L’isoloir n’est pas une cabine d’essayage

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J’entends comme chacun, dans notre contexte d’urgence électorale, d’étranges raisonnements ou prises de position : certains, jugeant l’offre du premier tour « débile », ne se sont « reconnus » dans aucun candidat et se sont donc abstenus. Ces gens ne les représentent pas, le compte n’y est pas. Pauvre usage à tout faire du mot représentation, ici perverti ! Le second tour aggrave évidemment ce risque de non-reconnaissance, donc la décision d’abstention – ou de voter nul ou blanc.

Cette exigence de reconnaissance éclaire à sa façon notre lassitude démocratique. Les individus aimeraient se projeter dans les personnalités en lice, mais la douzaine des choix proposés ne permet pas d’ajuster cette exigence d’identification, ils sont trop eux, pas assez moi… Le concept de représentation se trouve rabattu ici sur le mode narcissique du miroir, vous n’êtes pas moi, vous n’aurez donc pas ma voix ! On confond la politique avec le show-biz ou avec une offre de vedettes médiatiques et de people entre lesquels chacun fait son marché pour s’accaparer leurs images, grappiller leurs tics ou quelques anecdotes de leurs biographies, sans conséquence tant qu’il s’agit d’un jeu superficiel de miroir qui laisse le monde en l’état.

Et certes l’offre politique côtoie cette foire aux rôles ou à ces images dont chacun s’habille, mais une élection ne saurait s’y confondre : il y a les programmes, un contexte, des échéances et des conséquences bien réelles qui découleront du choix de chacun. L’isoloir n’est pas un miroir, ni une cabine d’essayage. L’abstention, dans ce cadre, me semble frôler dangereusement une conception narcissique ou consumériste de la chose publique.

Voter n’est pas se réclamer d’une personne ou d’un candidat mais, dans un affrontement binaire comme celui de dimanche prochain, faire le choix du moindre mal, ou celui d’éviter le pire. La décision politique, cette arène où chaque citoyen est invité à descendre même s’il en comprend si peu, consiste par définition à passer des compromis, autrement dit à lâcher quelque chose de sa précieuse, de son ineffable identité pour calculer, au-delà de ses intérêts propres, quelque chose d’un bien qu’on puisse dire commun.

Le jeu politique en d’autres termes me décentre, voire me trahit, mais c’est toujours au nom d’une entité qui me dépasse, d’une altérité avec laquelle j’accepte de cohabiter. Un réel plus vaste que le chétif petit moi me dicte un choix qui ne me ressemble pas, mais qui représente, à cet instant, une forme d’espérance en un avenir à façonner et partager. C’est le moment (dirait François Jullien) de décoïncider.

Ou pour le dire avec Aragon (dans le poème de 1943 « La rose et le réséda », qui s’efforce de réunir les deux composantes, gaullistes et communistes, chrétiennes et athées, de la Résistance), « Quand les blés sont sous la grêle / Fou qui fait le délicat / Fou qui songe à ces querelles / Au cœur du commun combat… »

Ou pour rappeler une distinction célèbre due à Max Weber (Nathalie Heinich vient de poster sur le site du Nouvel Obs une tribune à laquelle j’emprunte ces lignes) : « …l’éthique de conviction et l’éthique de responsabilité. La première consiste à agir en fonction de ses valeurs, la seconde en fonction des conséquences présumées de ses actes. La première met au premier plan la pureté des intentions, la seconde l’efficacité pragmatique des actions.(…) Dois-je voter au plus près de mes convictions, au risque de voir advenir des conséquences que je n’approuverais pas ? Ou bien dois-je voter en calculant les effets de mon choix, quitte à être infidèle à mes valeurs ? »

Parce que la politique concerne la gestion du commun (ce « commun combat » prôné par Aragon), et parce que ce commun sera toujours aux yeux de chacun foncièrement impur, il me faut faire dans ce cadre (que je n’ai pas posé) des choix infidèles à mes préférences intimes, voire carrément déviants ou déplaisants – mais toute recherche du commun exige ce type de sacrifices.

