Je reçois de mon ami François Galichet le texte suivant. François s’est beaucoup impliqué à Grenoble, autant qu’au plan national, dans l’association « Ultime liberté » que j’ai déjà présentée sur ce blog, et à laquelle mon épouse Françoise et moi-même avions adhéré, avant que le cancer ne l’emporte (en juin 2016).
Il m’a proposé de le cosigner, ce que je fais bien volontiers, en compagnie d’André Comte-Sponville ; le journal Le Monde hélas n’a pas jugé utile de le publier, alors qu’il touche à un très réel problème de société. Samedi dernier 19 octobre, l’émission Répliques d’Alain Finkielkraut a touché à cette douloureuse question de l’euthanasie, lui-même et Pascal Bruckner s’y déclarant favorables, tandis que Robert Redeker s’y opposait au nom de vagues arguments heideggeriens qui m’ont paru bien fumeux (« l’arraisonnement » de l’homme par la technique, qui mettrait entre nos mains ce qui doit demeurer de l’ordre de l’inaccessible, ou de la Providence.) Avec le même raisonnement, on interdisait avant la loi Veil aux femmes de décider librement de donner, ou non, la vie. Elles se rendaient donc en Suisse, ou aux Pays-Bas, pour obtenir cet avortement qui, jusqu’en 1975, est demeuré chez nous un crime.
On criminalise toujours et de la même façon les personnes qui, lasses de souffrir ou de mener une vie dégradée, voudraient précipiter leur mort : il leur faut aujourd’hui en passer par de coûteuses filières, en Suisse, ou se procurer en le commandant d’abord en Chine, puis après l’interruption de cet approvisionnement au Mexique, un précieux produit vendu sous le manteau. Pascal Bruckner distinguait fort bien samedi une euthanasie à usage personnel, qui ne peut que rencontrer notre approbation, et les implications sociales de cette mise à disposition : comment faire pour que le contenu du sachet n’atterrisse pas dans l’orangeade de la vieille tante à héritage ? François énumère dans son texte les pays qui, bien conscients de ce danger, ont néanmoins légalisé cette pratique ; il faudrait étudier leurs traitements des dérives, et comment ces risques y sont contenus, au jour le jour et au cas par cas. La loi belge, que j’ai examinée, me semble plutôt sage et je ne vois pas pourquoi nous demeurons, vis-à-vis de nos voisins, dans un tel retard.
En bref, voici ce texte par lequel, avec beaucoup de personnes qui souffrent de notre retard juridique, nous aimerions faire bouger la loi. Le sujet est sensible, et il appellera peut-être votre commentaire, ou votre témoignage. Ces partages font progresser la prise de conscience nécessaire, et vous n’aurez, pas plus que moi-même j’espère, à encourir par cet échange l’épreuve d’une matinale perquisition.
« Trafic de barbituriques » ou moyen de vivre mieux ?
Ces derniers jours ont eu lieu un peu partout en France, sur ordre du parquet de Paris, des opérations de police chez des personnes ayant commandé à l’étranger du pentobarbital afin de pouvoir mourir dignement si nécessaire : au total 125 perquisitions à domicile. Des personnes âgées, voire très âgées, ont vu débarquer chez elles, souvent très tôt le matin ( 6 h !) des policiers qui ont fouillé leur appartement, retourné leurs affaires, inspecté leur ordinateur et leur téléphone portable. Beaucoup en ont été traumatisées.
Il ne s’agit pas, comme certains articles de presse le suggèrent, d’un « trafic » , mais de personnes qui, soucieuses d’échapper à des fins de vie catastrophiques (AVC, Alzheimer, cancer, maladie de Charcot, etc.) ont cherché à se procurer ailleurs un moyen qu’elles obtiendraient si elles habitaient la Suisse, la Belgique, les Pays-Bas ou le Canada.
Une enquête menée auprès de certaines d’entre elles montre que la possession de ce produit leur permet de mieux vivre, de se sentir plus libres, plus sereines, et parfois d’affronter des épreuves qu’elles n’auraient pas acceptées sans cela.
Au moment où la France doit faire face à une vague de terrorisme sans précédent et où les réseaux de trafiquants de drogues prolifèrent impunément, la police n’a-t-elle rien de mieux à faire que de traquer des retraité(e)s paisibles comme s’ils étaient de dangereux malfaiteurs ?
Ces personnes n’ont commandé le produit leur permettant une mort digne et tranquille que parce que la France, contrairement à d’autres pays, refuse jusqu’à présent de voter une loi qui légaliserait l’aide à mourir.
Il serait temps que les députés français légifèrent sur la fin de vie, conformément au vœu, d’après les sondages, de plus de 90% de la population. Alors qu’ils viennent de le faire pour la GPA, qui ne touche qu’un petit nombre de femmes, la fin de vie concerne des millions de personnes, et potentiellement tout un chacun.
François Galichet
Ancien professeur de philosophie à l’Université de Strasbourg, auteur de Mourir délibérément (Presses universitaires de Strasbourg, 2014) et de Vieillir en philosophe (Odile Jacob, 2015).
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