Révolution entre Rêve et Rien

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Ma petit-fille Elisa doit présenter la semaine prochaine les concours d’entrée dans les IEP de province, et elle se prépare à disserter sur deux sujets inscrits au programme, l’idée de révolution, et l’idée de secret. Sur la première, je lui propose de lire cet article que  j’avais publié voici quinze ans dans une revue de Rhône-Alpes trop vitre disparue, intitulée  4810, et consacrée justement à « Révolutions ».

David, Le Serment du Jeu de paume

Si l’on devait composer un dictionnaire des grands mots grisants et magnétisants, Révolution y ferait une entrée de choix – entre Rêve, qui lui donne ses premières lettres, et par exemple Rien. 

« Rien », écrit Louis XVI dans son agenda à la page du 14 juillet 1789. Cette royale bévue fit sourire des générations d’écoliers ; elle n’en pose pas moins une question profonde. Qui décide du caractère révolutionnaire de telle journée, ou plus précisément : autour de quelle date le 14 juillet est-il devenu, connu de tous, le jour sacré où s’inaugure un cours nouveau pour notre nation ? Comment se déclare en rigueur un pareil commencement, pourquoi cette date et pas une autre au seuil de ce qui fut peut-être la seule révolution de notre Histoire ? Au demeurant, les révolutions se laissent-elles clairement énumérer, émergent-elles du flot des événements avec un tranchant indiscutable ? Ou sont-elles aussi malaisées à distinguer et compter que les chauves-souris sur une planche de Rorschach ?

« Il faut rêver », disait (paraît-il) Lénine, et cette injonction laisse elle-même quelque peu rêveur quant aux bases et aux suites de la Révolution d’octobre, l’autre grande rupture historique qui prit la forme de l’astre rouge vers lequel se tournèrent – et qui tourna – tant de têtes au cours du siècle vingt. Car les révolutions qui commencent par le rêve et marchent à l’idéal, ou à un héroïsme exalté, ont peu d’égard pour le principe de réalité. Face aux sempiternels faiseurs de compromis, la révolution brille du feu de la radicalité, et de la totalité : là où le réformiste, frère ennemi du révolutionnaire, pense et œuvre dans le détail, étape par étape, à petits pas, le révolutionnaire veut tout, par le chemin le plus court. Réformer est un verbe transitif, faire la révolution n’a pas d’objet s’il est vrai, selon le mot du psychanalyste, que « rien n’est tout ». Les assemblées de Jacobins, de Bolcheviques ou de Gardes rouges débordaient d’incantations lyriques pour mieux hâter ces « lendemains qui chantent » ; leur impatience enthousiaste opposait aux faits les déclamations de l’amour et de la haine, on y préférait le chant aux paroles et les paroles aux écrits, ou dans l’ordre des écrits les pamphlets et les dazibaos à l’examen froidement raisonné d’une situation historique. Cet emportement primaire a quelque chose d’irrésistible ; comment demeurer insensible à des choristes, jeunes par définition, qui vocifèrent à pleins poumons Du passé faisons table rase…?

L’illusion, le charme lyrique 

Cette injonction méconnaît pourtant les conditions élémentaires de la transmission, ainsi qu’une certaine inertie propre au vivre-ensemble ou au nouage du nous social, que nous aimerions éclairer de quelques concepts et d’exemples débattus ailleurs. Car la table sociale ne saurait être rase et nos relations actuelles, ici et maintenant, exigent un monde virtuel, elles se nourrissent d’un compost ou de tout un humus humain déposé par les générations passées, et la transcendance symbolique des morts ; en privilégiant une nouveauté radicale, le mot d’ordre révolutionnaire contredit les bases de notre condition anthropologique. Les Révolutionnaires, dès 89, eurent vivement conscience qu’on ne détruit bien que ce qu’on remplace, si l’on en juge par leur frénésie d’emprunts symboliques aux Romains et aux Athéniens, comme pour se réclamer d’une autorité plus haute et majestueuse que la royauté des Bourbons ; l’obsession de la filiation, de la transmission et du retour aux origines hante la geste révolutionnaire.

