Ligne-chair, ligne-verbe

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Une récente restriction issue de la woke et de la cancel culture,dont j’ai déjà traité sur ce blog, nous accule à la tyrannie du particulier et aux assignations du genre : seule une lesbienne peut parler pour une lesbienne ou la comprendre, seul un acteur noir peut jouer au théâtre ou au cinéma un noir, et c’est à la victime, et à elle seule, de raconter et de scénariser ses épreuves, toute reprise par un tiers de sa parole ou de son cas frisant l’usurpation, etc.

L’idée ou l’idéal universalistes, jadis régulateurs, se trouvent supplantés par les revendications infinies d’un corps, d’une histoire, d’une aire géographique ou d’un récit qui font de chaque individu un être à part, autonome, non substituable ni représentable par aucun autre. Pour reprendre la distinction utilisée par Debray, la ligne-chair tend à éclipser dans nos débats, nos raisonnements ou nos imaginaires une antique et plus abstraite ligneverbe à laquelle l’école et le jeu de nos institutions nous avaient (non sans peine) éduqués. Cette bifurcation, grosse d’une crise de la représentation, mérite examen.

 Ligne-verbe, ligne-chair…

 Cette distinction semble assez claire au théâtre ou au cinéma : les mots y sont donnés par le script ou un texte d’avance écrits, que l’acteur interprète en leur apportant la singularité de son énonciation ou de son expression, en bref son caractère et son corps. En psychiâtrie de même, l’hystérie de conversion ou les manifestations de somatisation montrent (par un symptôme ou une posture du corps) ce que les mots échouent à dire, ou l’esprit à se représenter : un eczéma, des crampes d’estomac, un accès de pelade « parlent » au-delà de ce que le patient peine à articuler…  La ligne-verbe dit, la ligne-chair montre ; et ces deux registres du dire et du montrer n’ont pas la même sémiotique, l’un relevant de l’ordre symbolique, le second plus riche en indices… Il n’est pas vrai, selon l’illustre formule qui clôt le Tractatus logico-philosophicus de Wittgenstein, que « ce dont on ne peut parler, il faut le taire » ; ce qu’on échoue à dire, il reste à le montrer.

Une ligne-chair se trouve de même préférée ou surgit dans nos échanges de messages chaque fois que du corps, dans sa singularité ou son ineffable expression, est invoqué et sacré ultima ratio des arguments. Il est clair que mon corps, ma biographie ou (titre d’un dernier livre d’Edgar Morin) « ma voie » sont d’une absolue singularité, nul ne peut les emprunter, les endosser ni s’en réclamer à ma place. Mais cet ordre physique, que le latin exprime par le pronom ipse, constitue-t-il l’alpha et l’oméga de la personne ? Celle-ci n’est-elle pas insérée dans des communautés plus larges, qui vont jusqu’à l’humanité, à laquelle la Déclaration des droits de l’homme a accolé le pronom idem pour souligner entre les sujets, au-delà des différences de surface et de tous les particularismes, leur commune égalité (et leur égale dignité) ?

Celui qui s’enferme dans la ligne-chair ne veut pas voir si loin ; il invite en revanche chacun à exprimer la part la plus profonde, ou authentique, ou physique, de sa sensibilité ; il dénonce pour cela la tyrannie des mots, de la raison ou du débat ; il fait sien l’adage « des goûts et des couleurs on ne peut discuter », pour en appeler à l’ordre supérieur (ou inférieur mais imprescriptible) des corps, pour le coup muets mais tellement sensibles !… Cette tyrannie de l’authenticité, ou d’une ineffable « expérience des sens », heurte frontalement les efforts de l’argumentation, et coupe court à bien des discussions réduites aux affrontements des petits moi-je. Chaque fois que votre interlocuteur se retranche dans cette forteresse de l’expérience vécue ou du corps sensible en vous disqualifiant comme raisonneur, verbeux voire « intello », il est sûr de rallier tous les suffrages de ceux qui n’accèdent pas, plus que lui, à l’articulation verbale ou à la généralité du concept. Mettre en avant son corps, ses humeurs, sa propre histoire peut de prime abord paraître sympathique, mais cela tourne généralement à la défaite du logos ou d’une raison un peu partagée.

Donc au conflit ou à une mêlée de tous contre tous ? C’est ici qu’il convient, avec la sémiotique, de réintroduire et d’examiner les mérites comparés de l’ordre symbolique (en gros celui du langage articulé et des mots) ou d’une communication simplement indicielle. Notre langage superpose aux grognements, aux caresses, aux soupirs que nous émettons par nature une construction plus abstraite, doublement articulée et qui réclame toute une éducation, suivie d’un effort d’attention, de mémoire et de séquençage : l’ordre symbolique, qu’il soit constitué de phonèmes, de lettres ou de nombres, se chiffre et se déchiffre linéairement, et selon un code que nul locuteur n’a inventé ; ce monde symbolique est par excellence commun, tel que personne ne puisse s’en dire le maître, et on ne l’utilise qu’en lui obéissant.

Notre voix en revanche, ou notre écriture manuscrite, sont toutes capitonnées d’indices qui représentent autant de variations individuelles ajoutées par chaque énonciation en marge du code (et de sa contrainte) symboliques. C’est cette part indicielle que le chien perçoit, et comprend cinq sur cinq dans les phrases adressées par son maître ; l’indice, le seul canal de nos  communications avec les animaux, demeure un signe toujours et encore physique ; il constitue, pour le dire plus précisément avec Peirce, « un fragment arraché à la chose », une odeur, l’inflexion d’une voix, une rougeur sur l’épiderme (ou dans le ciel), la fumée pour le feu, etc.