Dimanche prochain, je laisserai donc mon narcissisme au vestiaire pour aller voter.

15 réponses à “L’isoloir n’est pas une cabine d’essayage”

  1. Avatar de B.Pouyet
    B.Pouyet

    Mon commentaire
    Daniel,
    Dans la dernière phrase de ton propos, tu appelles à aller voter, donc à ne pas s’abstenir.
    Tout comme Mélenchon ou d’autres , tu n’exclus pas le vote blanc puisque tu n’appelle pas exprèssement à voter Macron.
    Et s’il manque une voix à Macron ,et que c’est la tienne, ne seras-tu pas « le fou qui fait le délicat » ?
    Amitiés.

    1. Avatar de Daniel Bougnoux

      Cher Bernard, Nous sommes accablés je crois de consignes appelant à « bien voter », inutile donc d’en rajouter. Ce qui fera éventuellement passer MLP, c’est l’abstention, j’insiste donc sur la lâcheté ou la faiblesse de volonté ou de pensée qui pourrait faire hésiter entre les deux candidats, ou les renvoyer dos-à-dos. Mon billet combat l’abstention.

  2. Avatar de Jean Claude
    Jean Claude

    Cher Daniel, je comprends ton combat contre l’abstention et le partage. Je n’ai aucune difficulté car je pense que Macron a été l’ homme de la situation malgré quelques erreurs. Il le sera encore demain.

    Cependant je comprends aussi le choix de l’ abstention pour l’extrême gauche. MLP a plus de probabilité de se trouver en cohabitation que Macron à l issue des législatives.

    Cependant notre constitution est bien fragile et le contournement possible des instances régulatrices parlement, sénat, conseil constitutionnel, face à une démocratie directe…

    Ce qui me parait beaucoup plus difficile ce sont les multiples fractures qui rendent la france ingouvernable, quel que soit le gouvernement et le président :
    La france rurale et périphérique versus la france des métropoles, du tout numérique et de la mondialisation.
    La france souveraine ou province de l europe
    La croissance démographique multi culturelle
    La pollution des nourritures alimentaires et culturelles versus le laisser faire
    …etc
    Une société tant déstabilisée ne peut pas avancer en ligne droite et la violence ordinaire reprend ses droits

    Pessimisme ou lucidité, je ne sais….

  3. Avatar de Anne Eyssidieux
    Anne Eyssidieux

    Mon commentaire

    Merci Daniel de rappeler que l’abstention n’est pas neutre et que les pudeurs de gazelles des belles âmes pourraient nous coûter très cher…Je rappellerai ces quelques lignes de Brecht:

    Bertolt Brecht en 1933 :
    « Du caractère incalculable des événements historiques.
    Le peintre en bâtiment est venu au pouvoir non seulement par un coup d’Etat, mais encore par le jeu de la légalité. Son parti était brusquement devenu le plus puissant de tous, si bien qu’il lui revint légalement de former le gouvernement. Le peuple était plongé dans le plus grand désarroi. Beaucoup votèrent pour cet adversaire de la démocratie parce qu’ils étaient démocrates. Il y avait aussi les innombrables mécontents, insatisfaits de certains partis – les partis existants – et prêts à rallier celui du peintre en bâtiment puisque, n’ayant jamais gouverné, il n’avait pas encore eu le temps de faillir. Les veaux, insatisfaits de ceux qui les tondent, les nourrissent et les gardent, résolurent en désespoir de cause d’essayer le boucher. »

    Amicalement

  4. Avatar de Marc h
    Marc h

    J’apprécie beaucoup l’analyse; notre démocratie et plus encore la présidentielle nous entraînent à choisir entre des personnalités plus qu’entre des programmes …… qu’aucun citoyen ordinaire ne peut lire, analyser et comparer seul . Alors s’il n’est pas membre d’un groupe, disons qui les étudie et les discute collectivement, chacun se fait seul son opinion par les éventuelles analyses par les médias, sur les points saillants qui sont relevés par les journalistes ou par les candidats, lors de meeting ou de rencontres contradictoires. Mais pour le plus grand nombre il s’agit bien d’une démarche individuelle, libre. Les partis politiques pour les plus ardents défenseurs de la liberté briment cette possibilité de choix individuel de la plus grande partie de la population non encartée. Peut-être doit on espérer qu’une vie politique plus intense puisse permettre la mise en oeuvre d’une démocratie qui a besoin de plus de collectif.
    Amicalement Marc h

