Le convivialisme à la une de Libé

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Le Second manifeste du convivialisme (dont je suis co-signataire avec trois-cents autres) est sorti en février, et j’en ai à deux ou trois reprises résumé les idées-forces sur ce blog, en particulier avec ce billet  https://media.blogs.la-croix.com/combattre-la-dem…ce-convivialiste/2020/02/22/ , « Combattre la démesure, la relance convivialiste ».

J’y posais notamment la question de savoir qui s’emparera de ce petit écrit pour le populariser, ou lui donner le relais d’une organisation ; l’article bienvenu de Libération insiste sur le rebond de notre Manifeste auprès des écologistes, et cette récupération si elle prend serait évidemment une excellente chose. Même si l’ambitieux genre du « Manifeste », dominé par les deux exemples écrasants du Manifeste du Parti communiste (1848) et duManifeste du Surréalisme (1924), a emprunté historiquement deux directions assez disntinctes, celle de la forme-Parti et celle d’une mouvance esthétique et morale nécessairement plus floue.

Au point où en sont les consciences face à l’étendue des souffrances d’une gravité extrême, d’une gravité qu’on ne saurait sous-estimer, que notre « croissance » inflige à la planète, que faire ? Informer, relayer, relier, alerter sans relâche, sans doute : les initiatives pullulent, certaines routines dans l’alimentation, les transports, la consommation courante sont en train de changer – un peu. Comment faire pour nous permettre ici et maintenant de réaliser(titre ici d’un précédent billet) ? Et mettre fin à l’échappatoire trop connue, « Je sais bien » (que c’est urgentissime) « mais quand même » (pas de quoi s’alarmer)…

Je me reposais cette question en lisant aujourd’hui l’ouvrage-pamphlet de mon ami Aurélien Barrau, astrophysicien à Grenoble, Le plus grand défi de l’histoire de l’humanité (Michel Lafon 2020). L’indignation d’Aurélien écrivant ce texte est palpable, elle affleure à chaque page, mais pourquoi  cette lecture m’a-t-elle au fond ennuyé, ou paru peu entraînante ? Le raisonnement est serré, les chiffres du désastre sans doute exacts, mais leur avalanche fait dans la tête une terrible mêlée, trop c’est trop ! Je vérifiais plus que jamais à quel point less is more ; que pour nous convaincre cher Aurélien avec ce livre qui se veut probant, bourré de données dont chacune peut donner le frisson, il faudrait retrancher, élaguer, ou trouver un style moins énumératif.

Et je me demandais : comment mettre en forme ces messages d’alerte et d’une mobilisation tellement essentielle aujourd’hui, comment trouver les mots, les récits, les cas ou les images qui accrocheront vraiment le lecteur ? Je resongeais à un texte beaucoup plus court, et qui fit le tour du monde avec un impact considérable, la fameuse déclaration du chef Seattle qu’on trouve imprimée sur les posters, les tee-shirts… Je l’ai, jadis, republiée (parmi quatre-vingt deux autres) et sous le titre « Toutes choses se tiennent » dans mes Textes essentiels d’information-communication (Larousse 1993), en mentionnant dans mon commentaire que ce soi-disant document était un faux, forgé par un scénariste (blanc) de l’Etat du Texas, Ted Perry autour de 1970. Si le Chef Seattle (1786-1866) devint ainsi l’un des premiers et principaux « prophètes manufacturés » des temps modernes, cette éloquente imposture pour la bonne cause aura éveillé des milliers de citoyens de par le monde à la cause écologique, qui dépasse le cas des Indiens ! Il y a ainsi des récits à trouver, des mythes, des images, des films et des chansons à créer, ou des voix à faire entendre qui porteront plus loin que le langage des chiffres et des statistiques. Car devant ceux-ci, curieusement, nous réalisons mal, ou à peine.

Chef Seattle

Peut-être, en marge du Manifeste, pourrions-nous doubler l’exposé des raisons convivialistes par l’édition plus légère de Tracts, voire de simples papillons d’une phrase destinés à une pénétration plus fine. Ce qui suit est une tentative ou une proposition dans ce sens :

 

Nous autres convivialistes devrions moins chercher à convaincre qu’à convier.

Nous nous considérons en effet comme les gardiens non d’une doctrine, qui arriverait comme un -ismede plus, mais d’un croisement de sensibilités capables de dialoguer. Nous défendons le pluriel, une communauté de pensées et, surtout, certains communs. À quelles conditions, en quelles occasions pouvons-nous dire « nous » ? Avec qui ce nousà géométrie très variable prend-il forme ?