L’indice signifie par nature comme une trace, un reste ou un fragment, métonymique, d’un ensemble plus vaste ; il ne s’ajoute pas au monde mais est prélevé sur lui, ce n’est donc pas un artefact comme sont généralement les images (celles qui ne relèvent pas des empreintes), ou l’ordre symbolique des lettres et des chiffres. « Les mots sont-ils par nature ou par convention ? » On sait qu’en réponse à cette question débattue par Socrate, Hermogène soutient la seconde thèse, moderne ou conforme à la linguistique fondée par Saussure, tandis que Cratyle défend l’origine par nature ou par onomatopée de nos éléments de langage, en multipliant à l’appui de sa thèse de cocasses ou savoureuses étymologies… Pour lui le langage est d’abord physique, et provient du frottement des corps. Notre modernité vérifie la thèse d’Hermogène, mais ne réfute pas entièrement Cratyle, qui a raison pour ce qui relève de certains emplois de la parole(ce terme désignant le langage quand il se fait dans la bouche ou en situation d’énonciation), et par exemple dans ses usages poétiques, qui s’efforcent de remotiver les mots en corrigeant leur arbitraire… Plus généralement, nos communications esthétiquestournent autour de certaines composantes irréductiblement physiques des messages (de l’art, mais pas seulement) : formuler un jugement de goût, ou avec goût, en y mettant du style (qu’on peut définir comme le poinçon d’une expression singulière), c’est apporter un peu de son corps.

Cette communication esthétique qui infiltre largement nos échanges ordinaires y a toute sa place, et nous lui devons nombre de jouissances et de réussites dans les tournois de l’argumentation. On peut cependant s’alarmer, en marge de celles-ci, des progrès d’une communication qui ne serait qu’esthétique, ou soumise en dernier recours à la tyrannie des sens : ça me plaît/ça ne me plaît pas, c’est super, c’est géant, j’te raconte pas !, etc. Cette montée en puissance du corps avec ses indices risque non de stimuler mais de couper la parole ; ce nouveau cratylismevient supplanter les signes plus abstraits, ou symboliques, de la langue vernaculaire et en général de la représentation ; rivés que nous sommes au piquet d’attaches sensibles perçues comme ineffables, uniques et non substituables (non négociables), nous naturalisons notre culture, et nous payons cette restriction d’une érosion de nos performances logico-langagières.

… et crise de la représentation

L’ordre symbolique, en détachant nos sens de la présence réelle des choses, nous a ouvert un univers plus abstrait qui, sans être forcément plus riche, dédouble notre monde et le transcende. L’ordre des indices n’a pas cette vertu de coupure sémiotique, il nous laisse corps parmi les corps, en pleine immanence. La culture de masse, qui accompagne la diffusion de la culture véritable comme sa déformation ou sa grimace, montre bien cette allergie à la représentation, au détachement ou à une vie symbolique des signes, qu’elle rabat sur la proximité des indices et la chaude matérialité des corps. Fuyant les généralités et l’abstraction des concepts, peu favorable à l’interlocution contradictoire des débats, elle fonctionne par agglutinations : elle recolle, indiciellement, le signifiant au référent, elle valorise la présence et l’évidence physiques au détriment des douteuses représentations, elle préfère les décharges de l’émotion, de la rêverie ou du rire aux enchaînements de la raison, elle demeure toujours et en tous domaines attachée aux corps.

C’est son corps encore que mettra en avant un dictateur, pour s’attirer les faveurs du grand nombre, plus sensible au roulement des pectoraux qu’à de longs discours, et l’on sait l’usage sourcilleux de cette exhibition par un Poutine ou un Trump.

Mais d’une façon générale, toute notre culture semble aimantée ou invinciblement attirée par les performances physiques, si l’on songe à la place tenue par le sport dans nos grilles de programme ou, dans un ordre voisin, à la consomation d’images et de films pornographiques sur la Toile : une immense part de l’attention accordée aux médias se trouve ainsi rabattue sur une ligne-chair qui ne manque jamais d’arguments autrement éloquents, face aux discours venus des élites et de la chaire !

Ces attaches physiques peuvent aussi servir de caution aux affirmations primaires et à la persécution des fanatiques ; c’est ainsi que, dans certains procès en blasphème intentés par l’intégrisme religieux, un texte ou un geste seront pris au pied de la lettre ; ou que le second degré, l’humour, une blague seront perçus comme autant d’offenses par des inquisiteurs féministes, antiracistes ou LGBT. Un espace de respiration, de semblant ou de jeu se trouve ainsi frappé d’interdit, toute une vie symbolique des signes en est décapitée. Ces groupuscules s’entourent de patrouilles armées d’articles de code, de foi, de tribunes qui propagent la chicane et traquent les suspects. On ne plaisante pas avec l’offense (grief devenu péché capital) ; ces cultures groupusculaires gèlent une parole qui ne joue plus. La susceptibilité ou la crainte de l’autre y deviennent telles qu’on voit surgir sur certains campus américains des safe spaces, des lieux et des cours où l’étudiant est sûr de ne pas faire de mauvaises rencontres, de croiser des images ou d’entendre des propos qui pourraient choquer sa foi, ou ses convictions.