  5. Avatar de Jacques
    Jacques

    Mon cher Daniel,
    Tu critiques l’abstention au vote lors de l’élection présidentielle « J’entends comme chacun, dans notre contexte d’urgence électorale, d’étranges raisonnements ou prises de position : certains, jugeant l’offre du premier tour « débile », ne se sont « reconnus » dans aucun candidat et se sont donc abstenus. Ces gens ne les représentent pas, le compte n’y est pas. »
    Après avoir été l’un de ceux qui ont voté Chirac pour ne pas voter Le Pen, puis Macron pour ne pas voter Le Pen je vais encore voter Macron pour ne pas voter Le Pen…Je dois dire que je comprends parfaitement celles et ceux qui ont envie de s’abstenir ! Je rappelle le résultat des votes du premier tour :
    abstention : 26,3 %, EM 20,1 %, MLP 16,7 %, JLM 15,8 % ,etc
    Donc si Macron est élu au second tour il représentera 20 % des adhésions des français…ce qui signifie que 80% des français n’adhèrent pas au projet politique d’Emmanuel Macron.
    Il me semble que ce choix forcé qui nous est imposé pose le problème du bipartisme traditionnel en France issu de la constitution telle que l’a voulue De Gaulle, alors que le tripartisme fait désormais partie de notre paysage politique. Cette fois-ci nous n’avons, me semble t-il, que le choix entre l’extrême droite, l’extrême gauche et un certain néolibéralisme des élites « jupitériennes ».
    Après tout , à quelques centaines de milliers de voix près, nous aurions pu avoir à choisir entre Macron et Mélenchon !
    Alors je m’interroge sur notre système politique français ? Après tout nos voisins allemands et italiens adeptes des coalitions n’auraient ils pas une certaine sagesse politique que nous n’avons plus par crainte du retour à la (tant honnie) quatrième république?
    Je suis bien sûr conscient du risque qu’une présidente fascisante puisse être élue dimanche et je voterai Macron sans hésiter…mais cela ne me semble pas régler la question. Sommes nous condamnés élection après élection à choisir entre de nouvelles ou nouveaux : Macron, Le Pen ou Mélenchon ?
    Je crois que les abstentionnistes ne sont pas responsables des choix qu’on leur impose !
    Amicalement mon cher Daniel
    Jacques

  6. Avatar de Kalmia
    Kalmia

    Bonjour!

    Quel succès, Monsieur notre Maître !
    Votre confessionnal a fait rebondir plus d’un paroissien et me voilà, à mon tour, sur ma chaise, en train de m’essayer à ne rien vous celer sur ma communion solennelle de dimanche prochain, derrière l’église du village.
    Mon devoir accompli, si sur la place, un bon apôtre se présente, je l’inviterai volontiers à venir boire un petit coup à la maison…Pour parler des résultats du premier tour d’une petite commune de la Drôme provençale ou d’une ville riche de la banlieue parisienne ? Nenni!Pour pérorer à l’envi sur l’utilisation de l’article 11 de notre Constitution ou de la réaffirmation de la supériorité du droit national sur le droit communautaire ? Non, mais ç’aurait pu !

