Claude Durand vient de mourir, m’apprend France culture ce vendredi matin, et j’en suis tout triste alors que si peu de choses nous reliaient. Mais pourtant, j’avais trouvé en lui un soutien et voici comment.
J’essaye depuis peut-être trente ans de faire éditer un livre, un récit de famille déguisé en roman et dont le titre a passablement changé au fil des successives versions, cela s’appelle pour finir L’Inensevelie et l’histoire me touche de près – de trop près sans doute. Bref, après un début prometteur – Hubert Nyssen était sur le point de l’accepter à Actes-sud en me proposant des modifications qu’à l’époque (1984 ?) je refusais orgueilleusement ! – le tapuscrit deux ou trois fois récrit, remanié, dort toujours dans un tiroir.
Je l’en tirai voici deux ans pour un nouveau tour de piste : refus unanimes, certains particulièrement cuisants, au Cherche-midi notamment où les remarques du « lecteur » de service étaient tellement débiles… J’ai longtemps cherché la lettre amicale, copieuse (deux grandes feuilles manuscrites) que le regretté Nyssen m’expédia, mais de dépit j’ai dû alors la jeter, dommage, c’était un document à opposer aux lettres de refus stéréotypées tirées sur imprimante qu’on m’envoie aujourd’hui… Et là dessus, coup de téléphone, « Ici Claude Durand », qui m’appelle son cher ami et me propose de me rencontrer, il aimait le livre qu’il trouvait « chose rare, bien écrit ! », son accord de publication ne faisait pas de doute. Fayard, après tant de refus essuyés, j’étais plutôt content.
Notre rencontre à Paris rue du Montparnasse, un matin de printemps, fut une déception : deux semaines avaient passé, mes feuilles avaient circulé dans la maison et j’ai compris qu’Olivier Nora ou je ne sais qui d’autre avaient formulé des réserves, il faudrait récrire, de nouveau attendre ; j’avais pour la première fois Claude Durand devant moi, dans ce bureau très nu, et il semblait gêné, oui il avait vraiment aimé mais se trouvait bien le seul, or il ne dirigeait plus Fayard et l’édition est un sport d’équipe, il faut que tout le monde soit content, prêt à défendre le livre, bref il préférait qu’en attendant je leur donne autre chose et alors promis, les deux livres paraîtraient ensemble, on ferait deux contrats… Je quittai l’entretien perplexe, je m’en voulais d’avoir mis cet homme sincère dans ce porte-à-faux, en contradiction avec sa maison, pris en défaut pour m’avoir aimé moi, dont les autres ne voulaient pas.
Je ne connaissais pas particulièrement Claude Durand, sinon comme tout le monde par sa traduction retentissante (avec Carmen Durand et pour le Seuil) de Cent ans de solitude du formidable Gabo ; et puis si, un jour de Noël sur une plage des Antilles il avait croisé Régis Debray et l’avait invité à rejoindre avec armes et bagages la maison Fayard, il prenait tout, les essais, d’éventuels romans et même Les Cahiers de médiologie… Nous étions très bien traités chez Gallimard, la revue perdait à chaque numéro de l’argent que l’éditeur épongeait royalement. Régis passa chez Fayard, et nous, des Cahiers, nous nous sommes retrouvés à partager un bureau avec les jeunes femmes de la collection « Mille et une nuits », rue du Four. Un four en effet, et qui ne tarda pas : notre numéro à paraître, intitulé « Missions » je crois, fut tout de suite dans le rouge, Fayard n’éditait aucune revue et ne savait pas faire, sinon appliquer la vérité des prix, l’aventure trop chère des Cahiers s’arrêta donc au numéro suivant…
Je regrette la bienveillance et (en mon for intérieur) la perspicacité de Claude Durand, comme je regrette comme éditeurs Hubert Nyssen, ou plus près de nous « Jibé » Pontalis. Comme ils manquent dans le paysage ! Et vers qui se tourner ? Je termine ces jours-ci un livre, sur l’identité de Shakespeare, qui m’a passablement empêché depuis quelques semaines d’écrire sur ce blog ; je sais que somnambuliquement, conjuratoirement, j’écris ce livre pour Jibé qui l’aurait (je crois, c’est commode de faire parler les morts) accueilli dans sa collection. Tout à fait dans l’esprit de « L’Un et l’autre » où j’ai publié en 2012 Aragon, la Confusion des genres. Ou bien je l’aurais porté à Claude, dont j’apprends qu’étudiant il a joué dans La Tempête – je dis « Claude » alors que nous nous sommes parlé vingt minutes ? Mais oui puisqu’il m’avait, bien seul parmi les éditeurs, « aimé » le temps de lire mes deux-cents pages. Je lui en serai toujours reconnaissant.
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