Le 31 janvier

Publié le

2010 3

Brieuc entre Mathilde et Mado

Cette date noire ne sera jamais un jour ordinaire puisqu’il y a un an, nous avons entendu de Mado cette phrase impensable, au téléphone, « Brieuc est mort ». Une année jour après jour aura passé sans que, cette phrase toujours répétée, nous parvenions à vraiment la comprendre, à l’accepter ; aujourd’hui encore elle ne fait pas sens, les mots ne cadrent pas. Nous partagions le monde avec Brieuc, notre vie était étrangement tissée avec la sienne et rien n’est plus ce qu’il était, depuis qu’un jour de trop belle neige Brieuc nous a été arraché.

Le manque ne s’apprend pas, ne passe pas ; la consolation ne vient pas. Il y a ce trou en nous, et la fragile vie du souvenir qui continue de briller. Avec Mado, nous élevons ses deux fillettes, Mathilde, Alice, qui portent son avenir, qui montrent par leurs visages, leurs rires, leurs expressions charmantes, quel père exceptionnel elles ont eu.

Quels mots envoyer aujourd’hui à tous ceux qui connaissaient Brieuc, ou qui se sont associés à nous par leurs témoignages, leur soutien, ou qui l’ont (et nous ont) un peu suivis sur ce blog ? Mado nous envoie ce texte, qui parle pour nous cinq et que je poste ici « in memoriam », comme un bouquet de fleurs sur sa tombe d’Herbeys.

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 Izouard (photo du faire-part)

Recueillement, le 31 janvier 2015

J’aimerais que ce temps de recueillement soit un temps de souvenirs, que nous puissions retrouver ensemble la joie et l’énergie que nous donnait Brieuc. Raconter des souvenirs, c’est difficile, parce que se souvenir des joies passées, nous rend tristes de ne plus poursuivre notre vie avec Brieuc. Mais le pire serait de ne pas regarder cette joie, cette chance que j’ai eue. Il faut reconnaître le bonheur  qui nous a été donné, la confiance en elles qui a été donnée aux filles. Il faut faire vivre ce bonheur pour sentir l’amour de Brieuc, présent avec nous.

Alors j’ai choisi quelques bons souvenirs pour Mathilde et Alice. C’était une année difficile pour elles, avec une maman souvent fatiguée et énervée. Alors, je vais essayer de vous faire sourire.

Alice, tu es une petite fille rusée, comme ton Papa. La première fois qu’il m’a invitée à Izouard, nous n’étions pas encore amoureux. Il m’a parlé d’un grand week-end avec pleins d’amis. J’avais même compris qu’il y aurait une fête et qu’on allait danser. J’avais une robe et des CD dans mon sac.  Il voulait être sûr que je vienne. En fait, j’ai compris dans la voiture que nous n’étions que tous les deux ! Je n’ai jamais vraiment  su si c’était un coup monté ou si ses copains l’avaient laissé tomber.

Mathilde, tu es une petite fille gourmande, comme ta maman. Papa savait très bien que manger un petit goûter me remontait le moral. Alors pendant une de nos premières sorties en montagne, une longue randonnée à ski, il me donnait des petits morceaux de pain au chocolat, qu’il laissait pour moi dans la neige à chaque virage. Voilà comment il réussit à me faire faire des conversions et à m’emmener sur les sommets.

Avant que nous soyons parents, je voyais Brieuc jouer avec ses neveux et nièces, mais il ne savait pas changer une couche. Il ne s’intéressait pas non plus à la préparation à l’accouchement. Je ne savais pas s’il serait  à l’aise avec un nouveau né. Quand je lui ai demandé de m’emmener à la maternité, parce que Mathilde allait arriver, il s’est mis à pleurer de joie. Ensuite, il a eu le temps de retrouver ses esprits, puisque l’accouchement était très long. Il est même rentré travailler quelques heures.

Mathilde est née au milieu de la nuit, un instant magique pour tous les deux. Il l’a prise dans les bras et dans le grand calme de la nuit, il s’est mis à lui parler d’Izouard, de la Corse, d’Herbeys, toutes ces maisons de rêve, de ces paysages qu’il trouvait  les plus beaux du monde et qu’il allait lui montrer. Il parlait, parlait à cette toute petite fille qui tranquille, se laissait bercer par sa voix.

Votre Papa ne se prenait pas au sérieux. Je me souviens qu’il expliquait à Mathilde qui avait deux ou trois ans, que son travail, c’était de mettre du papier dans l’imprimante, de faire des petits signes comme des petits gribouillis avec l’ordinateur, et de le vendre très chers à des messieurs importants.

Alice, il était très content du choix de ton prénom, il disait souvent, Alice, ça rime avec malice et il ne s’est pas trompé. Il adorait te porter à bout de bras au-dessus de lui, allongé. Nous appelions ça, faire l’ascenseur, et tu riais aux éclats.

Seigneur,  père. Accompagne-moi, accompagne mes filles. Brieuc nous a transmis beaucoup d’amour, à nous de le donner. Aide-nous à regarder la vie maintenant, ici.

