentionnés (par le personnage-narrateur qui aspire à écrire), comme autant de poteaux d’alerte fichés sur le sable, ici un drame couve, comment va-t-il éclater ? J’ai rarement eu au cinéma, comme devant ce film et à proportion même de sa frivolité apparente, de l’insouciance de son décor, le sentiment de l’irréparable. Il suffit à Woody de quatre personnages, plus un enfant chapardeur et pyromane, plus deux envoyés de la mafia qui font planer sur la plage l’ange de la mort, pour que du cœur de l’été, entre les corps offerts au soleil, une implacable machine à broyer se mette en place.

Carolina (Juno Temple)

Nos quatre protagonistes sont pourtant sympathiques, et chacun à sa manière attachant. Le père Humphrey (James Belushi), opérateur du manège, bon bougre vite colérique quand il boit, adepte assez frustre des parties de pêche en mer entre copains et des matches de base-ball ; Ginny son épouse (magnifique Kate Winslet), personnage beaucoup plus complexe, mal assortie à son marin pêcheur, car elle a connu le grand amour, pour lequel elle a quitté un premier mari, ancienne comédienne aussi et qui garde la nostalgie des planches, que tout cela lui semble loin dans ce « Roi de la palourde » où elle écaille maintenant les huîtres et sert à table, dans le tintamarre des baraques qui la poursuit jusque dans la miteuse cabane de planches où le couple a son nid ! Survient Carolina (Juno Temple), la jolie fille adulte qu’a eue Humphrey d’une première femme, morte depuis ; elle fuit le mari que son père lui avait tant dit de ne pas épouser, un malfrat mafieux qu’elle a fini par dénoncer à la police, ce qui a mis sur sa tête un contrat ; Humphrey l’a répudiée mais elle ne voit pas où se réfugier ailleurs que chez lui, avec sa pauvre valise, ce qu’il accepte en retrouvant une fibre paternelle qui redonne à sa vie un but. Il va permettre à la jeune femme de rattraper les études qu’elle aurait dû faire en lui payant des cours du soir, au risque d’attirer dans sa maison les tueurs, et de négliger l’autre enfant, le fils de Ginny qui n’est pas de lui, et qui leur cause bien du souci en allumant un peu partout des feux de planche. Et puis, dominant depuis sa haute chaise de surveillant de plage cette famille recomposée, il y a Mickey (Justin Timberlake), beau gosse qui rêve de devenir dramaturge, tout en matant du haut de son perchoir les belles passantes égarées sur la plage – Ginny !

Mickey (Justin Timberlake)

Le feu n’est pas long à prendre entre ces deux-là. Ginny est plus âgée mais encore très attirante, et le romantique Mickey s’ennuie après ses heures de surveillance ; ils se retrouvent sous les planches de la jetée pour de furtifs accouplements (les scènes sexuelles chez Woody sont toujours très chastes), et par de petits cadeaux de livres il lui rappelle sa vocation de comédienne, et les prestiges du répertoire. Tout irait bien entre eux si, fatalement, Mickey ne la croisait un jour où elle sort avec sa belle-fille, que d’abord il ne distingue pas vraiment ; mais la jeune fille passe un autre matin au pied de son observatoire et le hèle, il lui prête un livre, et de fil en aiguille l’invite au restaurant.

Ginny (Kate Winslet) et son fils

Carolina bien sûr, autant qu’Humphrey, ignore tout de la liaison entre cet homme et sa belle-mère ; avec le plaisir innocent d’avoir fait une belle rencontre elle en parle à celle-ci, lui demande conseil… Carolina a (provisoirement) échappé à la mafia qui activement la recherche ; la façon dont elle tente de se reconstruire, en ruinant du même coup le bonheur de Ginny, donne lieu à des scènes d’une intensité poignante, où la femme mûre devine que son amant lui échappe, et par ses questions et sa persécution – t’a-t-il pris la main ? Embrassée ? – précipite son propre malheur. Dévorée de jalousie, elle soumet Mickey à un tel feu roulant de soupçons et de sommations que nous voyons physiquement, sur les deux visages affrontés, l’amour et le désir se transformer en haine. Grands, intenses moments d’un cinéma qui excelle à capter entre les mouvements et flonflons de la fête foraine la tempête des âmes !

