Claude Malhuret, ancien maire de Vichy, sénateur, médecin et avocat, a prononcé cette semaine à la Chambre un formidable discours qu’il vaut la peine d’écouter. Comment en effet, avec quels mots, réarmer non seulement l’Europe en doublant ou triplant ses budgets militaires, mais comment aussi se réarmer moralement, et répondre à la formidable bataille de désinformation et de brouillage conduite par la Maison blanche pour renverser ses alliances, et semer le chaos sur notre continent ? Quel discours opposer aux saillies et aux approximations verbales de Trump ?
Celui d’Emmanuel Macron, mardi 4, ferme et très clair, a donné à l’opinion française un outil de cadrage, et de mise en garde, que la plupart des observateurs semblent approuver ; mais notre Président était tenu de respecter certaines limites dans la stigmatisation des mensonges et de la trahison en cours. Sa parole, raisonnable, manquait peut-être d’images ou de mots pour flétrir, ou stigmatiser comme ils le méritent, les discours de son homologue américain. Name and shame, comment manier les mots pour qu’ils blessent suffisamment, et donnent à chacun envie de les reprendre ? Comment, puisque l’heure est au réarmement, faire de notre verbe une arme, certes immatérielle mais qui agisse, indigne et soulève ?
Nous vivons depuis quelques semaines (depuis les débuts de Trump à la Maison blanche) suspendus aux informations, généralement désolantes : que de ruines, que de malheurs (pas seulement pour l’Ukraine) annoncent au monde ses premières et tonitruantes décisions ! Or ces mots nous font la guerre, ils déplacent des forces et configurent autrement un champ de bataille inédit.
Je me rappelle, quand j’enseignais à mes étudiants la problématique des actes de langage et, tirée de J. L. Austin, la distinction des paroles constatives et performatives, les exemples que nous prenions dans la bouche de nos présidents : plus on monte haut dans la hiérarchie sociale et plus les mots deviennent performatifs, c’est-à-dire servent à faire quelque chose, à « ajouter un état au monde », et pas seulement à constater cet état. « Il fait beau » ou « J’ai mal aux dents » est banalement constatif ; « Je dissous l’Assemblée nationale », ou je traite Velodimir Zelinsky de dictateur, ou d’acteur sans talent, est performatif, et les Russes ne s’y trompent pas, ravis de voir Trump reprendre la rhétorique du Maître du Kremlin, et par ces insultes préparer la suspension de l’aide américaine aux Ukrainiens. De sorte qu’il se passe peu de jour sans qu’un observateur, sur LCI ou BFM-TV, dissèque les dernières paroles tombées des lèvres sarcastiques de Trump, quel détricotage annoncent-elles de l’ordre dans lequel jusqu’ici nous vivions ?
La vie politique consiste depuis toujours à porter la guerre dans les mots, mais ceux-ci, avec l’essor irrésistible des fake news, relayés sans façon par les réseaux sociaux, nous imposent d’en forger à notre tour qui soient capables d’endiguer la pollution du discours escompté par l’adversaire (ou notre résignation devant un tel gâchis) : encore une fois, comment répondre efficacement à Trump (et jusque chez nous à ses partisans) ?
Le discours que vient de prononcer Claude Malhuret fera date, et mériterait de figurer dans une anthologie des textes de résistance. Je l’avais découvert hier. Le journal de France-inter ce dimanche nous informe qu’il circule en traduction aux Etats-Unis, où plus de six-cents mille internautes en ont déjà pris connaissance… Comparer la Maison blanche à la cour de Néron, où nul ne discute la parole d’un tyran qui prend apparemment plaisir à enflammer le monde ; traiter Elon Musk de « bouffon sous kétamine chargé de l’épuration de la fonction publique » ; avertir que ce n’est pas en se couchant à plat ventre devant Poutine que Trump dissuadera Xi Jin Ping d’envahir Taïwan ; dénoncer les mensonges, les engagements reniés, la lâcheté aussi d’un planqué de la guerre du Vietnam qui se permet, dans le bureau ovale transformé en tribunal, de reprocher à Zelinsky son héroïque combat…
J’aimerais recopier ici ce mordant réquisitoire, tellement il sonne juste, en nous rappelant que les mots ont un sens, mais aussi une force inestimable quand il s’agit de dénoncer l’imposture, la tricherie, la lâcheté. Trump rêverait, dit-on, de se voir décerner un prix Nobel de la Paix s’il met fin à a la guerre en Ukraine ; c’est un prix d’infamie, et de déshonneur, que Claude Malhuret lui jette à la figure avec ce discours exemplaire. Puisse-t-il circuler et ranimer aux Etats-Unis une opinion démocrate bien silencieuse ; ou, de ce côté-ci, faire réfléchir tous ceux qui n’ont pas encore pris la mesure des dégâts causés par l’élection de ce très dangereux personnage.
Lien permettant d’accéder au discours : https://www.publicsenat.fr/actualites/international/bouffon-sous-ketamine-claude-malhuret-nest-pas-surpris-de-la-viralite-de-son-discours-contre-trump-et-musk
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