L’appel du 18 juin, exemplaire SFP ?

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On appelle self-fullfilling prophecy (ou prophétie auto-réalisatrice) dans le domaine des sciences info-com et de la pragmatique, ces énoncés qui ont pour vertu d’entraîner ou de faire advenir leur contenu, frôlant ainsi les usages sacrés ou magiques de la parole : « Sésame ouvre-toi ! » et, animé par ce petit mouvement des lèvres, le lourd rocher tourne sur sa base. Quel enchantement !

Ou quelle économie de force quand les mots semblent ainsi en prise directe sur l’ordre des choses. Ce commandement suivi d’effet comble les vœux de l’enfant qui sommeille en chacun, et le recours à la magie semble en effet relever de cet âge où, encore dépourvus de force, nous l’anticipions ou la remplacions par le pouvoir des suppliques, des colères ou des ordres infligés à notre entourage.

John L. Austin (1912-1960)

L’efficacité parfois très matérielle des symboles, au premier rang desquels les mots de la tribu, n’étonne pas celui qui s’est un peu frotté aux « actes de langage », dont la théorie s’est beaucoup développée depuis J. L. Austin, l’initiateur lui-même ironique et tâtonnant de ce courant d’études (How to Do Things with Words, 1961). On sait, classiquement, que cette efficacité ou, dit Austin, cette félicité des mots se divise globalement en deux branches : certaines phrases font automatiquement ce qu’elles disent, du seul fait de leur prononciation, comme par exemple « Je vous présente mes sincères condoléances », ou « Je m’excuse » (l’auteur de ces mots peut bien penser tout le contraire, il n’empêche : le seul fait de les articuler a performé indubitablement l’acte par eux désigné ; auto-référentiellement ou « par la présente »), excuses ou condoléances se sont trouvées, en bonne et due forme, actées quelle que soit la sincérité du locuteur. Ces énoncés performatifs sont donc appelés context free, indépendants de leurs conditions psychologiques ou sociales d’énonciation.

Mais la grande majorité de nos verbes ou actes performatif requiert inversement, pour être suivis d’effets, quelques impérieuses conditions. La vaste catégorie des sacrements exige que le locuteur soit la personne accréditée : le prêtre pour performer la cérémonie de la messe, ou de la communion ; le chef de l’Etat pour déclarer la guerre, ou telle manœuvre diplomatique ; le patron pour articuler efficacement « Vous êtes viré » ou promu dans votre carrière, le président de jury pour conférer le grade de docteur à l’issue de la soutenance de thèse. Etc.

Mystères du ministère ou, disait encore Bourdieu, magie du magistère !

J’ai moi-même un peu sacrifié à ce courant d’études, qui m’a retenu par les aspects quelque peu sorciersde l’efficacité symbolique : nos mots ne sont pas simple flatus vocis, la théorie (contrastée, bigarrée et d’ailleurs contestée) des « actes de langage » prend position contre une conception trop simple d’une parole qui ne ferait que représenter alors qu’elle modèle, qu’elle agit ou qu’elle crée. Austin a baptisé performatifs de tels usages, pour souligner que parler c’est parfois agir, ou intervenir sur le cours du monde et le changer. Si l’on se rappelle que jouer en anglais c’est to perform,l’homme de théâtre ou le poète en savent quelque chose ; la poésie ne se réclame-t-elle pas d’ailleurs de cet obscur « poiein » qui, dans le poème, fait lui aussi parfois des choses avec des mots ? Sois sage ô ma douleur et tiens-toi plus tranquille, mais aussi, d’Aurélien à Bérénice, Vous avez été tout ce qui a jamais chanté dans ma vie…

La déclaration d’amour, ou l’aveu, font indiscutablement partie de ces actes qui changent (pour deux interlocuteurs) le cours du monde : la flèche ne court pas world to word (comme dans les usages simplement constatifs du langage), mais word to world (un mot se trouve prononcé et tout en est bouleversé). Eros dépend étroitement de certains mouvements de nos lèvres, les mots dans une bouche amoureuse sont de la dynamite, comme on le voit par les précautions du marivaudage, un jeu qui consiste à ne pas aller trop loin, ou à dire sans dire (stratégie du sous-entendu ou de l’insinuation, très utile dans nombre de circonstances elles-mêmes étrangères à l’amour).