L’universel malmené

Dans ce nouveau monde ainsi émietté, saturé d’allergies et de phobies des contacts, l’ouverture démocratique se referme, toute re-présentation s’apparente à une supercherie, l’empathie envers l’autre ou le frayage avec l’altérité à une dangereuse aliénation. Et l’idéal des Lumières, qui luttait contre les mœurs barbares fomentées par la religion et d’ancestrales coutumes, se trouve assimilé à l’arrogance du mâle blanc occidental toujours suspect de colonialisme. L’irruption au Capitole, en janvier 2021, d’une foule ivre de rancune contre ces-élites-qui-nous-représentent-si-mal, et parmi elle cette image, qui a fait le tour du monde, d’un homme affublé de cornes et de peaux de bêtes (agitateur du mouvement QAnon arrêté depuis) jusque dans le bureau de Nancy Pelosi, en disent long sur notre crise de la représentation : le jour même où l’élection en Georgie faisait basculer la majorité au Sénat, la profanation de ce sanctuaire de la démocratie mit en pleine lumière l’irréconciliable affrontement entre ceux qui jouent le jeu de l’élection, et les adeptes du complot et des fake news martelées dans chaque discours par un président-vociférateur.

Une idée universelle s’est alors trouvée alors battue en brèche, comme l’a déclaré solennellement Emmanuel Macron au vu de ces images, dans son allocution nocturne postée depuis l’Elysée. Il faudrait pouvoir développer ici les tribulations de cette invention de l’universel, née notamment en Grèce (mais pas seulement), et son déclin dans notre nouvel éco-système. En commençant par souligner le paradoxe des bonnes intentions : on voit ainsi des anti-racistes combattre l’universalité du genre humain, où ils dénoncent le cheval de Troie d’un Occident colonisateur, démolissant du même coup un des plus sûrs remparts contre le racisme. On voit, au nom du respect des cultures toutes éminentes et par définition souveraines, admettre jusque sur notre sol le mariage des fillettes et leurs mutilations sexuelles… On tolère, au nom de la tolérance, des discours fanatiques ou particulièrement intolérants. La culture dans chaque cas se retourne en clôture, la communauté en communautarismes. Et les deux sens du mot cultureaffichent leur divergence radicale, vers l’idéal émancipateur d’un universel ou vers le repli tribal ; en enfermant chacun dans ses origines, en valorisant la défense des minorités, toujours plus nombreuses et plus exigeantes, fermées à tout ce qui n’est pas elles, il arrive que le monde de la culture creuse sa propre tombe.

Je trouve très éclairant, pour nos études de communication et par exemple pour nourrir les débats et querelles à venir autour de la campagne électorale et des styles de nos différents candidats, de garder en tête cette alternative (qui n’existe que de façon polaire, et admet tous les métissages). Nos deux « lignes », typiquement antagonistes-complémentaires, concourent également au bon acheminement des messages et aux succès de nos communications. Mais si le corps empiète trop sur les ressources de la parole, un horizon d’entente se dérobe, et les hommes éveillés (« woke ») qui, selon la formule d’Héraclite « habitent le même monde », risquent de retomber dans la guerre de tous contre tous.

13 réponses à “Ligne-chair, ligne-verbe”

  1. Avatar de Jacques
    Jacques

    Bonsoir, amis du blogue!

    J’imagine qu’ils sont quelques-uns à lire ce premier commentaire…Combien?

    Sur les lignes de départ et d’arrivée, peut-on les compter sur les doigts d’une seule main?

    Je n’en sais strictement rien du tout…Et puis, peut nous chaut le nombre, l’essentiel est d’être-là avec soi-même…

    Et cet interlocuteur n’est pas quelqu’un de facile!

    Notre randonneur qui connaît la cheire des montagnes monte en première ligne pour nous entretenir, nous instruire ex cathedra en faisant ses lignes. Et le verbe s’est fait chair!

    L’une de ces lignes aboutit à la Démocratie et l’autre à la République. Faut dire qu’il est allé à bonne école, Monsieur notre Maître, et sa mémoire phénoménale n’a pas oublié la douzième leçon d’un cours de médiologie générale, où l’on apprend que le Zelig de W.Allen n’est pas du genre à pratiquer la « différance », bonnes gens!

    On le voit s’en prendre joyeusement à l’auteur des « remarques philosophiques » qui veut taire ce dont on ne peut parler.

    « Grands dieux non, il reste cher Ludwig à le montrer, le chanter, le danser » (Daniel Bougnoux, Médium n° 55, page 85)

    Seulement au grand bal de l’argumentation, ils sont légion ceux qui font tapisserie, mes amis!

    Et si l’un d’eux se lève pour inviter le professeur à un tour de piste, il n’est pas dit qu’il accepte incontinent avec un beau sourire.

    Fors, peut-être, celui qui sait la réponse à la question de savoir ce qu’est l’argumentation, tel ce professeur au département de littérature comparée de Standford University.

    Sur les plateaux de télévision, ils parlent bien, tellement bien, nos princes des prêtres de la culture, tous bien endentés, et toutes leurs belles paroles à longueur de journée et de nuit tout entière, ne font pourtant pas bouger les lignes.

    Peut-être est-ce une façon de négocier le « tournant » ou le mouvement mais… c’est le résultat qui compte.

    Nos aréopagites modernes pérorent à qui mieux mieux sur l’idée et la sensation en citant le penseur grec.

    Du haut de sa tour, Sœur Anne ne voit rien venir…Et si la seule ligne qui conte et compte était la ligne d’horizon… non humain.

    Qui osera dire que ça se discute?