La machine infernale à partir de là, aussi inexorable que la Grande roue, s’abat sur les deux femmes. Les deux gangsters de la mafia ont localisé leur proie, et par l’indiscrétion d’une voisine appris où elle doit dîner avec son futur ou prévisible amant. L’apprenant à son tour, Ginny affolée tente d’abord de téléphoner au restaurant pour qu’on prévienne Carolina, qu’on l’écarte des tueurs – mais à peine la conversation établie avec le gérant, elle se ravise et, dans un sanglot, raccroche, en condamnant à mort sa belle-fille.

Nous ne verrons pas cette mort, mais seulement Caroline sortant du restaurant, les deux jeunes gens se disant gaîment adieu, elle préfère rentrer à pied, sans voir qu’une lourde limousine noire s’ébranle et la suit. Mais le matin suivant, Humphrey et Ginny constatent qu’elle n’est pas rentrée. Lui se rend à la police déposer sa demande de recherche tandis que son épouse, comme égarée, s’habille en tragédienne de théâtre et monologue bizarrement ; le monologue augmente quand surgit Mickey, auquel elle débite, hagarde, un discours de disculpation. Mais Mickey a tout compris des péripéties de la soirée, il a parlé au patron du restaurant, su que Ginny avait appelé et comment elle avait renoncé à prévenir, et il accuse maintenant sa maîtresse de meurtre. Hors d’elle-même, somnambule et dans un geste de folie racinienne elle s’empare d’un couteau de cuisine qu’elle lui tend, dans une scène où l’irréalité, dominée par le théâtre, et la cruauté se confondent, elle nie de toutes ses forces la responsabilité d’un meurtre qu’elle a pourtant voulu, elle est Hermione ou Lady Macbeth, à la fois bourreau et victime brisée de douleur. Immense scène tragique qui laisse pantois, on est si vite passé des promesses de bonheur à un tel abîme de confusions et de souffrances ! Tandis qu’au-dessus des têtes grince la roue, et que Woody en bande-son nous repasse, comme si de rien n’était, les standards d’un jazz de kermesse et d’un bal bon enfant.

On n’oublie pas un pareil film, doté d’un tel pouvoir de hantise. Nous avons déjà vu Woody filmer la culpabilité (Crimes and misdemeanours, Match point, Cassandra’s dream), et les variables façons dont les criminels endossent ou non leur faute ; Ginny de son côté oppose à son crime une titubante dénégation, génératrice de délire – où le jeu de Kate Winslet parvient à nous glacer d’effroi. À quelle profondeur atteint cette scène finale, avec quelle délicatesse !

Mais tout ce film à voir et à revoir mériterait, scène par scène, une étude détaillée. Que dire en particulier du jeune garçon orphelin de père, Richie, lâché comme Woody le fut dix ans plus tôt en culottes courtes, dans ce même parc de Coney Island, et qui y met le feu un peu partout ? Dans beaucoup de ses films, disais-je, on entend un enfant. En 2017, dans son quarante-septième opus, Wonder Wheel nous le montre sous deux visages, en cinéphile et pyromane. Portrait of the artist as a (very) young man ?

Inquiétant Woody…

17 réponses à “La roue de l’infortune (Wonder Wheel)”

  1. Avatar de JFR
    JFR

    Mon commentaire
    Oui une tragédie… Ou la tragédie grecque dans le roman policier, pour parodier Malraux et Sanctuaire… Mais pourquoi « Oedipe et Hamlet »de Jones traine-t-il dans les poches de Mickey et non une pièce de Jean Racine ? Wonder Wheel évoque Phèdre et la colère des dieux. Humpty aime Ginny qui aime Mickey qui aime Carolina. Cela ne vous rappelle-t-il pas quelque chose ? Thésée aime Phèdre, qui aime Hippolyte, qui aime Aricie. Le héros tragique n’échappe pas à son destin, écrit-on. La grande roue fatale va bientôt écraser tous les protagonistes. Beauté fatale de Kate Winslet qui perd la boule comme Cate Blanchett dans Blue Jasmine…Et sur la plage, Richie, Eros pyromane, lance ses flèches enflammées pour un nouvel incendie…. »Tout m’afflige et me nuit et conspire à me nuire.. ». (Phèdre Acte I sc 3)