Demandons-nous, à partir de ces rappels, si le terme de révolution ne gagnerait pas à être réservé au domaine de nos relations techniques, qu’on distinguera soigneusement de nos engagements pragmatiques. Les premières relient le sujet à l’objet : relation descendante, manipulatrice et, en droit sinon en fait, transparente – le sujet maîtrise et connaît ses objets. Les relations du deuxième type, bien différentes, nouent les sujets aux sujets : relation davantage horizontale, et opaque à ses partenaires, donc moins manipulable (il faut moins faire que faire avec), et surtout relation tâtonnante et toujours à reprendre, car saturée d’affects et de secrets. Les amours succèdent aux amours et les deuils aux deuils sans progrès décelables au fil des générations, sans sauts qualitatifs décisifs dans nos façons de traiter ces passions lourdes. La jalousie, l’envie et les luttes autour des pouvoirs suscitent depuis la nuit des temps des scénarios dignes de Shakespeare ; en bref, l’histoire des hommes entre eux bégaye, ou patine lamentablement ; l’histoire des objets et de nos outils techniques en revanche montre de brillantes percées, et une progression jalonnée de points de non-retour.

Victor Hugo

L’idée d’innover ou de faire radicalement est née de la sphère technique, et son importation dans le domaine politique, affectif ou social relève d’une démesure ou d’une illusion typiquement technocratique – empiètement abusif du monde technique sur une sphère pragmatique  foncièrement « d’un autre ordre », comme aurait dit Pascal. Cette distinction, que nous croyons cruciale, permet-elle pour autant de se mettre d’accord sur la liste des sauts techniques qui firent notre anthropogenèse ? Citerons-nous comme indiscutablement « révolutionnaire » l’invention de l’écriture, ou du collier d’épaule pour atteler le cheval, ou de l’imprimerie, de la photographie, du chemin de fer, de l’électricité, de la bicyclette, de l’ordinateur, etc, etc. ? Petites causes techniques, grands effets civilisateurs : toutes eurent d’importantes conséquences sociétales ou pragmatiques, donc symboliques. Elles ont affecté en profondeur nos façons de voir, de savoir, de voyager (donc de percevoir l’espace et le temps), de désirer, de nous souvenir, en bref de penser. Il est incontestable, par exemple, que la philosophie des Lumières exigeait comme sa précondition l’invention de l’imprimerie, ou que la diffusion de la bicyclette ne fut pas étrangère à l’essor du féminisme en donnant aux femmes plus de mobilité (comme Proust le remarque avec perspicacité dans À l’ombre des jeunes filles en fleur) ; ou encore qu’on assiste de tous côtés aujourd’hui à l’émergence d’une civilisation et d’un homme numériques, distincts sur bien des points de l’homme gutenbergien issu depuis le XVe siècle de l’extension et la consolidation progressives d’une « graphosphère » en voie d’extinction. Trois remarques suggèrent cependant de suspendre ou de tempérer, sur chacun de ces cas, la qualification de révolutionnaire.

Hegel

On connaît mal les voies et les moyens par lesquels un nouvel outil bouleverse une « superstructure » symbolique, culturelle ou sociale. Le cas de l’imprimerie, particulièrement documenté par les études d’Elizabeth Eisenstein ou de Roger Chartier, montre que cette innovation n’a pas les mêmes effets selon différentes cultures : le déterminisme technique n’agit donc ni mécaniquement, ni ponctuellement ; on peut faire remonter les transformations de la lecture et des traitements du texte fort en amont de Gutenberg, à l’invention  du codex par exemple, ou à la pratique médiévale de la lecture silencieuse. Quant à l’imprimerie elle-même, soit stricto sensu l’invention du caractère mobile, elle supposait pour « prendre » quelques autres facteurs, notamment l’invention et la disposition préalables de grandes quantités de papier, mais aussi la demande d’un lectorat. Il est donc malaisé de baptiser « révolutionnaire » telle innovation en l’isolant de tout le milieu socio-technique qui autorise son développement. La condition technique est nécessaire, mais jamais suffisante ; on ne dira pas que l’outil A entraîne le phénomène culturel B, mais plutôt que sans A (l’écriture, l’imprimerie ou les technologies informatiques), on n’a aucune chance de développer B : une « raison graphique », une philosophie des Lumières ou l’individualisme post-moderne – pour ne mentionner qu’en passant de considérables exemples. 