    Un œil furtif sur quelques papiers épars et mon hôte de trouver, céans, ces mots de votre référence universitaire :

    « Cela dit notre rôle n’est pas de résoudre les problèmes de notre société – cela, c’est la tâche des militants et des politiques – mais de produire et de transmettre le savoir. Je suis personnellement très heureuse lorsque des citoyens s’emparent de mes travaux comme des outils pour leurs combats, mais je refuse que mon travail soit inféodé à des objectifs politiques, qui iraient à l’encontre de l’autonomie nécessaire pour assurer la qualité de nos recherches. » (Fin de citation)

    Alors pas un mot, sur cette lecture, Monsieur le Confesseur, de peur de commettre un péché capital !
    Le Pen Club paysan n’a pas son Bertolt Brecht pour défendre ses droits, ses libertés et ses valeurs mais il ne messied pas, parfois, d’y raconter des histoires de veaux ou de français.
    Pas sérieux, s’abstenir !
    Mon Révérend, « comme un prêtre dans la mine » pourriez-vous nous dire qui « amène le pire » ? Et fin comme vous êtes, mon bon seigneur, vous aurez recta décelé entre les guillemets de cette question, l’anagramme de la fonction recherchée et des prénoms et noms des deux courageux candidats en lice.
    Pardonnez-moi ce caprice des lettres qui réfléchit, peut-être, un avenir vu d’en bas !
    On peut demander des comptes et, de nous, exiger des contes…à vivre debout.

    Kalmia

  7. Avatar de m
    m

    Bonjour Madame, Monsieur!

    Je viens de lire et de relire ce billet et les commentaires qui suivent.

    Un peu plus tôt, devant le poste de télévision, ils étaient quatre, deux journalistes, deux politiques, deux femmes, deux hommes.

    L’un d’eux a dit quelque chose qui a fait l’unanimité concernant leur niveau de vie respectif.

    Et vous, Madame, Monsieur qui écrivez en cet espace vous n’êtes pas peintres en bâtiment, vous êtes vous aussi issus de cette culture intellectuelle qui vous permet de reproduire, ici, un extrait des annexes de B. Brecht.

    C’est très bien ainsi mais comment pouvez-vous vous mettre dans la peau d’un manuel votant pour qui « amène le pire » parce que ce pire est l’ennemi du mal? Mademoiselle Kalmia, on a bien compris vos anagrammes et Monsieur Jacques en sait quelque chose.

    Mon feu correspondant Marcel Jullian, qui a participé au scénario de « La grande vadrouille », écrivait dans une courte supplique :

    « Le monde moderne est rempli de bouchers qui aimeraient exercer leur métier sans avoir à tuer de veaux, d’économistes qui tiennent les chômeurs pour des importuns (…) »

    Faut-il pour autant juger de haut l’artiste aux fins souliers qui n’est pas, évidemment, du même monde que le peintre en bâtiment, autrement dit, le manuel? Lui aussi, ce manuel gagne-petit a « sa France » – qui ne passe pas dans le journal.

    Imaginons, un jour de chance qui verrait se rencontrer le peintre en bâtiment et l’intellectuel en vue, quelque part sur une petite route départementale…Que pourraient-ils se dire enfin? Peut-être tomberaient-ils d’accord, si électives affinités, sur notre rapport tellurique au monde…Sœur Anne du haut de sa tour universitaire verrait-elle dans sa longue-vue le grand rêve de Gaston Bachelard en train de se réaliser?

    Quand il y a des « Oh », c’est qu’il y a débat!

    Oui mais, en bas, on ne voit rien venir.

    Qui, là-haut, peut encore jeter l’ancre pour une exotique nature?

    Bon réveil

    m

  8. Avatar de Gérard
    Gérard

    Bonjour les amis!

    A quelques heures d’entrer dans l’isoloir, je reçois, ce jour, un beau message d’un correspondant toulonnais.

    Dominique est philosophe, romancier, galeriste. – Agrégé de philosophie et docteur en philosophie.
    Il a enseigné cette matière au Lycée Dumont d’Urville à Toulon et l’Histoire de la philosophie à la Faculté des Lettres de La Garde.

    Il s’est aussi investi dans la cité pour défendre son idée de la culture.

    Son itinéraire est original et si dans la cité des travailleurs de la preuve, je ne puis le suivre dans ses considérations « mystiques », j’apprécie en lui quelque chose, telle une certaine liberté, quand la statue de marbre lui sourit dans la cour.