    1. Avatar de Daniel Bougnoux

      Oui Jean-François, la tragédie tu as raison et nous sommes bien d’accord. (Que nous sommes loin de l’image convenue d’un WA amuseur !) La tragédie est rouée, elle consiste à se blesser, à se torturer soi-même, selon une réflexivité bien illustrée par cette Grande roue qui revient indéfiniment, inexorablement sur elle-même,métaphore splendide et fatale… Ginny fait son propre malheur, elle le sait et dans cette mesure sa consciences est broyée. Mais dans la scène finale de cette conscience aux abois, torturée par le crime qu’elle vient de commettre, Woody nous donne une peinture clinique de la dénégation, de la folie pure d’une conscience qui vacille et se coupe en deux par ultime défense, ce n’est pas moi c’est l’autre… Cette scène est bouleversante, elle nous met aux antipodes des comédies « légères » de Woody. Qu’en dit le psychanalyste ? Le cas de Blue Jasmine elle aussi guettée par le dédoublement et la folie, me semble moins fort car moins dramatique. Encore que dans les deux cas, le drame soit né d’un coup de téléphone fatal…

  2. Avatar de Kalmia
    Kalmia

    Bonjour!

    Nous voici à Pâques, au joli printemps, un peu casanier quand même « par suprême anankè », dirait un connaisseur de la tragédie grecque.

    Et dans le billet haut en couleur du maître des lieux, la roue d’infortune contant les affres de joutes sentimentales, n’en finit pas de tourner ses ailes dans un parc de Coney Island où Woody a planté le décor.

    Nous sommes bien loin du ballet où la fée Dragée comble tous les désirs enfantins, là où violons succédant aux violoncelles donnent aux pervenches et aux myosotis des visages de princesses…Sous la férule de notre Casse-noisette, ce n’est pas un mirliton qui fait son apparition mais un psychanalyste… Dieu soit loué ou loués soient nos seigneurs! De toutes façons même si la vie réelle, celle de tous les jours, ce n’est pas du cinéma ni un opéra, il y quand même du roman et de la féerie dans l’air en ce « jour de fête ». Je veux dire qu’il y a du « religieux » au sens donné par l’analyseur de la structure strictement matérialiste de cette « nature » de l’existence collective.

    Nous n’allons plus au cinéma, le rideau sur l’écran est tombé…Reste le divan où les pauvres de ce bas monde oncques ne vont s’allonger et le canapé pour Monsieur Tout-le-Monde devant sa télé et sa douce folie.

    Tourne la roue de l’infortune pour les uns et les autres, confrontés aux durs obstacles de la vie de tous les jours.

    Entre les mystères de la solitude et la force de la volonté, il y a « la roue du devenir », si j’en crois un auteur cité dans le « Droit de rêver ».

    Que sait-on, des puissances d’icelle? Dites-moi, Monsieur!

    Un prince de l’université n’y va pas par quatre chemins : « D’analyse en analyse, la descente est subtile et sans terme. (…) C’est un autre chemin que nous cherchons, une montée où nous verrons les choses se rassembler au lieu de se disperser, et où le hasard nous abandonnera, comme Virgile quitte Dante à l’entrée du Paradis. C’est la beauté qui sera notre guide.  »

    On pense au lieu que le commentateur nous laisse judicieusement apercevoir :

    « Dieux ! que ne suis−je assise à l’ombre des forêts !
    Quand pourrai−je, au travers d’une noble poussière,
    Suivre de l’œil un char fuyant dans la carrière ? » (Phèdre I, 3)

    Oui, c’est joliment dit mais bon, ça fait des livres qui remplissent les étagères sans changer grand-chose à la vie des gens ordinaires.

    Aux dernières nouvelles, « rien ne va plus en physique! » On aimerait qu’elle s’arrête, cette « roue qui tourne », sur les derniers mots d’un livre que je prends comme un dé – un essai de philosophie des corps mêlés – où je lis au dernier chapitre intitulé « Joie » : « J’aurais voulu le nommer : résurrection – ou renaissance. »

    Bien à vous

    Kalmia

  3. Avatar de Gérard
    Gérard

    Bonsoir!

    Billet et commentaires intéressants.

    On na pas mégoté, sans doute, sur la bande-son et les contrechamps audacieux pour épater une galerie qui n’est plus du genre à aller au charbon. Germinal a bonne mine à côté des superproductions yankees! Comme un prêtre dans la mine, un fana des belles-lettres passerait maintenant pour un dinosaure, en ce monde attiré par tout ce qui brille. Derrière la fête du parc de Coney Island, les grandes questions demeurent : Qu’est-ce qu’une bonne vie et comment s’y prendre avec sa vie?

