Au risque de déplaire sur ce blog à ML, fidèle correspondant amateur d’anagrammes et de Gaston Bachelard, mais partisan aussi de Marine Le Pen, je voudrais consigner ce matin quelques réflexions nées de la prestation, hier soir sur TF1, de la candidate apparemment (ou pour le moment) évincée de la course présidentielle.
Deux camps se trouvent en effet face-à-face à la faveur de ce « séisme », ou de cette péripétie, celui du droit versus un parti de « victimes » qui crient très fort au déni de justice, ou à la « tyrannie des juges ».
Le débat qui suivit, animé par Darius Rochebin sur LCI, rendit particulièrement évident ce clivage, renforcé par les propos de Madame Lavalette, députée RN de Toulon et à mes yeux figure très spécialement antipathique ; elle reprenait en effet, et s’époumonnait à marteler, l’affirmation défendue par Marine Le Pen de sa parfaite innocence. Cette dénégation laisse rêveur : car enfin, un collège de trois juges a travaillé pendant des mois, une laborieuse, une minutieuse instruction s’est déroulée, au terme de laquelle un détournement de 4,10 millions d’euros a été formellement établi, au détriment du Parlement européen donc des contribuables ; mais ce délit (fondé sur un système, organisé par Marine en toute connaissance de cause et tranquillement répété sur plus de dix ans) PFUITT ! n’existe pas aux yeux de Mme Lavalette, qui se borne à mettre en avant l’absence d’enrichissement personnel, et de corruption. Et nous devrions applaudir à ce tour d’escamoteur !
Ces passes d’armes, et tout l’argumentaire depuis hier des partisans du RN, me renforcent dans l’idée que nous vivons depuis quelques années déjà dans un recul de l’état de droit, qui s’accompagne d’un dédain croissant pour l’objectivité, d’un mépris grandissant pour des valeurs liées à l’universalité, et au bien commun. Il est symptomatique d’ailleurs que les soutiens de l’étranger, et dont le RN se serait probablement bien passé (Poutine, Orban, Trump, Bolsonaro, Elon Musk, quelle vitrine !…), proviennent d’agents qui font systématiquement prévaloir la force des intérêts particuliers sur le droit dans leur gestion de la chose publique.
Concédons qu’on ne peut concevoir ni organiser durablement un grand parti sans un fort ingrédient de narcissisme ; un parti est d’abord une affaire de famille, et la famille ne se discute pas, « mes filles avant mes cousines, mes cousines avant mes voisines », on connaît cette chanson. Et ceux qui mettent au triomphe de la famille des bâtons dans les roues sont forcément des voleurs ou des assassins, répètent en chœur les « victimes » : s’auto-proclamer victime (du système, des élites) est devenu le plus sûr moyen de rallier la sympathie ou les suffrages, au point que la condamnation de Marine Le Pen, pourtant avérée et parfaitement fondée en droit, peut valoir en effet au candidat RN, quel qu’il soit dans deux ans, une prime à l’élection : Trump lui doit la sienne, ses multiples « affaires » avec la justice n’ayant fait que renforcer sa popularité.
Une société de plus en plus individualiste nourrit en effet ce démon du narcissisme, qui bouche la vue au-delà du nombril, ou du bout de son nez. Pour eux le droit est compliqué, voire forcément instrumenté, la contradiction fatigante, l’étranger inquiétant, l’information chose vague donc malléable, et la vérité (ou les simples faits) une option dans l’océan des fake news ou des croyances qui rassurent et abritent dans la chaleur de la communauté. Pourquoi tant d’embarras, on est si bien entre soi !
Ceux que désole la condamnation de Marine Le Pen devraient donc d’abord répondre à ceci : la justice existe-t-elle à vos yeux ? Le jugement rendu est-il, pour vous, forcément « politique » ? Ne pouvez-vous, au lieu de hurler qu’on vous dépèce, vous défaire de cette préférence pour le proche, ou pour le Rassemblement national, et examiner avec un peu plus de recul ou d’impartialité les motifs de cette affaire ? Dans l’autre camp se rangent en effet les partisans du droit, et de la séparation des pouvoirs : il y a encore chez nous une justice, et c’est heureux face à des pays où l’on achète les juges, à moins qu’on ne les assassine.
Les menaces de mort proférées depuis hier par quelques soutiens de Marine à l’encontre de la présidente du tribunal ne laissent pas, et ce n’est pas un détail, d’inquiéter sur cette dangereuse dérive.
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