    Alors, ce brave homme défend son choix de vote et d’emblée pose des questions argumentées en m’invitant à y répondre sur-le-champ. Un peu comme à la télé!

    Pourquoi pas? Alors j’ai décidé de porter à la connaissance d’une personne qui n’a pas ses lettres, quelqu’un d’en bas, comme ils disent, ce fameux questionnaire pour lui demander son avis.

    Gilbert, l’a lu avec beaucoup d’attention. Ce retraité de l’agriculture n’a pas beaucoup de mots mais sa pudeur animale est à mille lieues des sobriquets des steppes intellectuelles où tous les coups sont permis. Voici sa réponse en toute sérénité exprimée :

    « – Mais dis-moi, ton gars, quel est le montant de sa pension de retraite? Aurait-il les mêmes idées, s’il touchait comme moi une retraite inférieure au smic?

    D’accord tout n’est pas qu’affaire de sous mais quand même, ce n’est pas avec 1100 euros par mois que les pauvres gens peuvent se payer le luxe d’une antichambre où ils se cachent pour mourir, si tu vois ce que je veux dire!

    Alors oui, j’enfourcherai ma bicyclette et j’irai dès l’ouverture du bureau de vote, glisser mon bulletin dans l’urne.

    …En espérant quelque part l’impossible rêve « palingénésique » au jardin d’Épicure  » (Fin de citation)

    Il y avait sur sa table de cuisine, un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.

    Brisons là.

    Revenons à nous.

    Edgar Morin écrit : « (…) ce que le Tao appelle L’Esprit de la vallée « reçoit toutes les eaux qui se déversent en elle »_ »

    Cet espace est un bougnou (pensez à cette cavité de la mine, dont il est question dans Germinal) et notre grand prêtre réceptionne tous nos commentaires.

    Il y a quelque chose de phréatique en ce blogue et quels que soient notre naissance, notre milieu social, nos croyances, nous devons considérer la fin de toutes ces réflexions, en explorant ce qui peut l’être, sans laisser l’autre au fond du trou.

    (Au fait, contrairement à la graphie d’accord que l’on trouve dans les propositions d’une personne candidate, reçues tout récemment par la Poste pour le vote de demain, j’écris « quels que soient » en rapport avec les sujets. Est-ce bien raisonnable?)

    Une étonnante anagramme nous dit que « les trous noirs » – « sont irrésolus ».

    Nous restent ceux de l’âme ou ces points de suspension…

    Dis-moi Céline, ce qu’ils sont devenus!

    Gérard

  9. Avatar de Jacques
    Jacques

    Un dimanche à la campagne

    Ce vingt-quatre avril entre la pluie et le beau temps, la randonnée est de mise…

    A l’heure de la messe qui n’existe pas dans l’église vide du village, une entrée au bureau de vote de la mairie pour y glisser mon bulletin.

    L’élu est là, à la porte, fort avenant tout sourire. Nous parlons du temps qu’il fait, de mille et une petites choses, mais pas « politique ».

    A deux lieues de là, c’est un déjeuner au restaurant de la forêt. Pas la foule et la jeune serveuse, alerte et riante, vient vers nous.

    Elle court la belle…Elle doit assurer, puisque toute seule. Impossible de trouver du personnel, nous dit-elle!

    Entre commensaux, nous parlons de La Rabouilleuse de Balzac, du culte de la nature au XVIII ème » siècle, de l’abstention du jour et de bien d’autres choses très ordinaires.

    Ensuite, c’est une visite à deux pas à ce gentilhomme campagnard, seul dans sa maison isolée vivant avec ses ânes et son chien.

    Figure atypique d’un personnage qui s’impose par son charisme et son culot. Dans son bric-à-brac en guise de cuisine, voire son capharnaüm, des coquemars, des ex-voto, des psychés sans tain et dans un coin une photographie jaunie du maître de céans posant à côté de la fille d’un héros soviétique. Malgré ses souffrances articulaires, il est allé voter pour le candidat sortant, puisqu’il a augmenté de quelques euros sa petite retraite d’ancien fermier qui a dû travailler dans une déchetterie pour survivre.