    Kalmia nous emmène sur un ballet, tout en légèreté, faire un tour du côté de chez Casse-Noisette en ce « jour de fête » qui nous rappelle un autre film. Références à une Critique de la raison politique et à une éducation politique, à La clef de la magie noire, Au hasard, la chance, la science, au Cinq sens et à l’échec de la théorie des cordes sans oublier Jean Racine, cité précédemment par Monsieur J-F R?

    Kalmia cite la célèbre et si belle métalepse de la pièce (une litote, selon la culture Internet)

    Au delà de l’écran et du mur des images, avec et sans les figures de Gérard Genette, avec et sans les films de Woody Allen, toucher le grand large, pour employer un titre de Christiane Rancé, que l’on a vue ce jour de Pâques, à la télévision, dans une émission en quête d’esprit.

    MM Klein et Perry-Salkow par une merveilleuse anagramme ont trouvé « une voile leste, l’attrait du large » _ « entre la solitude et la vulgarité ».

    Laborieuse bagatelle nous dit un dictionnaire universel, des sciences, des lettres et des arts, parlant de l’anagramme sans omettre de préciser que le goût de ce dérangement de lettres a passé depuis longtemps. Dictionnaire en date de MDCCCLIX.

    Le trait d’union est au goût du jour, celui de l’enfance – surenfance sans doute – celui de l’avenir.

    Jeux inter-dits ou médium, le maître du mystère.

    « Envoyer » sur la toile est une chose… »Toucher » sur une route de terre sainte en est une autre.

    On a le droit de s’interroger et d’interroger, fût-ce ce rouleur de pierre nommé Sisyphe.

    Bonne nuit

    Gérard

    1. Avatar de Daniel Bougnoux

      Mais, cher Gérard, ce qui me semble touchant et bien digne de mon travail de Sisyphe sur les films de Woody Allen, c’est que ceux-ci ne relèvent à aucun degré de la machine de production hollywoodienne, qu’ils en sont la précise réfutation. Cette opposition explique sans doute que Woody, déjà très mal distribué dans son pays, ne soit guère relayé ni aidé par la profession, en ces temps de maccarthysme redivivus…

  4. Avatar de m
    m

    Bonjour!

    C’est une très belle et juste réponse que vous faites ici, Daniel.
    On vous comprend et bien sûr, nous sommes d’accord!
    Mais quand la vedette vient à Paris avec Madame, et descend dans un hôtel de luxe qui loue des chambres à prix d’or, le petit peuple qui ne demande pas des autographes mais une autre manne, ne peut l’approcher et vous le savez bien.
    En ces temps d’incompréhension redivivus, observons au moins une chose :
    L’inexistence d’un trait d’union entre deux mondes et vous le savez pertinemment.
    Juste pour le plaisir et sans digression aucune, voici la réaction d’un « mutant » parisien aux semelles de vent, qui a lu nos propos :

    « J’ai partagé il y a quelque temps d’une table ronde à Nantes avec Levy-Leblond pendant le Festival des Utopiales.
    (…)
    L’auteur désigné comme (…)ne peut qu’être un clone (…) non ? ou alors il s’agit d’un membre de la Huitième Tribu qui a fini par retrouver son chemin et ses compères philosophes vagabonds, littérateurs ensauvagés , poètes des horizons, alchimistes buissonniers… bref un bande de joyeux copains…

    A tout bientôt, je suis en zoom avec le Togo dans peu de temps… voilà une phrase qui signe bien les temps nouveaux non ?
    Tout bien à vous (…)
    Emilie, on s’appelle ?  » (Fin de citation)

    Ils sont légion les gens de prospective, issus du milieu universitaire qui vont au charbon dans les entreprises par les temps qui courent. Comme un prêtre dans la mine, le conférencier, celui qui parle et fait des vidéos, voire des revues, peut-il, selon vous, cher estimé Monsieur Bougnoux, changer en profondeur les couleurs de ce monde devenu stone, comme on dit souvent dans notre randonnée inachevée?
    De son bureau rempli d’ordinateurs dernier cri et muni de son outil symbolique de menuisier, notre homme nouveau, tel qu’il est ici brossé, serait-il selon vous, le héraut de l’au-delà que Monsieur Woody Allen, cinéaste juif new yorkais plein de talent, pourrait imaginer dans son adytum très personnel?
    De mon correspondant que je vois « Comme un prêtre dans la mine », n’allez pas croire que c’est Monsieur « Emmanuel Macron, président » comme pourrait le laisser penser l’anagramme en vingt-trois lettres de ces deux expressions entre guillemets!
    Tout simplement un brave homme comme vous, qui sera aux anges de lire votre réponse d’échanson des profondeurs.
    Monsieur J-F R, si vous êtes là, sachez que votre commentaire sur la question sera lue avec beaucoup d’attention. Je n’oublie pas Monsieur Léon, Monsieur Spartacus, de l’arène , Madame Bonneau, du Val d’Oise et les autres, bien entendu! Tous gens bien endentés mes bons seigneurs. Leur botte sera la bienvenue dans nos jardins piétinés.
    A ce plaisir.
    Très cordialement

    m

  5. Avatar de MG
    MG

    Belle fable, toujours d’actualité.