« Je t’aime », cette déclaration est beaucoup plus performative que simplement constative, notre relation à l’autre prend avec elle un nouveau cours – mais la formule n’est pas pour autant performante ni automatiquement  couronnée de succès ! On ne peut parler dans ce cas de prophétie auto-réalisatrice, mais seulement concéder ceci : si l’on veut que telle situation évolue dans tel sens, il convient que certains mots soient prononcés. Notre parole ne conditionnepas la situation, mais elle en constitue une condition nécessaire (sinon suffisante) : dans l’éducation notamment, on sait que le développement favorable d’un enfant passe par des mots énoncés au bon moment, par la personne appropriée ; ils n’ont pas sur leur destinataire un effet mécanique, mais l’absence de ces paroles d’amour, d’affection ou d’encouragement affecterait négativement notre croissance.

Exemple de prophétie (tristement) auto-réalisatrice : une jeune fille, à tort ou à raison, se persuade que « Personne ne m’aime », elle ne se maquille plus, débranche son téléphone, ferme sa porte aux amis et assez rapidement en effet sa prophétie aura dit vrai. Mais la confiance n’est pas un exemple moins probant de ces cercles, tantôt vicieux et tantôt vertueux, qui ont tôt fait de réaliser nos pronostics dans le domaine de nos relations, toujours réverbérantes ou mimétiques : avis au bon docteur Coué et à ses adeptes.

Je resongeais à cette problématique, pour moi ancienne, des « actes de parole » (speech acts) à l’occasion de la célébration de l’appel du 18 juin, la semaine dernière. Dieu sait si, en l’an de disgrâce 1940, cet appel n’avait rien de gagné ! Tous les historiens insistent au contraire sur le côté formidablement aléatoire ou risqué de l’initiative, sur le pari engagé alors par le général de Gaulle. À l’entrée du message, un soir de juin, un obscur gradé prononce au micro de la BBC vingt lignes que nul, ou très peu d’auditeurs en France, ont alors capté ; à la sortie, quatre ans après, le même général descend les Champs-Elysées parmi une foule en liesse et prononce à Notre-Dame un discours triomphal. Le « général micro » savait ce que parler veut dire : lui-même écrivain, comme le souligne Régis Debray dans un livre important (À demain de Gaulle), il tolérait mal les bavards étourdis pour qui les mots n’engagent pas – d’où son refus, par exemple, opposé à ceux qui lui demandaient à la Libération de grâcier Brasillach.

Tout écrivain partage cette croyance, et une parcelle de cet obscur pouvoir : écrire c’est mettre de l’ordre, et c’est aussi entretenir, nourrir ou façonner de plus secrètes relations, du côté de l’aveu, de la prière ou de l’engagement. Cela engage donc, le langage ? Dans quels parages, vers quels dangers ?

Je ne dispose pas de l’ordre du monde, je ne peux à ma guise le changer ; mais il me réconforte de penser que je dispose des mots pour cadrer, et orienter, mes relations à ce monde et aux autres ; des relations tissées d’anticipations, de projections, d’un horizon d’attente ou de désirs (toutes notions soigneusement pesées par la pragmatique) qui, loin d’être inertes, agissent en permanence sur mes interlocuteurs, et sur mon environnement. Le monde d’un homme bénévolent ne ressemble en rien à celui de l’homme plein de défiance ; bien cultivée, une croyance participe de notre croissance.

La SFP n’est pas automatique, et sa condition semble négative : tels mots n’ont pas, par eux-mêmes, le pouvoir d’entraîner tel état du monde, mais rien ne changera de celui-ci si ces pauvres mots ne sont pas proférés ; leur condition, nécessaire, n’est pas suffisante. Mais il arrive qu’une parole déclenche, ou mobilise, d’autres adjuvants qui à leur tour sauront agir. Et c’est ainsi que parler c’est faire, ou mettre en branle, jusqu’à (mieux qu’Ali Baba) soulever parfois des montagnes !

11 réponses à “L’appel du 18 juin, exemplaire SFP ?”

  1. Avatar de m
    m

    Bonsoir!