Nous mettons en commun ou entre nous moins des vérités ou des constats avérés, forcément partiels et toujours relatifs en matière sociétale, que des initiatives, des intuitions, des indignations et des ressources.

Or notre ressource principale se situe dans l’échange. Nous veillons à ce que celui-ci demeure réciproque, sachant que les solutions n’appartiennent à personne en particulier mais qu’elles circulent parmi nous dans le don, le partage ou le lien.

En matière politique ou sociale il n’y a pas de regard de surplomb, ni aucun savoir omniscient ; la « science » constitue pour le chercheur en convivialisme un horizon plutôt qu’un acquis, ou une garantie. Là où la discussion, et la capacité de débattre, demeurent impératives, arrive donc toujours un moment où il faut se mettre autour d’une table, et négocier (sans se disputer) les paroles et les places.

À table ! On ne peut séparer la convivialité de la table, et de ses bonnes manières. Aussi nos débats sont-ils ponctués de pauses-buffet, servies par un excellent traiteur.

Comment élargir cette table à d’autres membres ? En y invitant des amis choisis ; en conviant à nos séances (mensuelles) une rallonge d’invités, artistes, chercheurs ou acteurs médiatico-politiques dont nous sollicitons le regard ; ils n’y resteraient pas confinés le nez dans l’assiette, mais poussés au dialogue.

Le convivialisme doit-il aboutir à un parti, ou à un banquet ? Le second objectif est évidemment plus facile à atteindre, et dans nos cordes. Est-ce rabaisser notre volonté de changement à de stériles parlottes ? Retomber dans l’élitisme d’un cercle de pensée ? De ces paroles croisées pourtant peuvent naître des prises de conscience ou des initiatives qui à leur tour…

« À table ! » L’invitation à la convivialité ne se refusera pas, et multipliera les adeptes.

2 réponses à “Le convivialisme à la une de Libé”

  1. Avatar de m
    m

    Bonjour, chers convives!

    Comment ne point être sensible à ce billet du maître?

    Je dis maître non par adoration béate ou subordination déplacée mais bien parce que notre randonneur domine son sujet, le maîtrise et qu’il a le talent d’intéresser son lectorat en l’incitant à réagir.

    Il y a du « Daniel » dans cette maîtrise qui tend à maîtriser la maîtrise. Et dans la fosse aux illusions, cette quête du mariage du symbolique et du technique nous invite à comprendre, à réaliser. On dira alors du prophète qu’il est celui qui nous apprend quelque chose dans un « Nous » de papier.

    Est-il pour autant réaliste? Rien ne peut légitimer un rationalisme absolu, invariable, définitif, nous dit Gaston Bachelard au chapitre de la notion de profil épistémologique de sa « Philosophie du non ». Retenons, cependant, son invitation à « réaliser ».

    Alors nous voici conviés au banquet. J’ai souri en lisant ce propos qui m’a fait penser à une banque qui ne verrait pas un chat dans ses assemblées générales sans ce fameux cocktail dînatoire où se précipitent comme des goinfres les sociétaires et autres clients.

    Mais en l’occurrence, c’est plutôt au festin de Balthazar à qui l’on pense et à la main invisible qui écrit à temps et à contretemps sur les murs de la modernité galopante.

    Le petit peuple qui n’a pas de sous pour faire le grand voyageur – et pas seulement les retraités du monde agricole et rural – n’ira pas plus loin et si Marcel chauffe la salle avec son temps retrouvé, le huron (terme générique pour désigner les gens de la campagne et non un cousin canadien qui s’inquiète d’un détournement vers l’esthétisme des cultures traditionnelles par le musée du quai Branly – « Médium » 1 et 2) restera sous sa tente, fuyant comme la peste la galère vide du dialogue où jouent des ombres et de la lumière, où règnent des bruits de paroles, un petit enfer compliqué d’illusions et de vanité. Avec ces derniers mots, on a compris que celui qui dit non à ce cinéma s’est repu des mets et des mots des « Banquets nocturnes » de Michel Serres qui invite à renverser le tableau.

    Convier? Oui mon bon seigneur mais à contre-courant. Et si la campagne, les gens d’en-bas ou le rat des champs invitait le rat des villes?

    Je connais dans mon milieu, une association qui organise sous une grange une rencontre sur le thème de la poésie en question…C’est en septembre! A la saison des voiliers dévoilés, des plages qui tremblent sous l’ombre et que l’on peut vivre pour de vrai… pour le dire en chanson.