La relation technique, autrement dit, n’est jamais pure, elle se donne enchâssée dans des usages ou routines pragmatiques qui la pilotent, et décident de son essor foudroyant ou de son pitoyable échec. Nos outils sont portés par une culture plus vaste, avec laquelle l’innovation ponctuelle doit entrer en résonance ou se montrer compatible ; ils ont besoin d’être adoptés, voire, comme le souligne Bruno Latour dans une étude consacrée à l’échec du projet de métro « Aramis » lancé par la R.A.T.P., d’être aimés. On exprimerait la même idée en remarquant que si le temps de l’innovation technique est toujours bondissant et jeune, celui des usages pragmatiques est nécessairement vieux ou visqueux. Ceux-ci freineront donc celle-là, et c’est ainsi qu’on voit régulièrement démentis les effets d’annonce vantant telle mirobolante transplantation ou implémentation technique – informatisation d’un service dans une entreprise, injection massive d’ordinateurs dans les lycées et collèges, rationalisation drastique d’une chaîne de production ou transfert technologique d’un hôpital moderne dans un pays du Sud, pour ne prendre ici encore que quelques exemples. Qu’arrive-t-il à ces machines ou à ces services ainsi parachutés ou livrés « clés en main » ? Les prévisions des experts, toujours à l’aise pour calculer les paramètres strictement techniques (rarement observables comme tels), achoppent régulièrement sur les forces de frottements et l’inertie imputables aux paramètres pragmatiques, également baptisés « facteur humain ».

Ceci conduit, troisièmement, à nuancer l’idée mélancoliquement développée par le diacre Frollo dans un chapitre entier de Notre-Dame de Paris, « Ceci tuera cela » – longue méditation sur le remplacement de l’Église, comme monument et peut-être à terme comme institution, par le livre imprimé, et du pape par le papier. Médiologue visionnaire, Victor Hugo corrèle vigoureusement l’innovation technique aux crises symboliques, culturelles ou sociales qu’elle précipite : dans le cas de l’imprimerie, rien de moins que le schisme protestant, qui ensanglante l’Europe et bouleverse sa géo-politique dès le siècle suivant. 

Or, ce schéma trop simple de la substitution se trouve aujourd’hui relayé par la vantardise publicitaire qui voudrait nous vendre comme également « révolutionnaires » la dernière mousse à raser, tel four micro-onde ou la Citroën dévalant la muraille de Chine. Cette rhétorique politico-marchande fut elle-même doublée par le discours emphatique des avant-gardes artistiques qui nous ont seriné au cours du vingtième siècle, à coups de manifestes et de transgressions présentées comme autant de points de non-retour, qu’elles avaient tout changé et que rien ne serait plus désormais comme avant. Les artistes promoteurs de cette « tradition du nouveau », particulièrement déplacée dans le champ de l’expérience et du jugement esthétiques, se réclament du modèle fascinant de la révolution politique ; ils ignorent du même coup, assez ironiquement, à quel point eux-mêmes obéissent par là aux injonctions de la performance technique qui remplace constamment ses outils, autant qu’aux diktats de la mode, de l’information et de la rotation accélérée des marchandises, quatre domaines où l’impératif de substitution règne en effet en maître. Ce schème ne peut donc satisfaire l’observation médiologique, qui lui préférera dans ses études de cas les modèles de l’hybridation, du métissage voire de l’effet-jogging : « ceci » ne tue jamais simplement ni entièrement « cela », le technique compose avec le pragmatique comme le nouveau s’arrange avec l’ancien, ou le recycle dans des usages marginaux, ludiques ou esthétiques. On ne sert plus de foin ni de seaux d’eau dans les stations-service mais le sport équestre survit sur d’autres chemins, en marge des routes ouvertes aux automobiles ; et les conducteurs qui ne marchent plus en semaine se mettent à courir le dimanche…

Tenons-nous avec ces remarques un discours sur le peu de révolution ? Il est certain que ce mot trop chargé de passions demande à être dégrossi, et soupesé dans ses usages. Selon quel grain, ou quelle grammaire, observons-nous les changements qualifiés de révolutionnaires ? On a le choix de mots plus neutres ou moins exaltants, évolution, tournant, crise, bouleversement, mutation, transformation… Nous avons proposé de circonscrire l’emploi de notre vocable à la sphère des relations scientifiques et techniques, ou d’indiscutables tournants radicaux s’observent ; technique désigne en effet ce qui s’ajoute à mon corps sous forme d’apprentissages, d’outils ou de logiques pour effectuer des performances qui ne sont ni naturelles, ni donc universelles dans l’espace et dans le temps. Que le bipède sans plume articule sa parole est commun à toute l’espèce, ce n’est donc pas une technique ; qu’il développe une écriture en revanche distingue diverses sociétés, et diverses époques. Ces innovations techniques sont donc autant de marqueurs historiques, au point que la mémoire de chacun y prend ses appuis : telle voiture, c’était le mariage de mes parents, ou bien le microsillon 45 tours sur le petit Teppaz, toute mon adolescence ! Nous appelons technique au fond ce qui, dans notre environnement, ne peut pas ne pas évoluer – en général dans le sens d’un progrès, plus rapide ou plus confortable, plus ergonomique, moins cher… « La » technique s’avère consubstantielle à notre expérience du temps, et à l’Histoire. 

