Tassinari répond à Darras

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Je ne sais comment Jacques Darras lira ou méditera ce qui suit, mais Lamberto Tassinari , auquel ses adversaires reprochent sur ce blog sa « confusion », a tenu assez précisément (donc un peu longuement) à lui répondre. De quel côté sont, dans ce débat, l’esprit critique et l’ouverture à la recherche ? On connaîtra mieux Florio (et « Shakespeare ») en parcourant cette scrupuleuse mise au point.

LT : Cher Jacques Darras,

C’est l’Italien en question qui vous parle. Vous vous efforcez visiblement de faire de l’esprit mais vous n’êtes ni amusant ni convaincant. On me dit que vous êtes meilleur à l’oral mais je ne dispose que de ces trois interventions écrites… pendant que vous, vous jugez sans avoir lu mon livre. Voici mes notes en marge de vos commentaires à Daniel Bougnoux.

JD :  « Écoute, Daniel. J’aime bien Borgès, mais lorsqu’il dit que l’anglais est la langue de l’understatement, il dit une connerie manifeste. L’anglais élisabéthain est la langue la plus fleurie, la plus BAROQUE qui soit. C’est cela que vous ne comprenez pas, vous les Français classiques, bon dieu, c’est LE BAROQUE. Les dilatations et contractions du BAROQUE. Il vous faut retourner à l’école, mes chers petits copains, moi la mienne est à Bruxelles, c’est là que j’ai fait respirer le BAROQUE à ma langue classique. Comprends-tu ? »

LT : Avec le Shakespeare de Stratford, la passion, la presque obsession du Barde pour les Things Italian  s’insère dans un courant italophile, une mode dont l’apparition en Angleterre précède  l’arrivée du  jeune provincial à Londres, dit-on, vers la fin des années 1580. Son biographe écrit : “Shakespeare’s introduction to the capital falls, frustratingly, in the void of the lost years” (Schoenbaum). Or les premières comédies écrites en Angleterre étaient inspirées de Plaute et de Terence, le premier théâtre public a ouvert ses portes seulement en 1576 et les premières pièces italianisantes datent du début des années 1580 quand le Shakespeare de Stratford vivait encore dans son village. Si par contre Shake-speare est le pseudonyme de John Florio, alors le Barde n’est plus un épigone mais bien l’initiateur et le plus grand instigateur de la courte renaissance anglaise. Si j’ai raison, Borges ne s’est pas trompé, au contraire. Dans un texte impromptu, qui n’est pas un essai de critique littéraire,  le grand aveugle a saisi l’essence du phénomène Shakespeare : Juif ou Italien.  Le père de John Florio étant le fils de Juifs convertis au catholicisme, Shakespeare serait donc Juif-Italien !

La langue la plus fleurie,l’anglais élisabéthain n’est pas, comme vous l’écrivez, la langue la plus  BAROQUE qui soit. Elle est certes fleurie, cette toute nouvelle langue. Oui, mais qui a été, nomen est omen, le protagoniste d’une telle floraison ?  Florio, le linguiste éblouissant, l’euphuiste en chef qui, avec ses First Fruites de 1578  et puis avec son travail de lexicographe, de traducteur et de dramaturge sous le nom de plume  Shake-speare, a été « l’apôtre de la Renaissance en Angleterre à l’époque de Shakespeare ». Ses activités faisaient partie de la même, riche et éloquente mission de  promotion et de défense de la langue anglaise.  Florio a créé un grand nombre de mots en anglais, 1149 pour être précis, ce qui le situe en deuxième place après… Shakespeare ! Ben Jonson, en écrivant à propos du Barde en 1623 « to shake a lance/As brandish’d at the eyes of Ignorance»,  pensait à son ami Florio et non pas à l’obscur impresario de théâtre. John a agité sa plume de 1578 jusqu’à 1625, année où il meurt pauvre et oublié par la Couronne. Il a promu et enseigné les langues et cultures européennes dans des cours universitaires à Oxford, comme précepteur auprès des grandes familles de l’aristocratie anglaise et à la cour, lors de conférences et discussions dans les résidences des riches et puissants de son époque, finalement en écrivant des pièces avec le pseudonyme shake-speare. Regardez sa traduction de Montaigne qu’il a fleuri en transformant le philosophe français en un Anglais baroque. Shakespeare est le premier et le plus baroque de tous, car son « estilo culto », son  high style, vient d’Espagne et d’Italie, du Sud de l’Europe, comprenez-vous ? Florio a traduit, comme vous savez, une partie du Libro aureo d’ Antonio De Guevara et utilisé les Hore di ricreatione de Lodovico Guicciardini sans parler des dizaines et dizaines de livres fleuris qu’il a lus en quatre ou cinq langues. La feast of language de Shakespeare est sa fête !

La renaissance baroque en Angleterre s’estompe avec John Ford vers 1630 et les Puritains ferment les théâtres en 1642. Borges n’a pas vraiment tort.

JD : « Cela dit, tu ne dis pas grand-chose sur la thèse de l’Italien en question, et n’imagines pas une seconde que pour un Italien Shakespeare ne puisse être qu’Italien. À quand un Shakespeare indien, pakistanais, helvète, etc. ? »

LT : À vrai dire, le mien est un théorème. Un théorème démontrable avec un crayon et une feuille de papier mais comme la résistance est farouche, intéressée, religieusement obtuse, un livre et une campagne de promotion sont nécessaires.