    C’est gratuit et il y aura « à table » près de l’étable, des livres comme de bien entendu, sans oublier le discours de Saint-John Perse affiché au mur, et des boissons fraîches qu’une « madelon » viendra servir à nos caporaux de la ville qui seront les bienvenus, évidemment! Toute la question est de savoir si la garnison médiologique va suivre, palsambleu! La balle est dans leur camp.

    Moi, je compte bien aller y refaire un tour, ne serait-ce que pour jouer mon rôle, celui d’échanson!

    Dans son essai sur les corps mêlés, entre « Boîtes » et « Visite », l’auteur termine ses « Tables » par ces mots :

    « Homo sapiens, homme qui sait goûter. Sagace : qui sait humer. Toutes choses qui se perdent par la force des logiques ou grammaires, mornes, folles, quand elles se privent de corps. »

    Et si cette idée de chère lie sur des chemins agrestes quelque part dans les herbages d’Intermezzo, est retenue, Ivan, peut-être, parmi nous, se manifestera…Sortir des limbes de « Monsieur-tout-le-monde » dont une belle anagramme a fait dire au physicien et au pianiste « Tu es le mouton endormi », n’est pas chose si facile. Une cachette, une ouverture, une aventure…Et sur les murs, des mots archaïques et novateurs. Pourquoi pas?

    Dans sa randonnée ou sa quête inachevée, Monsieur Bougnoux connaît le chemin…

    Il suffira d’un signe!

    Qu’on se le dise et si sur la route de vos vacances, vous passez dans la région, un petit détour, même pour une heure seulement ne va pas vous retarder beaucoup! La bobinette attend de choir et surtout n’oubliez pas votre loup, l’administration ne rigole pas avec ces choses-là.

    Au plaisir peut-être de se retrouver à nos tables pour une joyeuse et belle partie…de campagne!

    m

  2. Avatar de Gérard Fai
    Gérard Fai

    Cher M…j’y serai, sauf empêchement, de bonne heure et tout de loup vêtu.

    A la table d’un mouton noir, ne serait-ce que pour le dessiner à mille milles de nos habitudes mentales, pourquoi pas?

    Cependant, à bien y réfléchir, je me demande quand même si rupture il y a, à la fête de la rose de vos connaissances!

    Je veux bien qu’à l’onde pure d’un ruisseau, en septembre, dans un tout petit coin d’univers, on chantât Orphée sous toutes les coutures mais demander aux professionnels des tables rondes de s’afficher avec leur toison dorée, c’est prendre le risque de faire renier chrême et baptême au pays de la dolce France, mon ami!

    Les qualités d’envol et de résistance réunies ne se rencontrent pas à tout bout de champ et l’homme de la rue se moque comme de sa première barboteuse des Géorgiques de l’âme de tel ou tel auteur qu’oncques il ne lira.

    Sous tant de déguisements, il y a continuité, rien ne change en profondeur et un rassemblement d’aèdes sous une grange aux loups, avec les épigones d’auteurs qui n’avaient jamais vu un arbre ou un oiseau en dehors de leur promenade dominicale à Hyde Park, ne va pas métamorphoser par un coup de baguette de fée la citrouille en carrosse, fût-elle tout empreinte des saveurs d’un double manifeste surréaliste et convivial. Le siècle vert appelle « l’homme vers… » à défaut de visage vert…

    Rien de nouveau sous le soleil de nos tristounets tropiques, cher ami, et ça collabore avec le système à qui mieux mieux… Elle a la vie longue et dure, l’image de « La villa, le mari parfait, la télé » anagramme de cette autre phrase : »Le travail, la famille, la patrie ».

    A bientôt, là-bas, en septembre, ne serait-ce que pour faire un vers et boire un verre sans oublier le ver de terre, s’il est encore là.

    Et si nos chers penseurs, visages pâles du réel, sont présents, méditer peut-être sur la pantoufle de vair trouvée dans les voiles de feu Michel Serres.

    A l’apex de l’abstraction, oser une toute petite fête en toute simplicité, c’est le pied!

    Cordialement

    Gérard Fai

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À propos de ce blog

  • Ce blog pour y consigner mes impressions de lecteur, de spectateur et de « citoyen concerné ». Souvent ému par des œuvres ou des auteurs qui passent inaperçus, ou que j’aurai plaisir à défendre ; assez souvent aussi indigné par le bruit médiatique entretenu autour d’œuvres médiocres, ou de baudruches que je…

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À propos de l’auteur

  • Daniel Bougnoux, professeur émérite à l’Université Stendhal de Grenoble, est ancien élève de l’ENS et agrégé de philosophie. Il a enseigné la littérature, puis les sciences de la communication, disciplines dans lesquelles il a publié une douzaine d’ouvrages.

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