    M G

  6. Avatar de Kalmia
    Kalmia

    Bonjour!

    Oui, on a bien compris par cette phrase lapidaire que « Le jardinier et son seigneur » étaient de la partie.

    Brisons là.

    Pourquoi faut-il lorsque l’on parle de Woody Allen, on pense tout de suite « psychanalyse »?

    A Paris, on devise sur Lautréamont en salle d’attente…Pourquoi pas?

    En quelque lieu retiré, sans salle d’attente ni salle capitulaire, j’ai ouï quelques propos qui m’ont fait penser aux commentaires du présent blogue, hébergé par un journal d’essence chrétienne. Il était question de « Rudolph Allers ou l’anti-Freud » qui fut porté à la connaissance du public français par Louis Jugnet, auteur d’un mémoire intitulé « Essai sur les rapports entre la philosophie suarézienne de la matière et la pensée de Leibniz » et de quelques ouvrages.

    Monsieur Bougnoux qui connaît bien ce milieu intellectuel et les commentateurs que je crois versés dans la discipline pourraient peut-être nous aider à y voir plus clair. L’anti-Freud de Monsieur Allers est-il le même que celui de Monsieur Onfray? En quoi diffèrent-ils?

    Bien à vous tous

    Kalmia

    1. Avatar de Daniel Bougnoux

      Je ne connais pas l’anti-Freud de M. Allers, mais à la question « Pourquoi Allen est-il mêlé à la psychanalyse », je répondrai par le grand tournant, qu’il n’a cessé de refléter, de l’individualisme contemporain. Le marché des amours comme celui des biens de consommation invite à changer, à remplacer plutôt qu’à réparer ; d’où résulte un interminable parcours d’obstacles avec mille frustrations, mille fluctuations des individus désormais flottants. Sans attaches durables.
      Un bureau permanent d’évaluation des choix et des performances de chacun s’est ouvert avec l’omniprésente psychanalyse. La place donnée à cette envahissante innovation caractérise les films de Woody, où le divan figure moins une occasion de cure qu’un objet de raillerie, ou de suspicion : le « remède » qu’il propose ne serait-il pas pire que le mal ? Ne constituerait-il pas le problème, plus que la solution ? Les entretiens avec le ou la psy débordent, et envahissent les dialogues, les personnages alleniens n’arrêtent pas de s’analyser, de soupeser leurs choix, de douter de leurs doutes, de re-rêver leurs rêves, d’interpréter leurs interprétations… L’individu mis en scène est toujours à double-fond (collusion sur ce point de la psychanalyse, du sentiment amoureux et de la magie) ; mais cette capacité critique d’auto-analyse et d’incessantes auto-observations n’aide pas, le remède côtoie le poison, les individus se parlent plus qu’ils ne se construisent. « Je sais bien… mais quand même », pourraient soupirer bien des personnages confrontés à leur irrationalité, incapables de soutenir le regard des autres et de se regarder eux-mêmes en face. Rongés par un sentiment d’impuissance que le divan nourrit, avec ses incessantes remises en question qui font lever le doute sur le fameux, l’inaccessible accomplissement personnel : « J’ai éprouvé pour la première fois de ma vie un orgasme, mais mon psy m’a dit que ce n’était pas le bon… » (entendu dans Manhattan).
      L’individu incertain, ou La fatigue d’être soi, ces titres de (beaux) livres d’Alain Ehrenberg, trouverait dans les films que nous abordons ici un éclatant contrepoint.
      La psy (évidemment interminable) propose donc moins une cure qu’une culture, un accompagnement de la vie doublée par cette parole soupçonneuse, inquisitrice ou ironique. En nous dédoublant, elle offre dans cette mesure une échappatoire à ce qui nous pèse, nous écrase ; elle s’invite donc naturellement aux cocktails où l’on échange des cigarettes et des verres d’alcool, elle fait partie de ces anxiolytiques ou de ces stimulants, drogues douces indispensables à l’entretien du fragile petit moi. Aux convictions fortes, morales, religieuses ou professionnelles des générations précédentes ont succédé une perplexité, une instabilité fondamentales ; l’individu hésite et flotte, sans remède, et c’est le cinéma, mieux qu’aucune cure, qui se propose de transfigurer ces déséquilibres en œuvre d’art.