Rue Gay-Lussac, 10 mai 1968

Dans les domaines pragmatiques en revanche, et notamment dans l’histoire politique, des secousses annonciatrices du Grand soir sont vite rattrapées et inscrites dans une évolution de long terme qui tend à lisser et banaliser les grands événements bruyants. Le soixante-huitard qui dépavait un soir de mai la rue Gay-Lussac était probablement persuadé, voyant monter sa barricade, qu’il « faisait la révolution » quand il hâtait le passage d’une république gaullienne corsetée d’archaïsmes aux régimes plus libéraux de Pompidou et de Giscard. « Rien de nouveau sous le soleil » ou « Plus ça change et plus c’est la même chose » : ces maximes désabusées expriment au premier chef l’inertie ou la longévité de nos relations pragmatiques ; et dans le domaine politique, ce constat que nos révolutions ne renversent qu’un pouvoir de surface, dont la disparition dénude et fait monter en ligne un pouvoir sous-jacent que le précédent nous cachait. En faisant « table rase » des ordres féodaux de l’Ancien Régime, la bourgeoisie a rendu explicites et bien visibles les servitudes du pouvoir économique et de l’argent – mais a-t-elle, en remplaçant une hiérarchie par une autre, œuvré à davantage d’égalité entre les hommes ? 

10 réponses à “Révolution entre Rêve et Rien”

  1. Avatar de Gérard Fai
    Gérard Fai

    Bonjour!

    Quel puissant billet! Écrire pour sa petite-fille et en même temps, peut-être, pour la France profonde…Ce n’est pas rien!

    Quelle révolution dans nos habitudes de pensée! Le professeur émérite randonneur s’y est risqué avec audace et beaucoup de talent.

    Qu’il en soit remercié!

    Peut-on vraiment lui répondre, donner une suite qui a du sens, fût- il dessous dessus, pour employer l’expression de ce cher François Dagognet, à la fin d’un chapitre sur le renfort par l’histoire des techniques? (Pour la petite histoire abracadabrantesque et bien réelle, icelui fut, par je ne sais quel enchevêtrement bizarroïde, mon élève buissonnier, un jour de chance, sans doute!) Répondre? On peut toujours essayer, ça ne mange pas de pain!

    Un numéro spécial intitulé « Révolutions » devait suivre le dernier numéro 60-61 de la revue « Médium » où la guidance s’allie au mors…

    Le directeur et sa secrétaire m’ont dit, céans, un jour d’été, entre bon-chrétien et la mimolette, que le projet ne verrait pas le jour…Difficile par les temps qui courent de trouver des contributeurs et pour Marthe de s’occuper de l’intendance.

    Nous ne sommes plus au temps « américain » du couple Sacco-Vanzetti et pourtant, la montagne est belle sur ses 4810 m, et misérable la vie de millions et de millions de gens qui attendent encore et encore le temps des cerises…

    On connaît la célèbre réplique du « Guépard », le film de Luchino Visconti :
    « Il faut que tout change pour que rien ne change » ou « Tout doit changer pour que rien ne change ».

    Alors que dire, qu’imaginer, que faire? Ce dont, on ne peut parler, il faut le taire, selon l’auteur du « Tractatus ».
    Mais on peut néanmoins le concevoir sans pour autant l’exprimer en termes clairs et précis.
    Il est une autre dimension que l’on appelle communément « Le facteur temps » dont par anagramme on apprend que « c’est l’âpre fumet ».
    « Et c’est le parfum », ajoute le physicien, qui se donne à ce jeu de l’être et de lettres.
    Alors relisons ce passage de « A l’ombre des jeunes filles en fleurs » :

    « Le temps dont nous disposons chaque jour est élastique ; les passions que nous ressentons le dilatent, celles que nous inspirons le rétrécissent, et l’habitude le remplit »