    Jacques

    1. Avatar de Daniel Bougnoux

      Bonjour et merci mon cher Jacques, vous êtes d’une vigilance incroyable, aller repêcher cet article de Médium 55 dont j’avais tout oublié – et la collection de cette revue est restée à Grenoble avec le gros de ma bibliothèque, je n’en dispose pas ici… Ne vous inquiétez pas pour l’audience de ces billets, et de leurs commentaires, Le Randonneur enregistre depuis pas mal de temps une fréquentation moyenne de 200 visites par jour, ce qui me semble satisfaisant, et très suffisant comme « rendement » de lecture… Je suis surtout heureux dans le dernier billet, posté la veille de l’intervention en Ukraine, d’y avoir montré Poutine gonflant des pectoraux, et particulièrement pour finir, dans une image-montage de propagande, la fable d’un Poutine chevauchant l’ours, ou l’URSS, dans un rêve de grandiloquence impériale… Certaines images, décidément, nous en disent plus que de longs discours.

  2. Avatar de Jean Claude
    Jean Claude

    « Ligne-Chair » vs « Ligne-verbe » représente un beau dualisme méthodologique, peut être même un dualisme ontologique pour certains. Ce bel article profond et nuancé, exemple type d’une mise en récit, d’un raisonnement quasi linéaire illustre parfaitement une prise de recul de la « ligne-verbe ».

    Pourtant ce dualisme masque ou fait de l’ombre à d’autres prises de recul qui se trouvent en décalage de ce récit. Pour les éclairer, il devient nécessaire de sortir de ce dualisme, de dépasser la dialectique propre à cette « ligne verbe » afin de mettre en œuvre une véritable dialogique. Lignes-verbes, lignes-chairs sont en interactions avec d’autres « lignes-signes », « lignes-sensibles » et surtout « lignes paysages ». Elles font systèmes, dans processus évolutif d’individuation (C. Jung) et de mise en tension propre à chaque niveau organisationnel.

    Le tragique du conflit Russo-Ukrainien révèle une dialogique bien difficile à mettre en œuvre entre des lignes verbes incompatibles, logiques qui se télescopent à l’échelle mondiale comme en interne des grands blocs de gouvernances : WEIRD (logiques occidentales des démocraties libérales, BRIC (logiques dirigistes de la Russie, de la Chine, de l’Inde et du Brésil) et d’autres encore moins caractérisées.

    La dialogique est aussi difficile à pratiquer dans notre hexagone, entre la ruralité, le néo rural, les grandes villes et surtout les métropoles (ce qui diffère grandement de l’Allemagne). L’occident se pare d’un étendard idéal de l’esprit démocratique, qu’il traduit si mal en idéologie démocratique si peu représentative, inefficace et quasi folklorique. A quelque étage que l’on se place dans les sphères organisationnelles, le trop d’information et la volonté de transparence nuisent à la construction du sens et l’exercice de la citoyenneté.

    Une macro-logique pourrait démontrer, expliquer, révéler, rendre sensible que l’axe économique se déplace de l’Atlantique au Pacifique, que le dérèglement climatique peut devenir une opportunité pour des pays comme la Chine, le Canada et surtout la Russie. A contrario notre espace occidental grand dérégulateur climatique et pollueur, sera le premier touché sur le plan économique par les conséquences du covid comme du conflit qui le fera entrer dans le cercle « vertueux » de moindre consommation.

    En 2017, le candidat Macron déclamait dans un aréopage militaire que nous étions rentrés dans la grande histoire. Cela m’avait glacé le sang. Aujourd’hui, nous le découvrons dans une « ligne chair » bien concrète.

    Merci Daniel pour le questionnement que tu nous proposes

    1. Avatar de Daniel Bougnoux

      Merci cher Jean-Claude de ta présence retrouvée ! La distinction que j’introduisais par ce billet, qui me semble en effet à creuser et poursuivre, ne concerne que la sémiotique, ou le registre des signes, pas celui de la force brutale qui n’est plus du tout de l’ordre de la signification, ni des messages. La « ligne-Poutine » (que j’ai tenté de « montrer » par deux images parlantes, à la veille même de l’invasion de l’Ukraine), est donc définitivement d’un autre ordre… Mais la force aussi, tôt ou tard, s’enveloppe ou se réclame d’une ligne-verbe pour se justifier, ou nous « convaincre ». Il me semble utile de réfléchir en effet aux variables façons ou dosages mêlés entre ces différentes lignes, sachant que la frontière principale passe entre la force (la violence, la guerre) et les signes ; mon billet ne traçait qu’une frontière secondaire, qui traverse différents registres de la sémiose en général.
      Et comment va la vie à Coursegoule ?

  3. Avatar de Kalmia
    Kalmia

    Bonjour!

    Oui, c’est un bien beau et bon billet qui nous oblige!

    Monsieur Jean-Claude entre dans l’arène et j’imagine que les deux cents visiteurs du jour vont jubiler en lisant les commentaires des uns et des autres, si ce n’est pas de l’un et de l’autre.

    En vous lisant, hier soir, Monsieur Jean-Claude, j’ai de nouveau pensé à M.Serres et de ce pas, je suis allé, grâce à vous, vers ses « Tables ».

    J’ai ouvert le menu pour ne pas dire le menuet et voici la musique des sens :

    « Quand le verbe la sature, la chair perd ses antiques grâces (…) Elle quitte la chair, la grâce, quand le verbe se fait chair.

    Salut, chair pleine de grâce! »

    Le principe dialogique dans la pensée complexe…vous connaissez, n’est-ce pas? Merci Edgar.

    Et sans doute la tradition dialogique de Mihkaïl Bakhtine, itou.

    Tzvetan Todorov disait un jour quelque chose qui sonne juste et ça me parle, à propos du principe dialogique qui n’est pas une abstraction scholastique, mais une règle de vie et un outil de travail. Pour lui, l’ethnologue admet le principe dialogique chaque fois qu’il cesse de parler des indigènes et commence à s’adresser aux indigènes.