    J’ai apporté une bouteille de pétillant sans alcool et notre hôte jubile…Ce n’est pas tous les jours qu’il voit du monde, fors les aides médicales qui viennent pour les soins.

    Et c’est un passage au Musée de la ville. Une rencontre avec l’exposant…Ses toiles sont superbes, des portraits féminins très fins.

    -Regarde cette femme, me dit ma voisine, elle a dans les traits, dans l’expression, quelque chose de l’épouse de Régis Debray.

    L’artiste tout simplement me dit :

    – Mes aïeux étaient peintres. C’est très difficile d’en vivre, vous savez! Pour moi, aucun problème, je fus professeur de philosophie à Marseille et ensuite je fus nommé Inspecteur d’Académie, ici, dans le département…Je n’ai pas de problème financier, évidemment!

    – Votre nom vous a aidé , j’imagine!

    – Mais bien sûr, je ne vous dirai pas le contraire.

    Ce peintre affable et talentueux est de la parenté d’un résistant français né en mil neuf cent trois, dans une ville militaire du département.

    Il a été fusillé en avril mil neuf cent quarante-quatre. Ce militant a publié des livres sur l’épistémologie et dans son ouvrage « Sur la logique de la théorie de la science », il nous dit que l’expérience scientifique n’est pas une confrontation à la nature mais une construction intellectuelle pour observer la nature. Pas étonnant qu’il soit cité par Gaston Bachelard dans « L’engagement rationaliste » et qu’on le retrouve dans les spectres de ce penseur!

    Dans un film de J-P Melville « L’armée des ombres », le personnage de Luc Jardié, c’est bien lui.

    Oh, vous savez, me dit mon interlocuteur exposant, la nature humaine n’a pas changé, les vanités en ce monde, c’est désastreux!

    Tout est dit.

    Retour au bercail. Sur la table, le journal de la veille titre à la une : « Un étrange phénomène lumineux dans le ciel »

    Je pense à ma correspondance argumentée sur ces « choses vues » avec cet ingénieur du Ministère de la défense du début des années quatre-vingts.

    Et j’allume la télévision.

    Dans leurs salons de France et de Navarre, les gens bien endentés sont soulagés, en voyant les résultats des élections affichés et le petit peuple est déçu. Soit!

    Il gagne haut la main en perdant des millions de voix et elle perd sans nulle conteste en gagnant des millions de voix.

    La France est divisée, irréconciliable…

    Et si ce n’était pas une fatalité?

    Ils gagnent plus ou moins de 2000 e par mois, les lecteurs de ce blogue. Oui, c’est un fait. Et alors, ne pourrait-on pas dépasser sans le nier le mur de l’argent pour aller plus loin dans une forme de culture difficile, supérieure peut-être, qui rassemble au lieu de diviser, au delà des bonnes intentions mais dans une intentionnalité heureuse inventant le temps fabuleux des enfants rêveurs?

    Un temps comme valeur d’instrument qui ne saurait négliger l’ombrage incertain du poète et les ombres de l’esprit du nobel

    « Le facteur temps »…Il est en nous, et alentour, et de nos vies, disent le pianiste et le physicien, « c’est l’âpre fumet » / « et c’est le parfum »

    Belles anagrammes entre guillemets, en effet!

    Retroussons nos manches pour donner une odeur au pays que nous habitons.

    Qu’en pensez-vous, les amis?

    Jacques

  10. Avatar de M
    M

    Bonsoir!

    Un lecteur m’envoie cette remarque pertinente :

    « Car vos interlocuteurs raisonnent avec des ombres… Un point focalisateur commun

    spirituel non niaiseux est un bon début, pour rassembler, mais il devrait avoir l’évidence de la perception physique. »

    Trait d’union entre base et sommet. Réconcilier les gens d’en bas avec les gens d’en haut.