    Le temps et sa valeur d’instrument…Quelqu’un nous en a parlé, un jour, dans un projet destiné à Gavroche et à Marianne. A-t-il été entendu dans la clameur du temps qui passe et des foules sentimentales?
    Au début des années septante, un journaliste de télévision, écrivait « Le bonheur en plus » en dénonçant l’illusion idéologique et l’illusion technique.
    Et son public du petit écran et des Rotary-Clubs ne mouillait pas sa chemise pour approfondir « la question de la technique », selon Martin Heidegger.
    Pour ce penseur, cité aussi – rarement mais cité quand même dans la revue susmentionnée – la « technique » n’a jamais un sens étroitement technologique ; elle possède une signification métaphysique, en tant que type de rapport que l’homme moderne entretient avec le monde : en ce sens, elle est un mode de décèlement (dévoilement) de l’étant, un moment de la « vérité de l’être ».
    Ce penseur s’en est allé quelques semaines avant la publication de « Démocratie française » où dans sa conclusion, l’auteur élève ses regards et en appelle à une révolution ontologique.
    Où sont maintenant les thuriféraires et les sycophantes en capacité de glorifier ou de démolir cette abstraction prophétique?
    Faut-il donc faire table rase de tout ce qui dépasse un peu? Philippe…si vous lisez ces lignes, de grâce, répondez à la question!
    Les chantres de la médiologie ouvrent la voie… »Chassé par la porte, le méchant « nous » rentre par mille petites fenêtres dans le palais du moi »…Et dans leur thébaïde où coulent l’huile et le miel, on est toujours à table pour pérorer allègrement sur les incursions dans l’obscur et le maintien de nos lumières en état de veille. Oui mais, qu’est-ce que ça change? Un « je » riche reste un riche….et un « je » pauvre si tant est qu’il existât, ne va pas « faire la fête » à la Fondation des Treilles. Un peu plus d’égalité entre les hommes, c’est toujours pour demain!
    Et finalement, c’est Daniel Bougnoux en toute cette affaire de « nouages » qui met le nous dessus-dessous dans sa recension excellente de « La marque du sacré ». Nous reste à contempler au sens spinozien du verbe, une noue verdoyante où la beauté sera notre guide.
    Des petites maisons des villes à la petite maison dans la prairie, il n’y aurait qu’un pas, un pas de côté, peut-être…A franchir!

    Gérard Fai

    1. Avatar de Daniel Bougnoux

      Que de suggestions, de référence, de sous-entendus dans ce « commentaire » cher Gérard, dont l’érudition me confond !Je ne relève qu’un détail : Dagognet a été votre élève ? Et moi le sien, il était mon président de jury d’agrégation, puis nous l’avons souvent revu entre médiologues, et il nous témoignait chaque fois beaucoup de cordialité. Quant à la marque du sacré – le livre de JP Dupuy donc, je ne me rappelle du tout ce que j’ai pu en dire à l’époque, sinon que ce n’était pas un livre très réussi, son auteur (personnalité difficile) en a fait de bien meilleurs…

  2. Avatar de Cécile d’Eaubonne
    Cécile d’Eaubonne

    Cher Randonneur ! Voilà un texte qui comble mes attentes de réflexions à partager. ! Ouvert … Je peux m’y glisser pour poursuivre ma déambulation intellectuelle . Riche d’arguments circonstanciés, il me propulse plus loin que mon espace de confinée.

    Vraiment, un vrai cadeau que de nous embarquer dans votre réponse d’hier et d’aujourd’hui.

    Je reprends donc vos mots : “”Révolution : Rêve et … Rien “. Pour Gérard Fai, c’est un coup de fouet dans nos représentations mentales. Et je le souhaite à chacun qui en accepte le défi.
    Éclairer n’est pas convaincre et la lumière du lampadaire nous rend faussement confiant sur l’obscurité qui persiste aux alentours.

    Je puiserai dans l’un de mes souvenirs pour illustrer mon propos. Pas de références savantes relevées dans les documents universitaires ou … journalistiques.

    Imaginez plutôt ! Nous sommes à l’été 1971 et je suis en route pour un de ces voyages proposés dans le cadre d’échanges internationaux entre Jeunes. Direction : Pragues, Moscou, Bakou … 15 jours de déplacements en train, avion et autocar dont voici l’itinéraire.
    – Pragues au charme indéniable, avec quelques traces de la terrible répression d’août 1968. L’inquiétude semble sourdre encore. Nous serons témoins de l’irruption inattendue de policiers qui embarquent un homme jeune, croisé quelques secondes plus tôt.
    -Moscou en juillet 1971 est une ville triste. Nous sommes logés dans un immeuble collectif réservé à l’accueil de sportifs …
    – Zagorsk et la piété populaire des vieilles gens toujours fidèles à leur religion orthodoxe.
    – Bakou où l’accueil est prévu dans un centre de vacances pour jeunes de families communistes méritantes. Étonnement joyeux, les meilleurs moments du séjour dans un brassage avec des jeunes de tous les pays satellites de L’URSS.

    Mais la vie quotidienne ne semble pas facile pour le petit peuple. Logements collectifs à 2 où 3 familles avec cuisine, salle de bain en commun et une exiguïté souvent problématique.