    Alexandre I. Soljenistyne, Marina Zvétaieva, Hölderlin passant par la Vendée disent quelque chose…une résistance inapparente.

    Est-ce suffisant pour répondre au désastre?

    Le baloo du livre de la jungle montre sa force dans les fables de notre bon Jean de La Fontaine et toute la jactance du monde ne semble pas y changer grand-chose…

    Foi d’animal, autant aller retrouver dans un ciel d’étoiles la constellation qui porte son nom!

    Histoire de faire couler sur nos vallées, le lait et le miel.

    Restons en ligne, on ne sait jamais!

    Kalmia

    1. Avatar de Daniel Bougnoux

      Oui chère Kalmia, surtout restons en ligne ! Et merci de pointer ce livre de Michel Serres, que je n’ai pas ici en Provence mais que je repêcherai à la première occasion pour nourrir cette distinction verbe/chair, qui mérite quelques développements…

  4. Avatar de m
    m

    Bonjour, en ce beau dimanche d’hiver qui sent le printemps, au milieu des misères de notre ici-bas!

    Je viens de relire le long et très intéressant commentaire de Monsieur Jean-Claude.

    Je le cite, parlant des lignes :

    « Elles font systèmes, dans processus évolutif d’individuation (C. Jung) et de mise en tension propre à chaque niveau organisationnel. »

    Et tout à l’heure, par hasard peut-être, je suis tombé sur un site Internet où j’ai lu une pertinente contribution, signée J-C Serres, intitulée :

    « Communauté Mémoire du futur – « De Freud à Jung Partie III ». L’auteur parle de son itinéraire et de l’aide qu’il a pu obtenir par l’entremise des travaux du psychanalyste suisse mentionné dans dix livres de Gaston Bachelard.

    Monsieur Jean-Claude sera, me semble-t-il, intéressé par ce propos. Je lui propose d’aller y faire un tour.

    Peut-être pour me donner son point de vue, sa ligne de mire sur un extrait de l’introduction de la « Critique de la raison politique » d’un fin penseur avec lequel Monsieur notre maître a travaillé dur durant des décennies de médiologie.

    Aussi, permettez-moi de le porter à votre connaissance et à votre sagacité :

    « Cet inconscient politique n’est pas de nature psychologique, à base de représentations archétypales et encore moins de nature spirituelle ou initiatique (malgré une malencontreuse homonymie avec l’inconscient collectif de Jung). Il n’est pas déterminé par des formes symboliques flottantes mais par des formes fixes d’organisation matérielle, dont les premières ne sont que le décalque ou l’empreinte. L’étude de cet inconscient politique, ou si l’on préfère la science des rêves sociaux, ne ressortit donc pas au domaine des sciences de l’esprit mais à celui des sciences de la nature (qui englobe, bien sûr, le premier). Elle suppose dans tous les cas un renversement de regard théorique, ou une inversion des centres d’intérêt, qui rendra, simultanément et l’un par l’autre, le résiduel constitutif et l’irrationnel rationnel. » (Fin de citation)

    Vous le remarquerez sans peine, on ne lit pas ce genre de propos dans « Nombre et temps » de la collaboratrice de C.G Jung qui trouve un parallèle entre psychologie des profondeurs et physique moderne. Mais en cet ouvrage passionnant en cinq parties, pas la moindre référence à Gaston Bachelard, par exemple.

    Je veux bien croire, comme le souhaite, Madame Marie-Louise Von Franz, que cette somme est appelée à faire date dans l’histoire des sciences mais, en attendant, le simple citoyen qui cherche à comprendre peut aussi prendre des chemins de traverse ou des sentiers qui bifurquent sans ressentir le besoin d’aller quérir un peu de chaleur humaine en des groupes organisés, censés prodiguer lumière et connaissance, parfois moyennant finance.

    Je n’ai oncques ouï dire qu’un sympathique adhérent d’un groupe d’études freudiennes ou d’un groupe d’études jungiennes fut un beau jour en mesure de répondre à la question du peuple qui s’interroge sur le moyen de s’en sortir en cherchant à en savoir plus sur la vision d’avenir d’un projet de française démocratie, écrit pour Gavroche et Marianne.

    En revanche, des universitaires de leur laboratoire respectif d’utilité publique ont aidé dans sa quête, le peuple qui a fait le choix de lire leurs livres et de s’adresser à eux, sans qu’il lui soit demandé de payer en retour des frais d’adhésion ou de participation.

    Libre à chacun de choisir sa ligne de conduite et de s’étayer sur sa route des bonnes occasions qui vont à sa rencontre.

    Monsieur J-C Serres dans sa belle contribution susmentionnée fait judicieusement référence à la pensée d’Héraclite.

    On connaît son refrain « On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve ». On connaît moins son anagramme rapportée par le professeur et l’artiste : « La vague sans fin modifiée emmène nos jeux de sable » Vérifiez, c’est juste!

    On ne change pas en profondeur, je veux dire de nature et nous regardons toujours aussi béatement, enfin ceux qui ont les moyens de visiter les musées : « La liberté guidant le peuple d’Eugène Delacroix » Qui d’entre vous, chers visiteurs du bon rendement, permutera les lettres de ce tableau pour m’en dire quelque puissante et exacte vérité?

    Au bon… heur!

    m

  5. Avatar de Jean Claude
    Jean Claude

    Cher Daniel,
    Merci de ton retour. Mon temps et de réponse sont liées à mes pérégrinations alpines en ski de randonnée, dans la Vanoise, les Ecrins et dernièrement dans la Chartreuse et le Vercors. Je retrouve ce jour le petit village de Coursegoules où la vie rurale est tout autre, bien éloignée des bruits informationnels citadins. Cela me fait penser au film « Bamako » (2006) lors d’un procès dans la court d’une ferme, un malien bien inspiré coupe le son des haut-parleurs quand les avocats du FMI s’expriment.