    Facile à dire ! Et un livre qui attend, on le trouve…

    Mais réunir dans une même perception spiritualiste la libération de l’être et le tracé du destin de l’espèce, est-ce bien une affaire de librairie

    et de mille plateaux de télévision?

    Si tel était le cas, ça ce saurait.

    Et l’on travaillerait ensemble au lieu de se lancer des tomates ou de faire des selfies.

    Enfin, on peut toujours rêver…

    M

  11. Avatar de Kalmia
    Kalmia

    Bonsoir!

    Quel beau temps de printemps, la nature semble chanter à l’approche du joli mois de mai qui, nous l’espérons, va conserver les premiers bourgeons!

    Rassurez-vous, je ne vais pas vous ennuyer longtemps avec les fragrances de ma campagne solognote.

    Revenons plutôt à nous et principalement au dernier commentaire.

    Cher ou chère M, je tombe des nues…Vous avez la dent dure contre l’intellectualisme mais force est de constater que vous y baignez jusqu’au cou.

    Relisez votre propos et dites-moi si le peuple d’en bas dont vous vous réclamez adhère à votre verbiage.

    Au temps revenu des cerises, si les étourneaux ne mangent pas tout, c’est de la dentelle bretonne pour nos habits troués que nous attendons.

    De Gaulle et Godot, comme ils disent, c’est bon pour les élites bien habillées qui attendent…

    Une gente dame prénommée Valérie qui a osé se battre en duel télévisé avec notre Z national réclame à cor et à cri des millions d’euros et en appelle à notre bon cœur pour pouvoir payer sa campagne électorale. Plus d’un autour de moi qui a vu augmenter sa retraite de quelques dizaines d’euros aurait des propositions très concrètes à présenter aux décideurs pour protéger son pouvoir d’achat mis à mal par l’inflation galopante, comme par exemple, relever de façon significative le plafond d’octroi de la CSS qui est, disons-le, une aide pour les gens qui ont de faibles revenus et qui participent – et c’est normal – dans une moindre mesure au paiement de leur couverture santé. Dans le système actuel, si les conditions d’attribution ne changent pas, ce sont des milliers de personnes qui ont des revenus améliorés dont le montant est inférieur au smic qui seront lésées, car ne pouvant plus prétendre à cette aide sociale.

    On n’entend pas ces choses-là sur les plateaux des riches qui parlent beaucoup ni d’ailleurs, hélas, chez les représentants indemnisés et en tous genres du peuple qui ne vivent pas son quotidien.

    Un peu plus de justice dans la vie ordinaire des gens donnerait, peut-être, un goût d’enfance à ce monde déboussolé qui cherche vainement sa petite maison avec poutres et chevrons taillés dans les bois de Brocéliande. Une seule maison et le bonheur en plus.

    Je vous souhaite une bonne nuit, et comme disait Monsieur André Breton, la tête dans les étoiles et les pieds bien sur terre.

    Citation faite pour vous faire plaisir Madame ou Monsieur M.

    Kalmia

  12. Avatar de Gérard
    Gérard

    Voici le joli mois de mai.

    Il y a quarante ans, Catherine Clément derrière l’arbre à songes, aimait à rêver chacun pour l’autre…

    Son beau livre d’espérance qui commence par une petite phrase : « La question du bonheur est posée », est dédié à « Mélusine »

    Certains s’y reconnaîtront, peut-être…

    Et moi, pauvre de moi, j’étais en ce même temps, à la fête de la laïcité au Bourget. Francis Lemarque chantait « Marjolaine » et j’errai ailleurs, peut-être du côté de Tinchebray où, dans le brouillard, l’inconnu me disait quelque chose…

    On a voté en cette aprilée. Ils se sont exprimés dans l’isoloir du blogue et, tout compte fait, c’est le maître des lieux qui l’emporte avec douze voix.

    Quèsaco?

    Monsieur Daniel Bougnoux n’est pas un « prof » mais un maître. On a lu quelque part, à son endroit, cet hypocoristique plus facétieux que flatteur : « Monsieur notre maître ». Le maître, c’est celui qui oriente et surtout qui nous oblige…On répond, on apporte sa petite pierre, parce que l’on ne peut faire autrement en son for intérieur.