    Merveilleux ce billet. Et difficile…

    Au fil des lignes, l’intuition du lecteur se trouve de nouveau confirmée à travers les propos du scripteur : la justesse du langage, cet inconnu, a l’efficience du « sésame ouvre-toi ». Et voici corroborée la pensée de l’auteur de « La crise de la culture » : « Les mots justes, trouvés au bon moment, sont de l’action ».Monsieur Bougnoux met en exergue la notion de prophétie autoréalisatrice forgée par R. King Merton. Avec elle on passe de saint-Thomas à William Thomas. Autrement dit de la croyance à la crédibilité.

    Relisons Régis Debray, page 40, lignes 1 et 2, de son livre « A demain De Gaulle » :

    « Bonaparte n’était qu’un cerveau. De Gaulle fut plus : un croyant » (Fin de citation)
    Pour R.Debray est intellectuel, au meilleur et vrai sens du mot, celui qui ordonne sa vie à une idée.

    Cependant, il ne messied pas, après avoir entendu celui qui « sait ce que parler veut dire », d’ouïr la parole de l’homme de laboratoire – qui ne l’a pas dans sa poche – et qui sait « ce que le langage ne peut pas faire ».

    Voyons ce que nous dit, par exemple, un maître en la matière, M.Charles Ramond :

    « De même en effet que l’on « fait » toujours autre chose en « disant »quelque chose, on « fait » aussi toujours autre chose en « faisant » quelque chose.

    En face du « locutoire », il y a donc le « factif », en face de « l’illocutoire », « l’infactif », et en face du « perlocutoire », le « perfactif ». La démonstration s’étaie sur l’épisode central du conte « Ali Baba et les quarante voleurs ». La porte de la caverne s’ouvre lorsqu’on prononce « Sésame ouvre-toi », et reste fermée lorsqu’on dit « Orge ouvre-toi »? Ce dernier cas doit-il être interprété comme l’échec d’un « acte » tout court, à savoir l’émission d’une certaine onde sonore? La porte doit-elle comprendre pour s’ouvrir? Autrement dit, le maillon « phatique » est-il nécessaire dans la chaîne de l’acte de parole? Si ce n’est pas le cas, il devient très difficile de comprendre la spécificité des actes de parole et par conséquent « ce que le langage ne peut pas faire », en tant que tel. » (Fin de citation)

    Dans « La raison, le langage et les normes », le linguiste Sylvain Auroux note que les tentatives depuis Austin et Searle qui consistent à traiter les actes de langage en leur attribuant des « forces » relèvent purement et simplement de la pensée magique.

    Et pour Pierre Illiez, le concept de « Sésame ouvre-toi » se donne l’apparence de résoudre les contradictions en ne faisant que les poser.

    Somme toute, comme l’écrit Jacques Fédry, la source du performatif (Austin, Benveniste) n’est pas dans l’énoncé mais bien dans l’acte d’énonciation.

    L’huis doit il désespérément rester fermé? Est-ce bien raisonnable, ce jour, de tenter le schibboleth?

    Monsieur Bougnoux se recueille dans les Fleurs du mal et nous laisse imaginer la réponse de Bérénice :

    « Il n’y a plus rien de commun entre vous et moi, mon cher Aurélien, plus rien, ne le comprenez-vous pas? »

    Alors, une question se pose évidemment: A quoi bon, tant de connaissances, tant d’informations si les détenteurs de ce vocabulaire sont incapables de faire quelque chose pour les gens qui sont au bout du rouleau compresseur du système? Où sont leurs mots qui sauvent?

    N’allez pas me dire que le verbiage qui précède est de nature à apporter quelque soulagement aux gens qui souffrent de ce mal qui répand la terreur, celui de l’âme d’où découlent tant d’affres et de malheurs! Causer dans le poste, écrire son billet dans le journal, et haranguer son public dans les raouts à la mode, pourquoi pas?

    Mais pour quel résultat, mes bons amis? Si ce chemin n’est que révélation de la contingence, alors autant se montrer lucide et bouter tout ce discours par la fenêtre ouverte!