    Il me semblait dans mon propos être resté au niveau de la sémiotique. Il est probable que la confusion peut provenir de mon association quasi systématique dans l’analyse de toute information des trois niveaux, celui du sens (symbole), celui de l’énergie (le comment, l’imaginaire) et enfin celui de la forme que je n’ai guère interrogé ici. Il me semble que la « ligne-chair » que je préfèrerai désigner par « ligne-émotion » reste essentiellement sémiotique puisque je ne suis pas directement touché mais simplement informé par les journaux et débats (essentiellement le monde et C dans l’air sur la 5 !). Générer la peur par le verbe de notre ministre ou du dictateur à propos de la dissuasion nucléaire relève de la « ligne-émotion ». Mais peut être que je suis dans l’erreur.

    En fait dans beaucoup d’articles et commentaires je me sens en difficulté de compréhension et dans l’incapacité de commenter. Je ne suis pas universitaire, très autodidacte (sauf dans le domaine technique) et ma culture est très fragmentaire !

    Un grand merci aussi pour les commentaires de « Kalmia » et de « m. » D’abord un point amusant. Souvent dans les commentaires qui me sont adressés par Kalmia, il s’y trouve des liens avec mon illustre homonyme « Michel Serres » dont je n’ai rien lu excepté « petites poucettes ». Ce qui est fort amusant c’est la proposition de « m. » de lire les articles de « Mémoire du futur », Communauté sur la plateforme numérique EchoScience de Grenoble dont je suis le créateur et l’animateur : Jean Claude Serres !

    Pour aller dans le fond, en réponse à Kalmia, j’ai lu toute la méthode de E Morin et cela m’a beaucoup influencé et orienté ma vie professionnelle. Cependant les influences qui m’ont construit sont entremêlé. Je viens de lire avec grand étonnement le livre de Frédéric Lenoir, « Jung un voyage vers soi ». Je n’ai lu aucun livre de Jung et pourtant quasi toutes « ses propositions » rapportés par F Lenoir m’habitent, en particulier le processus d’individuation.

    Je découvre ainsi que mon approche quadripolaire de la dialogique (pour sortir du dualisme et de la pensée ternaire) est issue d’un mix « Morin – Jung » à mon insu !

    En réponse à « m. » à propos de la citation « cet inconscient politique n’est pas de nature psychologique….. » je me trouve en grande difficulté de faire bref ! Chaque terme important : « inconscient », « spiritualité », « nature psychologique », « nature spirituelle », « forme fixe d’organisation matérielle », « sciences de l’esprit », « science de la nature » nécessiterai un article à part entière. C’est d’ailleurs ce que j’essaie de produire la communauté « Mémoire du futur ». 0 la façon de Gilbert Simondon, j’ai été obligé de redéfinir la signification de chacun de ces termes. Je vais ici donner deux exemples :

    « Inconscient » que je désignerai plus finement « Conscience du tréfond » en référence à Tich Nhat Hanh. Comporte quatre domaines : relationnel, cognitif, affectif, émotionnel. Chacun de ces domaines peut générer des gaines de conscientisation (états de conscience – proche du modèle neuroscientifique de Dehaene).

    « Politique » est pour moi la stratégie des stratégies, au cœur des processus de décision et donc de gouvernance. Cela n’a pas de lien direct avec l’inconscient mais élaboré principalement par le domaine de l’inconscient cognitif ni avec le concept de pouvoir qui se situerai plus dans le domaine de l’affectif.

    Alors comment aborder un tel extrait !

    Bonne soirée à tous
    Jean Claude

  6. Avatar de DH47
    DH47

    Ayant lu avec jubilation le texte « ligne-chair, ligne verbe », il m’a paru souhaitable d’en tester à ma façon le bien-fondé. Pour ce faire pourquoi ne pas chercher dans l’histoire de la littérature une illustration de l’opposition entre les lignes Hermogène et Cratyle, fond et forme, sens et style, universel et particulier ?
    Si, comme le dit si bien Daniel: « le style est le poinçon d’une expression singulière », si « mettre du style c’est apporter un peu de son corps », si notre randonneur voit aujourd’hui, non sans raisons, le cratylisme dominer notre scène (« revendications infinies d’un corps, d’une histoire, d’une aire géographique ou d’un récit « )…Alors je propose de faire de Pierre BERGOUNIOUX et notamment de son opuscule « Le style comme expérience » (1), le porte-étendard d’un ordre symbolique fait de raison plutôt que de nature, de concepts plutôt que d’affects.
    On peut en effet, comme Bergougnoux, faire partie des meilleurs prosateurs de ce pays et signer une oraison funèbre du style puisque celui-ci se serait disqualifié dès l’origine, par son étendard de classe.
    Si Sartre dans « Les Mots » démystifiait l’écriture et la lecture qui lui avaient permis de « bouffonner » devant l’entourage bourgeois de son enfance, s’il portait on ne peut plus littérairement et dans un style étincelant le deuil de la littérature…Pierre Bergounioux , lui aussi, prononce son réquisitoire contre le style et la langue de façon aussi paradoxale que péremptoire :
    « Le style est indissociable de l’exploitation et des sociétés de classes ». (2)
    « Quand la richesse matérielle et intellectuelle sera partagée…tout le monde, alors, aura du style ». (2)
    « Le langage classique est un organe de classe ». (3)
    Bergougnoux adopte la terminologie bourdieusienne pour dénoncer le style en tant qu’arme inventée par les dominants en vue d’asseoir leur pouvoir symbolique.
    Lorsque Daniel écrit : »notre modernité vérifie la thèse d’Hermogène mais ne réfute pas entièrement Cratyle ou « nos deux lignes typiquement antagonistes-complémentaires, concourent également au bon acheminement des messages et au succès de nos communications »….je ne peux que l’approuver dans sa volonté de dépasser les controverses ligne chair – ligne verbe, forme – fond, l’art pour l’art ou l’art social (par ex.). Ces controverses font entendre le tic-tac des dualismes: celui de la poule ou de l’oeuf, de l’art comme finalité sans fin ou comme superstructure d’un déterminant économique, moral, religieux, racial, sexuel (voir aujourd’hui la notion d’intersectionnalité adoptée par la « cancel culture »).
    N’en déplaise aux wokes soucieux de purger l’histoire de l’art en distinguant formes légitimes et illégitimes, Michel Deguy – qui nous a quittés le mois dernier- préférait, lui, « faire monter dans l’arche (de Noé) toutes les figures « . (4)
    Décidément, le monde est trop vaste pour être peint par un pinceau à poil unique: celui que choisissent tous ceux qui croient en un déterminant unique et en un ouvre-boîte universel; je pense à Régis Debray (qui s’y connaît en matière de révolution) quand il règle son compte à la « détermination en dernière instance » (5), tenace parasite du lit économiciste où séjournait l’Ecole des Annales; je pense aussi à Bruno Latour et à son écologie des « modes d’existence » : voilà qui nous éloigne, avec le blog du Randonneur… des mondes unidimensionnels !