    Dans son « éducation politique », un ami commun, cite son initiateur en philosophie qui, un jour de printemps mil neuf cent cinquante-six, a pris une craie pour écrire au tableau noir la sentence que voici :

    « L’homme est un animal qui, lorsqu’il vit parmi les membres de son espèce, a besoin de maîtres » (Kant) . Et de vive voix, optimiste, il ajouta :

    « Il a besoin de maîtres pour se passer de maîtres ».

    Non point un maître à sa mesure, ni un maître pour se mesurer au maître. Battre la campagne pour juste trouver sa propre mesure.

    Et bien loin des cabines d’essayage, tomber par hasard sur la fourrure qui sied à merveille.

    J’ouvre le journal d’aujourd’hui. Madame le Préfet aux champs. Elle pose avec deux responsables agricoles et va faire remonter leurs problèmes. Ils sont tout émus! Pensez donc, la fonctionnaire a déterré une graine de tournesol et l’a recouverte…La belle affaire!

    Faire du sentiment, c’est bien beau mais ça ne règle pas tout.

    Je viens de lire une citation de Joseph de Maistre.

    Il est minuit. Et il est temps de grimper l’escalier…à défaut de monter au paradis. Il y a quarante ans, Madame Clément dans son essai susmentionné n’est pas du genre à dédaigner le sens agricole de la culture. Pour elle, il y a du paradis là-dedans.

    Bonne nuit et faites de beaux rêves à écrire demain sur le tableau.

    Gérard

    1. Avatar de Daniel Bougnoux

      Hélas chers amis de ce blog, moi qui ne suis plus prof (retraité) et si peu maître en général, je donne l’impression de délaisser cet écran, et en effet depuis une quinzaine de jours, après une semaine passée loin du blog en Tunisie, je me trouve affronté à un déménagement plus important, et fatiguant, que prévu. J’espère en dire quelque chose dans un prochain billet, car déménager c’est tout un art, et un changement de monde qui vous remue un homme… Mais je voulais sans trop tarder présenter mes excuses pour ce long silence.

  13. Avatar de m
    m

    De l’isoloir au boudoir…Toute une philosophie.
    Et si « une brève de comptoir » par une belle anagramme « comporte bien du rêve », sans vouloir vous déranger Monsieur le Professeur, au tableau, s’il vous plaît, pour le renverser!

    m

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À propos de ce blog

  • Ce blog pour y consigner mes impressions de lecteur, de spectateur et de « citoyen concerné ». Souvent ému par des œuvres ou des auteurs qui passent inaperçus, ou que j’aurai plaisir à défendre ; assez souvent aussi indigné par le bruit médiatique entretenu autour d’œuvres médiocres, ou de baudruches que je…

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À propos de l’auteur

  • Daniel Bougnoux, professeur émérite à l’Université Stendhal de Grenoble, est ancien élève de l’ENS et agrégé de philosophie. Il a enseigné la littérature, puis les sciences de la communication, disciplines dans lesquelles il a publié une douzaine d’ouvrages.

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Les derniers commentaires

  1. Bonjour ! De grâce, Messires, appelez-moi « MADAME » ! Quèsaco ? Eh bien, prenez le moi de « Me » Too…. Mettez la…

  2. N’ayant pas encore lu le dernier livre de Caroline Fourest ni entendu l’émission d’Alain Finkielkraut, j’en étais restée aux passages…

  3. Bonjour ! J’ai quitté ma caisse tardivement, hier soir, et le temps de faire les courses, impossible de trouver un…

  4. J’ai capté moi aussi ce matin, un peu par hasard, l’émission « Répliques » d’Alain Finkielkraut et son dialogue avec Caroline Fourest…

  5. J’écoutais ce matin Caroline Fourest au micro d’Alain Finkielkraut dire que ce que dénonçait le slogan — devenu mouvement –…

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