    La foule sentimentale vénère « le réel vacant le long de la paroi » et quelle ouïe fine peut encore entendre la petite voix, si tant est qu’elle existât, derrière la muraille ou l’ardent buisson, qui nous invite à tirer la chevillette de la porte? Nonobstant les aspects quelque peu sorciers d’une certaine efficacité symbolique et des assemblages de mots qui ont une odeur de souffre, comme il a été dit récemment en cette randonnée, n’êtes vous point étonnés, Madame, Monsieur, de voir les vingt-sept lettres de l’expression susmentionnée entre guillemets « le réel vacant le long de la paroi » former comme par enchantement « l’allégorie de la caverne, Platon »?
    Messieurs Enthoven et Perry-Salkow ont retenu cette anagramme dans leur promenade charmante dans les paysages buissonniers du langage et de la pensée. Et, à ma connaissance, personne ne parle de les brûler sur la place publique pour leur jeu de lettres…Jeu de l’être, Madame l’enseignante, Monsieur le professeur!
    Alors, je veux bien vous suivre dans la montagne si, à l’entrée de la caverne, on peut poser la bonne et exacte question.
    Faudrait-il pour ce faire répondre d’abord à celle de Max Dorra : « Quelle petite phrase bouleversante au cœur d’un être? » sans pour autant en écrire un livre.
    Cher maître randonneur, on a bien compris qu’il y a du croît sur votre chemin sans nulle conteste « pragmatique ».
    Et s’il est une variante du chemin idéal, peut-être serions-nous bien inspirés de nous instruire sur les données physiques et problèmes conceptuels y afférents. Et si face à nos mots, la montagne comme dans la fable accouche d’une souris, eh bien, il ne nous restera plus que le chat du conte, celui qui aime chasser et qui trouve sa place au chapitre de la contrafactualité, sentiment et réalité-derrière-les-choses!
    Bien sûr un minet qui mange la souris de la raison moléculaire…Étonnant, non!
    « De quel étonnement, ô ciel! suis-je frappée? Est-ce un songe?  » (Roxane, Acte III, scène IV – Bajazet, de J.Racine)
    Une vérité théâtrale dans les étoiles…Est-ce bien raisonnable, Messire?
    Sans digression aucune, j’ai sous les yeux une lettre de notre ami de toujours que vous mentionnez, cher Daniel, dans votre billet.
    Il s’adresse dans cette très longue lettre ouverte à un jeune prophète. Voici un petit extrait : « On est passé à la Nature.Nos discours de salut aussi, dans la foulée : la sagesse sera cosmique ou ne sera pas. Chacun de nous exige à présent du trou noir, du big-bang, du big one. » (Fin de citation)
    Sur une autre scène, un oiseau rebelle ou un enfant de bohème sans foi ni loi? Impossible.
    Mot sans appel, mot de la fin. Rideau.

    m

  2. Avatar de Gérard Fai
    Gérard Fai

    Par saint Anthelme, quelle histoire!

    Et quelle vaste scène en filigrane dans ce premier commentaire pour nous « monstrer » encore une fois la beauté de l’anagramme de « la théorie de la relativité restreinte » qui donne « vérité théâtrale et loi intersidérale »!

    Oui et alors?

    Je pense à la fin d’une pièce de Jean Giraudoux :

    « L’Inspecteur :

    – (…) L’argent y va de nouveau aux riches, le bonheur aux heureux, la femme au séducteur. » (Fin de citation)

    Monsieur Onfray nous parle de sa revue « souveraine » dans le poste et des millions d’euros acquis pour sa lancée.

    Ce fils d’ouvrier agricole, très intelligent, au pays de la dolce France ou ce qu’il en reste, ne met pas le moindre ducaton dans la poche des pauvres gens qui tirent le diable par la queue, en cet ici-bas de voleurs.

    Et couronné comme il se doit le lyrisme de nos penseurs!

    Le jour se lève…

    A quand les trois coups pour un autre lever?

    Gérard Fai

  3. Avatar de M
    M

    Bonsoir amis et passants du blogue!

    Hasard…Oui, je dis hasard! Ce matin, je reçois un message non point en lettres mais en chiffres.

    Il est signé Michel Onfray. En voici le contenu : 250.000 €

    Rassurez-vous, c’est le prix d’une revue et l’internet parfois fait des siennes sur le zéro typographique de l’écriture électronique, palsambleu!

    J’ai reçu aussi d’un impétrant, grand connaisseur de la relativité et amateur de très hautes montagnes, un sacré message avec tout un chapitre « Mathématiques et philosophie, des irrationnels aux motifs ».