    Je trouverai de menus plaisirs avec l’achat de la bimbeloterie d’objets peints. Mais le moscovite ordinaire peine à se nourrir. Les rayonnages alimentaires du Goum sont vides , devant des vendeuses qui bavardent.entre elles. L’aubaine du jour sera l’arrivage d’une carriole de choux vite repérée par une foule en attente.
    Contraste avec l’aisance de notre guide qui fera stopper l’autocar pour se rendre dans un de ces magasins réservés à l’élite communiste où l’on paie avec une monnaie spéciale. Interdits pour nous et n’importe qui …

    On comprendra que notre guide assure au mieux une propagande positive pour son pays. Mais en sacrifiant 15 jours de vacances, elle est privée de son fils de 3 ans, en pension chez sa mère. Son mari ingénieur travaille en Algérie à la nouvelle dynamique de cecpays.

    A Pragues, Moscou, Bakou … il nous est conseillé d’être discrets dans nos échanges. Les yeux du KGB sont partout et il est impératif de ne pas mettre en danger celui ou celle qui s’aviserait à s’épancher devquelques confidences. Pourtant, á l’heure du départ de l’aéroport, notre jolie guide moscovite glissera discrètement un papier à l’un de nous avec une demande de livres à lui envoyer En traduction française dont elle avait une maîtrise parfaite !

    A l’été 1983, je ferai connaissance avec une famille de Russes blancs. Si les enfants des émigrés de la révolution d’octobre sont devenus définitivement parisiens, la plus jeunes des filles qui avaient fui en 1917 est retournée vivre en Union Soviétique en 1958, à l’invitation de Staline.

    Dans les années 2000, je participerai aux colis alimentaires à lui envoyer, Ceci pour lui éviter une famine quand dans ses vieux jours, elle ne sera plus en capacité de donner quelques heures de cours de français contre un œuf, une pomme de terre ou quelques grammes de beurre.

    Révolution : Rêve ou … Rien.

    On rase toujours gratis ! Et, il n’y a de gain quebpour les bénis des nouveaux systèmes.
    Mais rêver dans les nuages fait tellement du bien …

    Bonne journée à qui passera sur le blog.

  3. Avatar de Gérard
    Gérard

    Que cela soit bien clair, je parle d’élève buissonnier et de circonstance heureuse!
    F. Dagognet s’est prêté de bonne grâce à un petit concours organisé par votre serviteur qui n’est pas professeur, mais reste néanmoins un écolier, quelque part un peu gitan.
    Il a bien répondu aux questions posées et, de ce fait, s’est vu récompenser d’un prix transporté à Paris, par le journaliste Pierre Bonte qui se trouvait, à quelques lieues de là, invité d’honneur, par mon entremise, d’un salon du livre.
    Pour ce qui est de votre recension du livre de J-P Dupuy, on peut la relire avec profit dans « Médium » 20 / 21, pages 448 à 454.
    J-P Dupuy est aussi l’auteur de « Ordres et désordres », une enquête sur un nouveau paradigme où les randonnées carnavalesques ont voix au chapitre.
    Bonne après-midi

    Gérard

  4. Avatar de LEON
    LEON

    En associant « rien » à « révolution », je remarque que « rien », c’est-à-dire l’équation X – X = 0, (en fait 5 – 5 = 0) a été une découverte en même temps qu’une invention potentiellement révolutionnaire faite par les babyloniens deux mille ans avant notre ère. Mais il a fallu attendre Léonardo Fibonacci (1170 – 1250) pour avoir l’idée de l’utiliser en tant que chiffre dans la numération décimale, une idée apparemment toute simple mais réellement révolutionnaire parce qu’elle permettait de simplifier considérablement la comptabilité avant d’être appliquée aux mesures, puis à des calculs scientifiques qui autrement auraient été impossibles. Sans cette invention, les Chinois, les Egyptiens, les Grecques et les Romains n’avaient été en mesure de les faire. Le remplacement des chiffres romains par des chiffres arabes dans les musées français suscite néanmoins des protestations … surtout en Italie.
    Or bien peu de personnes savent qui était Léonardo Fibonacci et ce que le développement des sciences et des techniques lui doit, alors que presque tout le monde sait le nom de Sigmund Freud Cf. Danièl Guedj https://www.france-examen.com/salle-des-profs-mathematiques-zero

  5. Avatar de MG
    MG

    Bonjour!

