Du temps de la tribu (Moses à gauche)
Je ne voulais pas clore ce parcours en Woodyland sans aborder de front, bien sûr, l’affaire, qui intéresse tellement plus le gros public que nos pinaillages de cinéphiles sur son œuvre. Car la rumeur, la persécution vont bon train ; cette semaine encore, le quatrième et dernier épisode d’un « documentaire » sur OCS (quatre heures en tout) remet le couvert, et on le dit accablant pour notre cinéaste.
Je n’ai pas encore vu ce film à charge, je ne sais si j’en ai vraiment envie, tellement les biais et les contre-vérités s’étalent dès les chapeaux et résumés en grosses lettres qui font sa promotion : non Woody n’a pas commis d’inceste en épousant Soon-Yi, qui n’était pas sa fille adoptive (lui et Mia ne se sont jamais mariés, et Mia ne lui a fait adopter en commun avec elle que Moses et Dylan, Satchel devenu Ronan étant présenté comme leur fils biologique) ; non, Dylan le lendemain du supposé drame (le 4 août 1992 à la maison du Connecticut) n’a pas raconté son traumatisme « avec ses mots d’enfants », c’est Mia sa mère adoptive qui l’a plusieurs jours durant filmée, en lui dictant ce qu’elle devait dire à la caméra ; et la fillette a tellement varié et trébuché dans ses dépositions ultérieures auprès des enquêteurs que ceux-ci, au terme de deux longues investigations successives, ont conclu qu’il n’y avait simplement « pas de cas » – ce qui empêche Mia d’aller en justice, qu’elle remplace par le tribunal médiatique.
Avec Soon-Yi
Pourquoi empêcher aujourd’hui Woody de tourner ? D’éditer dans son pays son livre de Mémoires, Soit dit en passant (Stock 2020), où il présente sa défense ? Pourquoi le docu-film Allen vs Farrow est-il entièrement conçu à charge, quatre heures durant, ses auteurs Kirby Dick et Amy Ziering ne pouvaient-ils travailler de façon plus équilibrée, plus journalistique (si l’information existe encore en ces matières) ?
On préfère lyncher, comme aux beaux temps du maccarthysme. Entendons-nous : on a raison d’instruire le procès de ceux, à commencer par Harvey Weinstein, qui ont abusé de leurs positions de pouvoir pour séduire voire violer de malheureuses femmes, et les affaires de ce côté ne font que commencer. Mais pourquoi ce torrent de boue doit-il emporter au passage un réalisateur comme Woody, qu’aucune actrice jamais en cinquante années de tournages n’a accusé d’un geste déplacé ? Et dans lequel les enfants de Mia voyaient, jusqu’à ce jour fatal du 4 août où elle a forgé l’instrument de sa vengeance, un excellent père ?
Dylan (7 ans) dans le film tourné par Mia en août 1992
Amuseur, pas abuseur ! Devant les attaques et à bout d’arguments, Woody a proposé qu’on le soumette au détecteur de mensonge – Mia s’y est refusée. Pourquoi les deux docu-scénaristes n’écoutent-ils que sa parole, et celle des enfants qu’elle manipule ? Est-il à ce point rentable, en termes de réputation et d’argent, de surfer sur la vague Metoo et de donner une telle résonance aux propos d’une femme ivre de jalousie (et dont la parole aussi a beaucoup varié), au lieu de chercher dans ce flot sordide un peu de vérité, donc d’apaisement ?
La rédaction de Médiapart publiait hier (18 mars) un article d’Emmanuel Burdeau censé présenter au public français le « reportage » diffusé en quatre épisodes. Sa contribution confuse et bien discutable ne fait hélas qu’envenimer l’affaire. « Tel est l’état actuel de la représentation », assène-t-il en passant, sans mesurer du tout la complexité de ce dernier terme : on peut traiter de la crise de la représentation, de ses nouvelles modalités, mais sûrement pas de sa disparition. Tirer des films de Woody des éléments à charge contre lui, au motif qu’ « il n’y a plus d’œuvres », mais seulement des documents, semble bien hasardeux : Manhattan est l’œuvre de deux scénaristes, quelle part d’autobiographie y découperez-vous ? Cela demande un bistouri bien précis, il ne suffit pas de pointer l’âge (dans le film) de Tracey (jouée par Mariel Hemingway).
L’ingratitude envers Woody (qui nous laisse une œuvre d’une telle richesse), la paresse intellectuelle, le suivisme…, ne sont heureusement pas partagés par tous, et des témoignages s’élèvent aussi ici et là pour défendre Woody. Le plus touchant, le mieux étayé me semble celui de son fils adoptif Moses, qui s’est dressé contre Dylan et Ronan pour dire ce que lui a vu (il était dans la pièce), et d’autre part nous éclairer sur les méthodes éducatives de Mia, grosses de drames, plus proches d’un camp disciplinaire que de l’amour d’une mère. On ne lira pas ce texte, disponible sur Youtube, sans être frappé je crois par la droiture de Moses, son calme, sa simplicité, son énergique effort pour faire reculer les démons de la vengeance et du mimétisme. La famille, disais-je ici à propos de l’analyse d’un film (Maris et femmes ?) est le lieu tragique par excellence. Quand la tragédie a éclaté, qu’elle a roulé sur les crânes et enflammé les esprits, vient le temps (ou la possibilité) de la catharsis, à laquelle se consacre Moses avec ce texte, un peu long pour être résumé ici mais qu’on ne lira pas sans émotion et dont je donne, en VF, le lien :
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