    Je fais un rêve : Je vois notre cher randonneur entre deux bottes de foin, ici dans le pré, à tête reposée, lire et relire ces choses…

    Il y a aussi une échelle. Pour qu’il vienne vers, entre nous, pour nous expliquer un peu ou nous chanter une ballade!

    On dit que le rêve a de la suite dans les idées…

    Pour l’heure autant descendre l’escalier et rejoindre l’alcôve.

    M

  4. Avatar de m
    m

    Bonjour!

    C’est bien ce que je disais : cause toujours et rêvons à fond la caisse, mais au final RIEN.
    Que nous sommes loin, en ce billet, des commentaires en nombre (cinquante-sept, si j’ai bonne mémoire) de celui consacré à « Aurélien » pour les khâgnes, il y quelques années!
    Le ton est différent, certes, mais en fin de compte, ça se termine sur un rideau qui tombe sur l’écran et un retour au lit. Pourquoi pas? Cependant, je ne vois rien venir et du haut ma pauvre tourelle, je ne vois que le soleil qui poudroie et l’herbe qui verdoie.
    Voyons ce qu’écrivait Louis Aragon, à la fin de sa préface à une mythologie moderne (Le paysan de Paris) :

    « Aurai-je longtemps le sentiment du merveilleux quotidien ? Je le vois qui se
    perd dans chaque homme, qui avance dans sa propre vie comme dans un chemin de mieux en mieux pavé, qui avance dans l’habitude du monde avec une aisance croissante, qui se défait progressivement du goût et de la perception de l’insolite.
    C’est ce que désespérément je ne pourrai jamais savoir » (Fin de citation)

    Que peut-on savoir ici et maintenant d’une belle anagramme qui n’est pas sésame et du hasard dit objectif chamarré d’une plume qui chante? Rien.
    Rien au delà, disait une gente dame de l’union rationaliste à son ami moine.
    Rien que du rien…Peut-on le nier?
    Aux dernières nouvelles et non des moindres, venant de gens qui en connaissent un rayon en la matière, ce rien ne serait pas totalement vide et qu’il y aurait quelque chose…
    Est-ce à dire qu’il y aurait une once d’espoir dans le noir absolu?
    L’errant dans Césarée ne serait-il tel s’il n’avait pas ce très étrange pouvoir d’évocation, de « quelque chose »; un « quelque chose » qui, bien évidemment, n’est pas Césarée, mais qui ne semble pas, pour autant, être seulement nous, ou totalement réductible à nous, précise le physicien au chapitre de l’horizon du réel voilé.
    Alors, que dire. Que faire?
    Comment s’élever de la biologie à la culture, sans que cette dernière se décalque forcément sur la première? La réponse semble se dessiner du côté d’un professeur de logique qui a voix au chapitre dans un commentaire de ce billet.
    Mais peut-être serait-on bien inspiré sans quitter nos « Daniel » d’aller de ce pas chercher le prophète (Livre de Daniel, chapitre XIV, verset vingt-six) qui concocte la potion pour tuer le dragon sans glaive ni bâton. Et le brave réussit!
    Pour tout vous dire, je ne vois pas quelqu’un par les temps qui courent, tel un apothicaire derridien, risquer sa vie dans une fosse pour révéler la recette qui marche contre la bêtise humaine, palsambleu! Du moins sans l’assurance de ne point y laisser sa peau…
    Et si tel nonce existait, nous en serions tous babas!
    Bien à vous tous

    m

  5. Avatar de Cécile d’Eaubonne
    Cécile d’Eaubonne

    Cher Daniel Bougnoux
    Voici mon grain de sel à votre texte sur « la prophétie auto-réalisatrice ». Complexité du sujet ! Comment recevoir certaines injonctions ou phrases à l’aspect anodin, soit terriblement dévastateur ou à l’inverse décuplant un potentiel mental positif.

    Pouvoir des mots, pouvoir aussi par le regard ou la qualité de l’écoute. Tout ce qui agit dans l’expression corporelle induisant aussi les réflexes d’accord ou … de fuite. Un ressenti qui ira conforter pour ouvrir toutes les relations sociales quant à l’inverse des attitudes négatives sèment le doute ou la confusion dans l’estime de soi.