  7. Avatar de Gérard Fai
    Gérard Fai

    Bonjour!

    Je viens de recevoir un propos de Monsieur Hervé Fischer, Philosophe et artiste multimédia, de nationalité française et canadienne, son travail a été présenté dans de nombreux musées internationaux et biennales; fondateur et président de la Société Internationale de Mythanalyse (Montréal, Québec-Canada); directeur de l’Observatoire international du numérique, Université du Québec ; ancien élève de l’École Normale Supérieure, pendant de nombreuses années il a enseigné la Sociologie de la culture et de la communication à la Sorbonne, et il a aussi été professeur à l’École Nationale Supérieure des Arts décoratifs.
    Voici ce qu’il écrit :

    « Comment s’étonner que les désastres humains du XIXe siècle aient rendu nos intellectuels pessimistes et désabusés ? Même si cette tendance lourde de l’esprit humain avait été déjà revendiquée par Schopenhauer, Kierkegaard et même chez nos philosophes sceptiques et stoïciens de l’Antiquité grecque.
    Mais depuis Freud, analyste du « malaise dans la civilisation », inventeur d’un inconscient qui croit avoir découvert au plus profond de chacun de nous un marécage pestilentiel, nous avons dû nous habituer à l’idée d’être tous des malades mentaux, névrosés, hystériques, en proie aux affres du complexe d’Œdipe et obsédés sexuels. Pour en finir avec cette pathologie théorique qu’on a appelé la psychanalyse, il faut se demander quelle crédibilité on peut accorder à un « médecin des âmes » qui se déclarait « naturaliste » et qui s’est révélé être un mystificateur, un monstre de misanthropie et de misogynie, manipulateur soucieux de contrôler l’Association internationale de psychanalyse qu’il avait fondée comme une secte lucrative dont il s’assurait de protéger les « brevets » théoriques et thérapeutiques. Que penser d’un médecin qui écrivait à son ami Wilhelm Fliess en 2001 : actuellement, pour assurer mes revenus, « je ne puis vraiment compter que sur un seul malade, un jeune obsédé, et la bonne vieille dame qui représentait pour moi une petite rente est morte pendant les vacances… ». Que penser d’un esprit brillant de lucidité, qui écrit : « Les femmes ne tarderont pas à contrarier le courant civilisateur ; elles exercent plutôt une influence tendant à le ralentir et à l’endiguer. (…) L’œuvre civilisatrice, devenue de plus en plus l’affaire des hommes, imposera à ceux-ci des tâches toujours plus difficiles et les contraindra à sublimer leurs instincts, sublimation à laquelle les femmes sont peu aptes . »
    Faudrait-il alors le suivre, lorsqu’il ne voit dans l’art qu’une sublimation de nos névroses « un doux enivrement », « une légère narcose où l’art nous plonge (qui) est fugitive, simple retraite devant les dures nécessités de la vie, elle n’est point assez profonde pour nous faire oublier notre misère réelle » et qui ajoute : l’art est « inoffensif et bienveillant, il ne prétend à être qu’une illusion et ne tente jamais l’assaut de la
    réalité » (Fin de citation)
    Par saint Woody, quelle histoire!
    Peut-être, aimerez-vous en dire quelque chose…
    Ici, à l’abbaye, on n’est pas assez artiste, pas assez intellectuel pour comprendre tout « ça »… Aussi, vos lumières nous seront bien utiles, Madame, Monsieur, si vous daignez nous instruire.

    Bonne soirée

    Gérard

  8. Avatar de Cécile d’Eaubonne
    Cécile d’Eaubonne

    La roue de l’infortune d’après Woody Allen. Un genre thriller pour le spectateur de cinéma qui peut capter toutes les nuances de l’action signifiées par le jeu des acteurs.

    Mon jugement à la lecture de votre texte, cher Daniel ? Je m’interroge encore si je bute sur mes souvenirs de ces « fêtes à neu-neu », pleines de promesses quand s’installent les baraques et les lampes colorées. Ambiance de pacotille et cœur de village encombré de résidus quand sonne la fin des réjouissances. Des moments d’attente, toujours déćus … Ai-je lu le mot tragédie dans l’écriture de l’un ou l’autre des contributeurs ?