    J’apprécie beaucoup le commentaire de Madame d’Eaubonne, qui sort des sentiers battus pour nous parler d’une expérience personnelle enrichissant le propos discuté. Point de références savantes ni grande érudition affichées. Juste un témoignage.

    Dans sa Chronique, Mme d’Eaubonne nous instruit sur la misère du monde rencontrée lors de ses pérégrinations et sur la faiblesse des sociétés à faire avancer plus de justice et de bien-être au cœur du peuple. Il y a des gens qui ont de l’argent pour faire les grands voyageurs et c’est tant mieux! De retour dans leurs foyers, d’aucuns se plaisent à se donner bonne conscience en parrainant une petite malheureuse ou à envoyer un colis aux personnes qui doivent faire des pieds et des mains pour se payer le moindre bout de pain. Encore une fois, c’est très bien!

    Cependant, il faudrait aussi regarder devant sa porte et voir ce qu’il en est dans son propre pays, de la misère à l’intérieur des terres.

    Pourquoi tant de haine et de ressentiment quand on demande aux gens d’appeler un chat un chat? Il y a des millions de français qui doivent survivre à l’heure où j’écris ces lignes, avec moins de 1000 euros par mois. Chez ces gens-là, Madame, on ne va pas au diable vauvert découvrir le monde accompagné d’une belle Nathalie pour aller boire un chocolat au café « Poutine ». On ne dit rien et puis l’on vote!

    Leur choix démocratique fait scandale chez les petits-bourgeois politiquement corrects, alors qu’ils ne cassent rien. Ils s’expriment en toute légitimité et c’est tout!

    Tableau certes brossé hâtivement sans la moindre nuance. En ce monde submergé d’images, comment exhorter le sens de l’effort personnel pour essayer de s’en sortir, au delà des querelles partisanes? Telle est bien la question.

    Madame d’Eaubonne a choisi la meilleure part qui ne lui sera point enlevée. Celle, bien sûr, d’écouter avec ferveur la parole de son Seigneur randonneur, Monsieur Daniel Bougnoux.

    La pénultième phrase de son dernier commentaire est d’une rare beauté :

    « Mais rêver dans les nuages fait tellement du bien … »

    Il ne s’agit certes pas de « planer sur son petit nuage » mais de comprendre.

    Gaston Bachelard – encore lui, et ça va plaire à notre moine, écolier gitan! – dans « L’air et les songes » a fait tout un chapitre sur les nuages avec cette citation mise en exergue :

    « Jeu des nuages — jeu de la nature, essentiellement poétique… » (Novalis, Fragments, éd. Stock, p. 132.)

    A tous, une bien belle et bonne journée ensoleillée et…nuvoloso!

    M G

  6. Avatar de Kalmia
    Kalmia

    Bonjour!

    Le commentaire de Monsieur Léon est extra.

    Il m’a fait retrouver « Les nombres et leurs mystères » d’André Warusfel, professeur de mathématiques spéciales, qui fait justement référence à Léonard de Pise entre la revanche de la géométrie et le paradoxe de Lewis Carroll.

    On y parle de lapins, bien sûr, comme dans ces vidéos qui pullulent sur Internet, censées nous éclairer sur la célèbre suite du mathématicien.

    (Gaston Bachelard qui parle du « nombre du temps » ne le mentionne pas mais cite un autre mathématicien, Jacques Bernouilli, dans « L’activité rationaliste de la physique contemporaine » au chapitre du rationalisme de l’énergie.)

    Pérorer à l’envi sur le nombre d’or et la suite de Fibonacci dans les vidéos qui circulent un peu partout…Pourquoi pas? Et le lien que nous propose Monsieur Léon est intéressant, bien sur!

    C’est bien joli de faire le grand savant et briller en société avec des chiffres à vous faire perdre la tête sur un tableau derrière un fringant jeune homme qui, micro en main, vous explique tout A+B sur la suite du père lapin, chanté par Sonia Grimm.

    Oui mais…On aimerait bien que tous ces instruits quittent leurs souliers fins pour chausser des bottes sans oublier leurs bésicles et venir dans nos campagnes constater la disparition des lapins dans nos champs et prés. Avec toutes leurs connaissances mathématiques prouvées sur le tableau, qu’ils nous disent comment faire pour retrouver nos lapins de garenne et les faire se reproduire!

    S’ils n’en sont pas capables, on dira à juste titre que ces gens-là sont bons à rien.