    En pensant à tel ou telle enfant de notre 21 ème siècle, je m’interroge sur les qualités humaines qui vont permettre à ces petits des hommes d’affronter leur monde de demain.

    Mais également pour moi-même ou dans l’immédiat contexte actuel où vivent tant des personnes confinées dans les maisons de retraite. Comment garder son autorité personnelle quand la tête fonctionne dans une configuration soumise au pouvoir d’autrui ?

    Où ai-je lu qu’il devient nécessaire d’une « écologie » vis à vis de chacun, pour n’importe quel âge, et dans toute place dans la société ?

    Quelques anecdotes pour illustrer mon propos.

    “ Ce qui ne tue pas rend fort “ Ainsi ma volonté devint rage face au machisme – ou à de la goujaterie – d’entendre un professeur d’Université clamait dans son amphithéâtre: “Je déteste les étudiants plus âgés que moi”. ! Tandis qu’au fil des cours, si certains tenaient fermement la barre d’une reprise ardue d’un cursus d’études, le même professeur s’étonnait de parler devant des rangées de plus en plus clairsemées.

    Élever ou abaisser ? Choix d’un pouvoir confisqué.

    Ailleurs, une parole inattendue aura fait office d’ un “Sésame, ouvre-toi !”. Ainsi dans un cadeau de fin d’année, aussi subtil qu’inattendu ! Il s’agit d’un dessin d’une fillette , la dizaine d’années, qui croque son institutrice : robe à fleurs, queue de cheval, visage avec boucles d’oreilles et une énorme bouche bien dentée. A l’envers du papier, une écriture fine et soignée pour dire : “ Vous êtes jolie quand vous souriez ! “
    Qu’on se le dise … mais surtout ne jamais l’oublier.

    Cher Monsieur Bougnoux, vous nous rappelez qu’on ne peut changer l’ordre du monde. Mais par bonheur vous ajoutez : “ il me réconforte de penser que je dispose des mots pour cadrer et orienter mes relations à ce monde et aux autres. Il arrive qu’une parole mobilise …
    Et, c’est ainsi que parler, c’est faire.
    … Jusqu’à soulever des montagnes … “

    Merci pour le plaisir de vous retrouver sur ce blog !

  6. Avatar de Gérard Fai
    Gérard Fai

    Bonsoir!

    Je viens de lire la lettre de Cécile au professeur émérite et je la trouve très belle.

    Publiée en cet espace public, il ne messied pas de dire qu’elle peut éveiller quelques échos inattendus parmi les lecteurs, intéressés par cette discussion. Et votre serviteur de donner son point de vue.

    J’ai sous les yeux un livre d’un professeur d’université, publié par CNRS Éditions, qui n’y va pas par quatre chemins :

     » (…) ces garderies d’enfants attardés que sont devenues les universités ».

    Sortir une phrase de son contexte, c’est facile, mais insuffisant bien sûr! Que des inimitiés existent entre gens du sérail, on le sait bien…

    Au delà de ces philippiques courroucées, on peut essayer d’aller plus loin, là où les choses se rassemblent au jardin d’Alice, quand le chat du Cheshire et un ange étranger au paradis, nous sourient.

    Cité par Edgar Morin dans « La Méthode III », Bernard d’Espagnat nous dit : « Il ne s’agit pas de donner au lecteur une teinture de ce qui est enseigné de façon plus approfondie à l’université, mais d’effectuer des analyses qui n’y sont pas normalement faites. »

    Il faut imaginer ce lecteur heureux! Mais, chers amis, en tel cas, fût-il celui du K2, que peut-on attendre de Sisyphe?

    Qu’il soulève d’autres montages et qu’il sourie devant sa glace? On espère rien d’un ectoplasme.

    Et un fantôme ne peut réconcilier la culture littéraire et la culture scientifique, que je sache! Peut-être, en Pantopie, M. Michel Serres a-t-il rencontré le dieu inattendu qu’il attendait… loin des désignations et descriptions. Je demande à voir!