    De quelle tragédie s’agit-il ici ? Woody Allen nous parlerait ( encore) de ce que fut son enfance. On n’échappe pas à l’introspection qui mène à la psychanalyse honnie par l’un et l’autre. Et vous-même ?

    De ma posture vis à vis de la mise en lumière de celle-ci, j’en dirai peu. A savoir qu’elle apporte un éclairage supplémentaire à toute la littérature produite à travers les siècles. Et tant mieux ..

    Daniel, j’ai souvent apprécié votre manière de nous raconter les films de Woody Allen. Que nous vaut cette lourdeur d’écriture dans celui-ci ? La copie à retravailler serait-elle nécessaire ?

    Pour ne pas conclure … je sais tout sur les affres de l’existence de Woody Allen. On peut donc et désormais se passer d’entrer dans son cinéma . Non, ce n’est pas votre souhait … Mais je me suis égarée dans ce dernier texte. Et au lieu de l’éblouissement, j’éprouve ennui et lassitude : je n’aime pas les fêtes à « neu-neu » !

    1. Avatar de Daniel Bougnoux

      Votre (inhabituelle) sévérité me surprend chère Cécile, vous n’aimez pas la reconstitution par Woody de Coney Island, décor de son enfance devenu cadre pertinent pour y inscrire cette bien réelle tragédie de la jalousie, admirablement mise en scène ? J’ai découvert tardivement ce film (le dernier de ma liste), c’est pourtant l’un de mes préférés. Je remets aujourd’hui à l’éditeur mon bouquin d’abord donné en bonnes feuilles à ce blog (une bonne moitié), et qui s’intitulera « Génération Woody ». Je ne publierai donc plus ici sur cet immense personnage, victime aux E.-U. d’une effroyable campagne de dénigrement, mais je tiens par ce livre à lui rendre hommage, je n’aimerais pas qu’à sa mort, prochaine (il est âgé de 85 ans), il roule à la fosse commune de l’Histoire dans l’indifférence, ou sous les sifflets (comme ce fut le cas pour tant de créateurs, de bienfaiteurs qui me sont chers, au premier rang desquels notre Aragon).

  9. Avatar de Cécile d’Eaubonne
    Cécile d’Eaubonne

    Cher Daniel,
    Je n’ai aucune critique sur un film que je n’ai pas visionné. N’ayant même pas repéré à la lecture de votre article que l’intrigue s’enroulait autour d’une question de jalousie, je vous ai invité à retravailler votre copie. Sans doute me trouverez-vous «  effrontée » de vous demander un travail pour davantage de limpidité dans l’écriture de cette bonne feuille.

    Et, je formule de nombreux vœux pour la réception positive de ce travail ! Avec beaucoup de satisfactions en retour … Ne doutez pas de mes encouragements.

  10. Avatar de m
    m

    Bonsoir!

    En cette seconde quinzaine d’aprilée qui s’annonce, ici avec vent un peu froid, j’écris ce commentaire dans la chaleur prodiguée par le poêle à bois qui réchauffe cette chambre.

    J’ai relu pour le plaisir, le billet et la douzaine de commentaires qui suivent.

    Si j’ai bonne mémoire, le mot « tragédie » a bien été employé par Mme Kalmia associé au mot « nécessité », je crois!

    Je me souviens de cette fête en quelque ville dont parle dans « Intermezzo », Jean Giraudoux.

    La fête foraine habite notre enfance, si l’on peut dire…Je suis pourtant d’accord avec la dame d’Eaubonne qui dépeint justement un état d’âme qui n’est pas à la fête.

    Dans le magma des arias quotidiens, il y a t-il encore une petite place pour le rêve, un ailleurs qui a du corps?

    Une petite fête en soi, c’est vite dit! On rêve tous de « faire la fête ».

    Alors pour ce faire, j’en ai choisi une. Oui, une fête de la rose.

    Celle qu’un ami de Monsieur Bougnoux « espère voir renaître, dans un coin de l’astre errant, en quelque lieu de mémoire, une fête moins fallacieuse et plus durable que celle que nous ont fait miroiter tant de songes et d’orgueils évanouis » (« Le siècle vert », page 56)

    En attendant, je vous laisse effeuiller les pétales de la fleur et les lettres de ses belles anagrammes.