    1) Le style comme expérience – Edit. de l’Olivier, 2013.
    2) Le Magazine littéraire N° 535 – 09/2013
    3) Exister par deux fois – Fayard, 2014, p.50
    4) A ce qui n’en finit pas. Thrène. Le Seuil, 1995 ; cité par Marielle Macé in « Fins de la littérature » s/dit.
    D. Viart et L. Demanze, Armand Colin, 2013, T.1 p. 143.
    5) L’erreur de calcul – Edit. Du Cerf, 2014, p. 19.

    1. Avatar de Daniel Bougnoux

      Merci cher DH, Bougnoux et Bergounioux même combat ? Ne résistons pas au plaisir de l’allitération. Ni à celui de vous citer, ici, la splendide définition qu’Aragon donne dans son « Traité du style » (19828) : « J’appelle style l’accent que prend, à l’occasion d’un homme donné, le flot par lui répercuté de l’océan symbolique qui mine universellement la terre par métaphore ». Et d’ajouter, sarcastiquement : « Et maintenant, détache cette définition, valet d’écurie, qu’elle rue et te casse les dents ! »

  7. Avatar de Jacques
    Jacques

    Bonjour à tous!

    La belle traînée lumineuse de DH 47 en ce mercredi des cendres dans les ciels du randonneur, précédée par l’apothéose céruléenne de Monsieur Jean-Claude en carême-prenant, attise notre curiosité et nous invite à une sacrée réflexion.

    Deux commentaires difficiles, passionnants qui élèvent la culture et exhaussent quelque part notre âme.

    Enfin disons-le tout net, ils réveillent nos neurones ensuqués et nous obligent à voir un peu plus loin. Alors merci à ces deux mousquetaires de la pensée complexe de nous aider tout simplement à chercher à comprendre.

    A chacun sa ligne d’horizon et libre à Régis Debray de voir dans « l’angle mort » une ligne directe avec le Très-Haut d’où renaît l’ébullition initiale!

    Loin d’icelui, loués soient nos rares seigneurs qui essaient de vivre et de penser avec la science en proposant une ligne d’horizon d’un type non humain. Une éducation politique doublée d’une éducation de l’intuition par une réflexuin scientifique et philosophique, n’est pas un mirage pour le physicien qui connaît les enjeux du savoir et qui, de ce fait, est en mesure d’instruire le peuple.

    J’entends les critiques et il faut les écouter. Dans la foulée des braves gens, lecteurs du blogue, on sait bien qu’ils cliquent, font trois petits tours et puis s’en vont. Que nous disent-ils? : « C’est universitaire vos propos à n’en plus finir et de plus c’est indigeste!  »

    Il y a des mots qu’on ne peut laisser passer, c’est sûr! Ce serait parce que l’on est dominé et pauvre, que le style nous serait interdit…Ah bon!

    Je répondrai par une tapinose : C’est vite dit!

    Allons aux faits : Un jour, j’ai reçu quelqu’un, l’un des plus grands esprits de notre temps que tout le monde ou presque connaît, fors, peut-être, les générations qui ne savent ni lire ni écrire nonobstant les millions distribués pour le fonctionnement du gros animal.

    Des amis étaient là, enseignants pour la plupart, pour voir en vrai la vedette. Et voici la réaction de l’un d’eux à l’endroit de mon hôte qui avait garé son carrosse doré dans la cour de ferme : » Drôle de façon de défendre le peuple et de faire la révolution avec une Porsche! »

    Remarque faite en aparté par ce brave instituteur retraité qui va manifester au diable vauvert pour défendre l’environnement avec un 4×4 dernier cri.

    Sur la voie méconnue du réel, il n’y a pas que la bagnole…Une connaissance de la théorie mimétique nous le confirme.

    Dans le numéro 1 de « Médium », notre randonneur cite, page 28, le « Traité du style » où l’auteur s’en prend aux journalistes.