    Rien. Ah, le joli mot! Cher Monsieur Léon, je ne puis m’empêcher de penser au degré zéro de l’écriture de Roland Barthes, où je lis :

    « Ce rien, cependant, il faut le dire. Comment dire : rien? On se trouve ici devant un grand paradoxe d’écriture : rien ne peut se dire que rien (…)

    Le rien ne peut être pris dans le discours que de biais, en écharpe, par une sorte d’allusion déceptive… »

    Par anagramme il ne sait que « nier ». Et si c’était une philosophie qui ne conduit pas , en face de la nature, à un négativisme?

    Une réponse sinon rien.

    Merci encore Monsieur Léon de nous replonger, par quelque détour, avec bénévolence, dans « notre enfance au temps du lapin agile » et… au jardin d’Alice.

    Bonne journée à tous

    Kalmia

  7. Avatar de LEON
    LEON

    Bonjour,

    Merci Kalmia pour la « bénévolence » . J’ignorais chez moi son existence, comme aussi dans le vocabulaire, faute de l’avoir remarquée quand il y a très longtemps j’ai lu « Zazie dans le métro » https://www.cnrtl.fr/lexicographie/bénévolence
    Avec « doukipudonktan » (orthographe originelle non garantie) me voilà par l’inoubliable bénévolence enrichi sur le plan lexical !
    https://fresques.ina.fr/en-scenes/fiche-media/Scenes00235/raymond-devos-parler-pour-ne-rien-dire.
    D’autant que « ce dont on ne peut parler, il faut le taire » … Pour qu’on puisse en faire des montagnes ! Cf. lewebpedagogique.com/charlierenard/2017/03/31/ce-dont-on-ne-peut-parler-il-faut-le-taire

  8. Avatar de Cécile d’Eaubonne
    Cécile d’Eaubonne

    Oh ! Las … las … Pas de ferveur à l’horizon, monsieur MG. Celle-ci est inutile pour rester dans un essai de débat. Un débat, vraiment ?

    De fait, chacun se voit écrire. Sans trop d’effort pour faire place à d’autres raisonnements que les siens. Mais ce n’est déjà pas nul de tenter de formuler une pensée quelque peu personnelle, me direz-vous.

    Il y a méprise de votre part, monsieur MG de penser que notre voyage en URSS en 1971 se faisait les poches pleines de sous. Voyage « de jeunes pour des jeunes » comme il s’en proposait, dans ces années, dans le cadre des organisations syndicales de jeunes travailleurs. Ah ! Oui … dernière anecdote : l’épisode de viande faisandée ( avariée, sous le soleil de plomb de Bakou en Azebaïdjan ) nous aura fait connaître une hospitalisation musclée. Heureusement de courte durēe. C’était l’ėté du retour du choléra. La dernière étape à Prague fut un enchantement pour nous. Pas pour eux, les Praguois qui devaient renoncer à toute liberté sous la botte russe. L’épilogue de ce rėcit de voyage vous aura échappé. Dommage !

    Je me suis demandée quel était le sens d’écrire sur un blog qui randonne en rond.

    Un voyage … Oui, toujours un aperçu de la vie « ailleurs ». Et ça demande de se laisser entraîner loin de ses habitudes. Et c’est plus simple avec le nez dans un livre!

  9. Avatar de Cécile d’Eaubonne
    Cécile d’Eaubonne

    Humour sur le sens de « bénévolence » ? Et tant mieux … il est savoureux de l’oser. Mais qui parlent ? M, m, MG, Kalmia , Gérard. De quelques provinces lointaines, au milieu de belles ruminantes et de taupes indiscrètes …

    Avec le secours de bons écrivains, trop oubliés.

    Ici, plus d’avions et encore trop peu d’oiseaux. Qu’attendre ?

    Pendant ce temps, Elisa et Gaspard serrent les dents et le temps, comme des sportifs de haut niveau. C’est qu’il leur en faut du courage, de la ténacité et une sorte d’audace. Eh .. oui, pas le temps de conter fleurettes aux champs.

    Allez … je vous applaudis. Et pas question de baisser le moral !

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À propos de ce blog

  • Ce blog pour y consigner mes impressions de lecteur, de spectateur et de « citoyen concerné ». Souvent ému par des œuvres ou des auteurs qui passent inaperçus, ou que j’aurai plaisir à défendre ; assez souvent aussi indigné par le bruit médiatique entretenu autour d’œuvres médiocres, ou de baudruches que je…

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À propos de l’auteur

  • Daniel Bougnoux, professeur émérite à l’Université Stendhal de Grenoble, est ancien élève de l’ENS et agrégé de philosophie. Il a enseigné la littérature, puis les sciences de la communication, disciplines dans lesquelles il a publié une douzaine d’ouvrages.

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