    Bonne nuit à tous.

    m

  11. Avatar de MG
    MG

    Une petite pensée, ce soir, pour le randonneur qui a publié l’auteur, chanté tout à l’heure, sur France 3.

    Que retenir de cette émission spéciale? Quelques bons et justes mots, sans doute!

    Mais au delà? Je veux dire au delà de l’écran…

    Un autre jour, peut-être…à penser.

    Bien à vous

    MG

  12. Avatar de Kalmia
    Kalmia

    Oui, vous voulez parler de l’émission sur Jean Ferrat.
    J’ai regardé et j’ai bien aimé. Je ne sais pas pourquoi, j’ai pensé à une citation de Allen Stewart Königsberg :
    « La vie est une maladie mortelle sexuellement transmissible »
    Penser au delà de l’écran, dans son jardin de curé, facile à dire!
    Jour et nuit, on respire le chanteur, celui qui cherche une étincelle de vie en compagnie d’une vieille femme ardéchoise qui fait cuire sa soupe , sur le feu de sa cheminée.
    Et Jean Ferrat de dire haut et fort : « Une civilisation qui va sur la lune et qui ne sait pas faire la soupe est une civilisation perdue. »
    Lui, a acheté une cheminée mais n’a pas fait de feu. Et pourtant c’est le feu sacré qui l’anime. Là est tout le paradoxe et là, au lieu du mépris, du ressentiment, voire de la haine qui pourraient s’exprimer, c’est une invite à chercher à comprendre qui prime et qui s’impose.
    On ne joue pas aux pauvres quand on est plein aux as et l’on ne joue pas aux riches quand on n’a pas le sou.
    Antraiges-sur-Volane a voté pour les extrêmes, comme ils disent! Et Jean de prendre le micro pour dire toute sa colère, au vu et au su de ce choix légitime sorti des urnes de la République française.
    Tout est là et le chanteur en est bien conscient…Siéger au Conseil municipal du village et faire la boule avec Félicien, c’est bien et pourquoi pas?
    Mais ce n’est pas vivre « peuple » quand en même temps on fait des grands et beaux voyages et que l’on couche dans la dentelle des hôtels de luxe.
    Le merveilleux artiste en est conscient…Il est dans le système et il le sait.
    Peut-être et même pourquoi pas, est-il là, ce soir, par-dessus mon épaule, pour relire cette phrase de Gaston Bachelard que j’aime beaucoup, ici soumise à l’attention particulière du randonneur cinéphile :
    « Les problèmes les plus beaux se posent au sommet de la culture. Connaître ne peut qu’éveiller un seul désir : connaître davantage, connaître mieux. »
    Aragon/Ferrat, c’est préparer un avenir de la culture.
    C’est bien dit mais ça veut dire quoi, au juste?
    Allez de ce pas poser la question à ces gens que je connais bien et qui, ce jour, on abattu des chênes dans les prés d’alentour!

    Et si dans les limbes de « la matière » (anagramme de « ma réalité ») une source chantait…

    Kalmia

    1. Avatar de Daniel Bougnoux

      Damned, j’ai (nous avons) raté Jean Ferrat hier soir ! C’est Odile figurez-vous qui m’a fait connaître ses merveilleuses interprétations d’Aragon, pas le premier disque que je connaissais de longue date mais le second, encore plus beau ! Ah « Les oiseaux déguisés », ou le poème sur la peinture de Chagall… Connaissez-vous cela, Kalmia ? Je me souviens des funérailles (quasi nationales) de Jean Ferrat à Antraigues, la foule immense qui s’est mise à chanter « La Montagne ». Je me redisais cette chanson hier en grimpant sur la cime qui surplombe Poet-Laval, à la rencontre de chevaux sauvages que nous aimons y caresser, la montagne était belle mais pas encore entrée dans le printemps, et le mistral soufflait un peu fort.

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À propos de ce blog

  • Ce blog pour y consigner mes impressions de lecteur, de spectateur et de « citoyen concerné ». Souvent ému par des œuvres ou des auteurs qui passent inaperçus, ou que j’aurai plaisir à défendre ; assez souvent aussi indigné par le bruit médiatique entretenu autour d’œuvres médiocres, ou de baudruches que je…

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À propos de l’auteur

  • Daniel Bougnoux, professeur émérite à l’Université Stendhal de Grenoble, est ancien élève de l’ENS et agrégé de philosophie. Il a enseigné la littérature, puis les sciences de la communication, disciplines dans lesquelles il a publié une douzaine d’ouvrages.

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