    C’et bien là le paradoxe : Comment ne pas écouter la radio, ne pas lire les journaux et en même temps connaître tout ça par cœur en préférant couper son bois? Monsieur Bougnoux donne une réponse pour l’intellectuel, pas pour le croquant de Messire Bourdieu.
    Tiens, à propos de croquant, voici un extrait d’un message fort aimable de Monsieur Pierre Bergounioux, qu’il m’a envoyé, un jour, avec un aperçu d’un troupeau de limousines de son village natal :

    « Autre amusante chose, le mot de croquant, dont vous vous servez, viendrait du village de Crocq, en Creuse, près de chez moi (je suis corrézien) . Les habitants s’étaient révoltés, en 1596, contre leur seigneur. Ils tinrent quatre ans avant d’être vaincus et pendus. Un noble aurait eu un mot ironique pour ces croquants accrochés par le cou aux branches des chênes. Plus tard, le terme s’est étendu à tout le menu peuple du royaume (avec manants, vilains, jacques et autres Jean-Jean). Par un juste retour des choses, l’aristocratie a fait connaissance, deux siècles plus tard, avec le couperet républicain. » (Fin de citation)

    Bien sûr, la poésie comme avenir, cher Monsieur DH 47 et bien sûr qu’il existe plus qu’un cent d’encres. Mais dans le variable, il y a le mot « vair ».

    Et si le compte est bon, c’est aussi une question de mesure, n’est-ce pas « vrai »?

    Sommes-nous si loin de l’intellectuelle française qui se présente « écrivaine », défenseur des dominés dans « Zadig »?

    Je la cite :

    « Et que la rigueur de la langue écrite accueille et soutienne toutes les puissances d’une oralité dévastée par les avilissements marchands d’une novlangue numérisée ».

    Revenons à nos chers grecs :

    Socrate – :
    Mais parler, n’est-ce pas aussi une action ?
    Hermogène – : Oui.

    (…)

    Socrate — : Moi, cher Hermogène, je ne prétends, rien : tu oublies ce que je disais tout à l’heure, que j’ignore tout cela, mais que je l’étudierais volontiers avec toi. Ce que nous avons du moins reconnu jusqu’ici, contrairement à ce qui nous semblait d’abord, c’est que le nom a en lui-même une certaine propriété naturelle, et que tout homme n’est pas capable de donner à quelque chose que ce soit le nom qui lui convient. N’est-il pas vrai ?
    Hermogène — : Très vrai.

    Bien à vous

    Jacques

  8. Avatar de Gérard
    Gérard

    Bonjour!

    Le commentaire de Monsieur Jean-Claude est très intéressant, voire touchant.

    J’aime à le relire.

    D’abord, la réponse à l’anagramme proposée qui a dû faire réfléchir Monsieur Jean-Claude, dévalant tout schuss les pentes du Vercors.

    « Le gueux radine, l’étendard palpite, le ciel bouge ». (Le physicien qui adore les cimes appréciera cette découverte du pianiste et du professeur)

    Cette référence intime à Jung m’a fait plonger dans « Le matérialisme rationnel » de Gaston Bachelard, page 26 :

    « C. G. Jung a mis en évidence, chez l’alchimiste, cette attitude spécifique devant un mystère constamment visé bien que toujours visé sans aucune perspective de preuves objectives. Il a justement rapproché les enquêtes de la psychologie des profondeurs et les recherches des alchimistes. La lecture de son beau livre : Psychologie und Alchemie (1945) donnera de nombreux exemples de ce parallélisme de l’inconscient humain et de la substance centrée sur un mystère. Dans son ouvrage : Symbolik des Geistes (1948), il formula la thèse générale de ce parallélisme avec toute la clarté désirable (p. 87) : « Nos expériences de praticien sur l’être humain montrent toujours à nouveau que toute recherche prolongée sur un objet inconnu détermine un attrait presque irrésistible pour l’inconscient, attrait qui l’amène à se projeter dans l’inconnaissable de l’objet. »

    Par quelle « bizarrerie de la Providence » votre référence à M.Frédéric Lenoir me fait me ressouvenir de ma correspondance manuscrite avec son père René Lenoir, au début des années nonante? J’ai conservé ses missives bien écrites qui me parlaient de ses élèves de L’ENA, certains des morts-vivants et aussi de sa douleur à quitter ses Alpilles, sa maison, ses livres pour aller à la ville. J’ai ressenti comme un appel m’exhortant à ne pas laisser tomber la nature, ce talisman.

    Sur les erres de Kenneth White, on parlera de stratégie…paradoxale et somme toute devrons-nous faire l’éloge du code…

    Vous le découvrirez à la fin de « petite poucette », ce code.

    Quant à trouver le scarabée, bien au delà de la littérature…

    Dans une chanson à composer, peut-être, autrement dit une équation + une émotion…

    Qui saura?

    Gérard

    1. Avatar de Daniel Bougnoux

      Merci Gérard pour cette incitation à lire Jung ! J’ai sur ma table le dernier bouquin de frédéric Lenoir, à Jung consacré, ce sera donc l’occasion d’un futur billet…

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À propos de ce blog

  • Ce blog pour y consigner mes impressions de lecteur, de spectateur et de « citoyen concerné ». Souvent ému par des œuvres ou des auteurs qui passent inaperçus, ou que j’aurai plaisir à défendre ; assez souvent aussi indigné par le bruit médiatique entretenu autour d’œuvres médiocres, ou de baudruches que je…

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À propos de l’auteur

  • Daniel Bougnoux, professeur émérite à l’Université Stendhal de Grenoble, est ancien élève de l’ENS et agrégé de philosophie. Il a enseigné la littérature, puis les sciences de la communication, disciplines dans lesquelles il a publié une douzaine d’ouvrages.

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