    Face à tant de malheurs énumérés, ici-bas, un autre qui a le goût de l’avenir en appelle à une certaine gaieté, une autre façon de désigner l’esprit d’enfance. Pour dessiner qui ou quoi, au juste? Une anagramme, peut-être…là où « doux sire y était en panne » comme dans son désert « Antoine de Saint-Exupéry » (deux expressions entre guillemets contenant les mêmes lettres)…

    Restons avec l’enfant. Hier soir, j’ai regardé deux films de suite…Du déjà vu !
    Le premier fleurait bon la soupe aux choux mais sans le XIV ème chapitre du livre intéressant de René Fallet où « monsieur le pricatier » reproche à l’ingénieur à Stuttgart, nommé Schopenhauer, qui roule en Mercedes, de voir des soucoupes partout : « Et si ça continue Giscard va en voir dans le soutien-gorge d’Anne-Aymone! » (page 279)

    Film suivi par un autre film : E.T, celui de S.Spielberg. Toujours le charme de l’enfance et ce désir si profond de rentrer à la maison.

    Et plus encore…

    La maison de l’Être, n’est-elle pas celle du langage?

    Bien. Très bien, peut-être, mais ce serait encore mieux si, loin de tout ce cinéma, le surréel existait vraiment dans le quotidien.

    Il suffira peut-être d’un pont, trait d’union de notre mystère destinal, pour l’inscrire au programme.

    A quelques lieues de la ville des papes, il n’est pas dit que le destinataire de l’épître, restât insensible à cet appel enfoui dans la conscience collective.

    Mais cela nous ne le savons pas encore.

    Merci d’être là et bien à vous

    Gérard Fai

  7. Avatar de Cécile d’Eaubonne
    Cécile d’Eaubonne

    Allons … Monsieur FAI, je vous propose de confier l’enfant attardé au docteur Philippe Pinel ( 1745-1826) qui s’est soucié du jeune Victor de l’Aveyron avec beaucoup d’empathie, ouvrant ainsi la voie à l’humanisation de la prise en charge de la déficience mentale.

    Nul doute qu’il devrait y avoir quelques haussements d’oreilles à l’écoute de “l’Université devenue garderie d’enfants attardés” !

    On peut faire “avaler son chapeau” au monsieur désobligeant ?

    Dans le département des Sciences de l’Education, quelques étudiants imprudents se risquent à acquérir un niveau de licence, puis de master pour se frayer un avenir comme professeur des Écoles. De plus aguerris iront avec une ardeur non périmée s’y frotter encore à l’heure de quelques réflexions intellectuelles sur leur métier. Et tant mieux dans le dédale des ressorts de “faire apprendre”.

    Le persiflage est injurieux ? Passons … Un bon étudiant se mérite. Et un égo surdimensionné ne fait pas nécessairement un bon professeur. Enseigner sans devenir “saignant ou Seigneur” : que voilà une noble tâche qui conduit vers beaucoup de défis à gagner… ( Et non … non, pas seulement vers les piètres émissions de notre TV nationale ).

    Bien sûr, Monsieur FAI, je vous invite à ne pas complimenter votre correspondant qui écrit dans CNRS éditions. il utilise un niveau de langage inamical, superflu à colporter. Car ATTENTION DANGER, vis à vis de toute prophétie auto-réalisatrice ?!

  8. Avatar de Medioloco
    Medioloco

    Une petite initiation performative à la médiologie :
    Dieu dit « que la lumière soit » et la lumière fut. Comme si ses mots avaient agi par eux-mêmes. Un gamin déluré rentrant du catéchisme annone : « Que la lumière soit » ; il actionne l’interrupteur et aussitôt la lumière brille, en effet. Pendant ce temps, son papa, qui préside l’association des boulistes, déclare : « la séance est levée » et tout le monde se lève, illico. L’homme, à l’image de Dieu, ici le gamin et son papa, obtiennent avec des mots, des effets spectaculaires dans le monde. Mais les hommes ne sont pas Dieu : pour que ses mots agissent, homo creator a besoin d’un coup de main, ce que les médiologues appellent « médiations » : de la technique (l’interrupteur) et des institutions (l’association des joueurs de boules).

