Pardon pour le long sommeil du Randonneur, j’étais quinze jours en Italie, avec une équipe d’amis cyclistes, et peu d’internet…
Et de retour aux questions courantes, je tombe ce matin samedi sur Répliques, à France culture, où Alain Finkielkraut questionne (en solo) Régis Debray sur son dernier livre au titre attirant, Où de vivants piliers, qui ouvre une collection de Gallimard destinée, si j’ai bien entendu, à traiter des auteurs qui ont compté pour l’auteur… Régis doit me l’envoyer mais je ne l’ai pas encore reçu. J’entends avec plaisir les deux compères se retrouver sur Mauriac, sur Daniel Cordier, sur Roland Barthes, et s’interroger plus longuement sur le développement du mot de Gide ; non seulement, argumente Régis, « on ne fait pas de bonne littérature avec de bons sentiments », mais il faut définitivement renoncer au « kalos-kagathos » grec : le beau n’a rien à voir avec le bien, la morale et la qualité esthétique d’une œuvre ne s’épaulent pas. Quelle que soit notre envie, assez spontanée, de voir converger ces valeurs, l’art ou la littérature les délient assez souvent, et dans le cas de Paul Morand ou de Céline par exemple, un auteur peut penser bassement, ou comme une crapule sur le plan moral et politique, tout en écrivant de superbes livres. Cette observation, reconnaissons-le, heurte de plein fouet notre moralisme et peut donc déplaire, mais il faut néanmoins soutenir que le Bien, en matière d’art, n’est ni une garantie ni un adjuvant de la réussite esthétique.
Ce qui, s’empressent de préciser nos deux complices, ne veut pas dire qu’il suffit d’être un salaud pour mieux écrire !
Je reviendrai bientôt sur ce livre qui me semble stimulant de Régis, dès que je l’aurai lu. Dans le feu de cette discussion malheureusement, j’ai été choqué d’entendre Régis ajouter, pour glisser des auteurs de livres aux réalisateurs de films, « par exemple on ne confierait pas sa fille à Woody Allen »… (Sous-entendu, par ailleurs grand cinéaste). Et voilà repartie l’accusation d’inceste ou de child abuse, dans la bouche autorisée d’un homme et sur le plateau d’une émission écoutée par plusieurs centaines de milliers d’auditeurs !
Alain Finkielkraut a eu la présence d’esprit de corriger aussitôt son invité, non la justice a deux fois blanchi Woody (en fait deux commissions successives d’enquête, qui ont l’une et l’autre conclu qu’il n’y avait simplement « pas de cas »). Pourquoi relever ici ce minuscule dérapage ? Parce que la parole de Régis est pour moi de celles qui comptent, et que dans le cas de Woody Allen je lui avais envoyé mon livre Génération Woody, qui réfute toute l’accusation en reprenant un peu en détail ce très noir « dossier ». Or Régis m’a dit l’avoir lu, l’avoir apprécié ; à quoi cela sert-il si à la première occasion ou par étourderie, l’opinion basse ou calomnieuse d’elle-même fuite, pfuitt ? Comment un esprit aussi averti que celui de notre ami peut-il si facilement propager le mensonge ? Mia Farrow a décidément de la chance, de trouver des alliés si haut placés !
Comment endiguer la calomnie, pourquoi la bonne information ne terrasse-t-elle pas une fois pour toutes la mauvaise ? D’où les fake news tirent-elles leur persistant pouvoir ? Je croyais avoir au moins vacciné mes lecteurs contre ce type de croyance, et le plus illustre d’entre eux m’assène le contraire, à rien ne sert d’argumenter, de rappeler les témoignages des principaux intéressés, d’en faire un livre, le cliché a pris racine, la cause est close et définitivement entendue, Woody Allen « par ailleurs grand cinéaste » est aussi un abuseur d’enfants… Et mérite donc notre mépris.
Je me suis entretenu -de ce sujet avec Thierry Frémaux en mars dernier, quand il m’a invité à une soirée de défense et illustration de Woody Allen à l’Institut Lumière de Lyon. Là aussi il a fallu commencer par remonter le courant, et rassurer le public en blanchissant d’abord Woody de ces sordides accusations, avant de parler de son art. Mais Thierry, qui le connaît bien, était de son côté catégorique : jamais la campagne déchaînée par Mia Farrow n’a eu le moindre commencement de preuve, ni même de vraisemblance. On entre dans son jeu en prenant le temps de la réfuter, cela ne se discute même pas ! (Ou plutôt, le temps pris pour la discuter lui reconnaît déjà un minimum de crédibilité, argumenter contre certains adversaires est leur faire trop d’honneur, quel piège !…)
Pour ce qui est de Répliques de ce samedi 20 mai, le mal est fait, on ne reviendra pas en arrière et aucune gomme n’effacera la phrase malheureuse de Régis. Oui la calomnie est un piège, une redoutable glue – mais garder contre elle le silence ne suffit pas, comment s’en débarrasser ?
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