Pisc.herb

Avec Mathilde, Herbeys

11 réponses à “Le 31 janvier”

  1. Avatar de Martine Nolot
    Martine Nolot

    Quel bel hommage, cette prière si émouvante, et ces photos qui rayonnent de bonheur!
    J’ai laissé un court message ce matin sur « Jamais plus Brieuc ». J’ajoute une pensée pour Mado qui doit au quotidien faire face au vide, lutter pour « regarder la vie » devant, et puiser sa force dans ce que Brieuc lui a apporté.
    Je m’associe à vous cinq pour ce temps de recueillement.
    Martine.

  2. Avatar de jfsadys

    Je trouve le texte de votre belle fille écrit pour ses enfants, vos petits enfants, très beau, très fort. Je n’arrive pas à le sortir de mon esprit depuis que je l’ai lu. Merci d’avoir accepté de le partager avec nous.

    1. Avatar de Daniel Bougnoux

      Oui, Mado m’a autorisé à le mettre ici, et je voulais qu’il circule un peu ; elle a lu hier ce texte à
      Herbeys au cours d’une petite cérémonie autour de la tombe, où nous n’étions pas, séjournant ce week-end à Paris…

  3. Avatar de Cécile d'Eaubonne
    Cécile d’Eaubonne

    Recevrez-vous le double message envoyé hier, puis réitéré tôt, ce matin ? Je disais simplement vous rejoindre Françoise et vous-même en souhaitant que l’âme de Brieuc vienne bercer votre chagrin …

    Bien sûr dans l’interrogation sur le départ – toujours sans réponse – si cruellement brusque de votre fils, je n’oublie pas Mado et les deux fillettes. Le texte de leur maman me les rend plus présentes encore.
    Au-delà de sa douleur, je lis sa lucidité de vouloir la Vie pour ses enfants, leur trėsor commun.

    Mais ce soir, en vous rejoignant, j’ai aussi le cœur plein de chagrin …

    Cordialement

    1. Avatar de Daniel Bougnoux

      Chère Cécile, c’est vrai que ce samedi (hier) n’était pas un jour comme les autres. Vous me parlez d’un double message lesquels ? Je n’ai rien reçu de vous à part celui-ci, et ce n’est pas la première fois que vos messages s’égarent, que se passe-t-il ?

  4. Avatar de Cécile d'Eaubonne
    Cécile d’Eaubonne

    Oui, j’ai enragė de voir mes textes s’inscrire puis dès le lendemain dispararaitre du blog.
    Mais la connection de l’IPad avec notre wifi est capricieuse. Il faudra à l’avenir que je surveille la transmission d’un texte.
    Je ne disais rien de plus …

  5. Avatar de grisard roselyne
    grisard roselyne

    Madeleine très beau texte d amour pour tes filles ;d amour pour Brieuc.Ce Brieuc que j ‘ai eu la chance de rencontrer et d’aimer ,avec qui j’ai partagée de bons moments des fêtes ;des randos;du mariage;naissances des filles ! oui a Frèterive dans la famille de Madeleine ou tu aimais séjourner. j ai du chagrin; mais je ne suis pas triste car ta présence est toujours la ;il suffit juste de me souvenir de ton sourire!!!

    1. Avatar de Daniel Bougnoux

      Merci Roselyne, je transmets à Madeleine. Contempler les si souriantes photos de Brieuc nous comble nous aussi de joie, et de chagrin…

  6. Avatar de de Tréglodé Béatrice
    de Tréglodé Béatrice

    Sans avoir connu Brieuc, cet accident m’a bouleversée lorsque je l’ai appris par Françoise T. il se trouve que 2 mois plus tard, je faisais une rando à ski invitée par un ami et parmi ses collègues, il y avait le frère de Mado – ah notre petit village grenoblois ! je profite de ce blog pour vous dire à quel point, j’ai pense souvent à vous, à la perte que cela peut représenter mais aussi, que je pense souvent à lui en regardant le Grand Colomb veiller sur notre ville et lorsque j’étais au sommet en septembre dernier par une lumineuse journée d’automne, j’avais le coeur serré … Je souhaite beaucoup de courage à votre famille pour continuer à aller de l’avant … et « pourtant que la montagne est belle » !

    1. Avatar de Daniel Bougnoux

      Merci chère Béatrice, oui elle est belle (merci Jen Ferrat) et elle tue ! Je suis content que vous ayez visité ce blog, vous y trouverez j’espère des sujets de réflexion moins tristes au fil de l’année, ce n’est pas tous le jours le 31 janvier, terrible anniversaire…

  7. Avatar de brigitte guyot
    brigitte guyot

    Mon dieu, Daniel, j’étais loin de me douter…. c’est en regardant tes mots-clés… et tous les souvenirs grenoblois avec vous reviennent…les trois épis, le chalet dans le vercors, Herbeys….je pense à vous tous très fort, de loin, mais de près dans mon coeur..

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À propos de ce blog

  • Ce blog pour y consigner mes impressions de lecteur, de spectateur et de « citoyen concerné ». Souvent ému par des œuvres ou des auteurs qui passent inaperçus, ou que j’aurai plaisir à défendre ; assez souvent aussi indigné par le bruit médiatique entretenu autour d’œuvres médiocres, ou de baudruches que je…

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À propos de l’auteur

  • Daniel Bougnoux, professeur émérite à l’Université Stendhal de Grenoble, est ancien élève de l’ENS et agrégé de philosophie. Il a enseigné la littérature, puis les sciences de la communication, disciplines dans lesquelles il a publié une douzaine d’ouvrages.

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