    1. Avatar de Daniel Bougnoux

      Merci cher Paul, notre « média » s’intéresse en effet par excellence aux voies et moyens de l’efficacité symbolique, donc à la théorie des actes de parole « performatifs », bien malmenés soit dit en passant par Bourdieu dans « Ce que parler veut dire ». Mais je regrette que ce front théorique n’ait pas été, par nous, mieux travaillé, notamment dans le domaine de la communication politique, très fertile en « performatifs ». La SFP est une variante radicale de ces « actes », évidente ou dérisoire dans le cas de « Je vous félicite » ou « Je m’excuse », plus retorse et mystérieuse dans ce que je pointe, avec ce billet, comme auto-suggestion ou méthode Coué : or il est patent, mais obscur, que la prononciation de certains mots oriente durablement une conduite ou façonne un « horizon d’attente », qui polarise des gestes efficaces… A suivre, mon cher « Maître médioloco ».

  9. Avatar de M
    M

    Bonsoir les amis!

    Quel bonheur de se retrouver entre nous par l’entremise de cette inquiétante extase appelée Internet, n’est-ce pas Monsieur Paul?

    Par chance – enfin si l’on peut dire – j’ai réussi à contacter tout à l’heure, un commentateur qui se reconnaîtra.

    Nous avons devisé sur le présent billet de Monsieur Bougnoux et sur la relation épistolaire, si chère à un authentique postier, Monsieur Oraison pour ne point le nommer, et enchaîné sur les Épitres de Paul en nous instruisant d’un message personnel de l’universitaire de Louvain, Monsieur Régis Burnet.
    Monsieur Médioloco, en ce jour de Visitation chrétienne, je vous invite, cher maître, à aller voir du côté de la revue « Médium » en frappant au numéro 10 où ces noms vous diront quelque chose…
    Ite missa est.

    Eh bien, nous sommes tombés d’accord sur un mot! Mon interlocuteur n’aime pas utiliser le terme « autodidacte » et je lui donne raison.

    Que peut-on apprendre d’un homme des bois, chère Madame d’Eaubonne? H D.Thoreau et J.Delteil, pour ne citer qu’eux sont « hommes des bois », des auteurs d’excellence qui ont fait des études et des livres. Plutôt Robinson que Vendredi!

    Peut-on imaginer un sauvage (je veux dire quelqu’un qui n’est pas dans le système, qui ne publie pas une seule ligne et qui n’a pas fait d’études) étudiant les mœurs de ces gens haut placés, instruits et diplômés qui ont le pouvoir, là où Michel Serres dans « Le Parasite » eût aimé les confiner, c’est-à-dire aux « Petites maisons »? On peut toujours imaginer mais, pour ne rien vous celer, je vois mal l’hôte des sous-bois, renverser le tableau sans un minimum de culture, autrement dit d’apprentissage.

    Séance tenante, peut-il allumer le feu, par ses propres mots? Nenni. Sans « nous » impossible! Que sait-on, en réalité, de la flamme d’une chandelle qui jaillit des étincelles de hasard? Celle ou celui qui a su garder son enfance dans la durée a peut-être la réponse…Qui sait!

    En tout cas, la phrase de la personnalité universitaire qui vous a choqué, Madame, existe…Elle est dans « L’ordre des choses ».

    A l’école de la vie, ceignant nos reins, peut-être, pourrons-nous, avec un peu de chance, aller à la conquête des idées de lumière…

    M

    1. Avatar de Daniel Bougnoux

      Pardonnez-moi cher « M », des pannes en cascade de mon ordinateur ont beaucoup perturbé mes randonnées, et flanqué dans la gestion de ce blog un désordre dont votre dernier commentaire a fait les frais : placardisé plusieurs jours ! Je m’efforce de reprendre les choses en main, ou le bâton du pèlerin…

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À propos de ce blog

  • Ce blog pour y consigner mes impressions de lecteur, de spectateur et de « citoyen concerné ». Souvent ému par des œuvres ou des auteurs qui passent inaperçus, ou que j’aurai plaisir à défendre ; assez souvent aussi indigné par le bruit médiatique entretenu autour d’œuvres médiocres, ou de baudruches que je…

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À propos de l’auteur

  • Daniel Bougnoux, professeur émérite à l’Université Stendhal de Grenoble, est ancien élève de l’ENS et agrégé de philosophie. Il a enseigné la littérature, puis les sciences de la communication, disciplines dans lesquelles il a publié une douzaine d’ouvrages.

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