Vous dites : « indien, pakistanais, helvète… ». Allez, Darras… cela n’est vraiment pas  digne de votre culture et de votre intelligence. Que Shakespeare soit, non pas Italien mais originaire de l’Italie, plus précisément Juif-Italien, n’est pas si surprenant, si improbable. Harry Levin a écrit : « Yet in so far as Shakespeare’s creative world had a centre, Italy and the Italians were very near it. » Dans les œuvres  de Shakespeare, il y a plus de 800 références directes ou indirectes à l’Italie. Mais Stratford-upon-Avon n’est jamais nommé.  Passer de cette centralité de l’Italie à l’italianité tout court, ce n’est pas franchir un océan. L’Angleterre du 16e siècle était un pays presque « barbare », culturellement et économiquement arriéré comparé à la France, à l’Espagne et aux grandes villes italiennes, allemandes ou flamandes. Toute la culture qu’allait enrichir sa tardive renaissance lui venait des traductions de livres grecs et latins mais surtout  italiens, français, espagnols :

Virtually everything written in the Middle Ages in English can be regarded, one way or another, as a translation (The Oxford History of Literary Translation in English. Lisez aussi Translation : An Elizabethan Art de Felix Otto Matthiessen, 1931).

Le Moyen Âge comprend ici une période allant jusqu’à la moitié du 16e siècle.

Dire que Shakespeare était « italien » c’est comme, aujourd’hui, dire que  Steve Jobs était  californien. D’où aurait pu nous venir la révolution informatique ? Pas du Pakistan.  Shakespeare, c’est vrai, aurait pu être Français ou Espagnol et d’une certaine façon il l’était, car Florio/Shakespeare est authentiquement transculturel, le premier grand écrivain moderne dont l’universalité soit concrètement ancrée dans les langues et cultures de l’Europe renaissante.

JD : « Par pitié par pitié ! Tu devrais écrire (c’est déjà fait) un roman policier, un thriller sur la question. Allez, mon amitié quand-même, cher Sherlock, j’ai dit Sherlock pas Shylock (autrement dit « serrure timide ») – Jacobus »

LT : … oui, par pitié !

* * *

JD : « Daniel, c’est déjà beaucoup que tu reconnaisses quelques vérités sur le baroque élisabéthain ».

LT : On vient de voir l’histoire du baroque.

JD : « Quant au reste, ton coup de foudre pour l’Italien me décontenance. Une fréquentation de trente ans de toutes les pièces, certaines vues au Royal Shakespeare jusqu’à six, sept fois, m’assure par évidence littéraire interne de la « patte » irréfutable d’un même auteur génial et génialement idiomatique, un maître de l’anglais vécu et su de l’intérieur, sans rien à voir avec l’Université (Marlow, par exemple), une langue de la rue, des écuries, du port etc., maîtrisée par la saisie poétique, bref la grâce quoi ! »

LT : Darras, vous n’avez pas lu mon livre ni les écrits signés Florio, vous ne connaissez pas la qualité de son anglais. De toute évidence, vous n’avez même pas parcouru son dictionnaire. Commencez par lire l’introduction de Hermann Haller à l’édition critique du dictionnaire publié par Florio en 1598, A Worlde of Wordes  (titre pas mal shakespearien, vous ne trouvez pas ?). 1598 est aussi l’année où pour la première fois le nom pseudonyme du dramaturge apparaît. Les éditions in quarto de deux pièces, Love’s Labour’s Lost et Richard II, sont publiées avec, respectivement, les noms  W. Shakespere et William Shake-speare en couverture. Mais voici comment Haller définit le Worlde of Wordes :

(…) is inclusive rather than exclusive, plurilingual rather than monolingual, providing a broad range of expressions related to the material, sensory world, through expressive and picturesque language. Words like potta or fica (a woman privie parts, a cunt, a quaint) (…)  metaphors such as Donna che manda il marito in Cornovaglia senza barca  or Donna che fa le fusa storte (shee that makes her husband cuckold). Etc. etc.

Voici également ce que des spécialistes ont dit de l’anglais de Florio.

Frances Yates (1934)

The wealth of english words which Florio had at his command is phenomenal (. . .)  Florio consciously experimented with English, grafting in to ist words, phrases, even grammatical constructions, which he thought it [English] could digest. He was the first to use the genitive neuter pronoun “its”. (p. 226)

[Note that the Florian invention “its” is quite frequently used in Shakespeare’s plays, much more than the commoner “his”]

It has often been noticed how clever Florio is at finding English equivalents for allusions which would not be familiar to English readers (. . . .)  the astonishing skill with which he “anglicizes” Montaigne’s detail (p. 236).

Felix Otto Matthiessen (1931)

Florio’s greatest gift was the ability to make his book come to life for the Elizabethan imagination. (…) Florio creates a Montaigne who is an actual Elizabethan figure. (p. 141)

André Koszul (1931)

Florio was essentially an importer and a bold innovator, often bold to the point of temerity. Much more than to the family of “purists,” he belongs to that great tribe of Renaissance men who in every country thought, as our Ronsard did, that “Plus nous aurons de mots en nostre langue, plus elle sera parfaitte” (p. 520).

Manfred Pfister (2005)

Translators, if they work on a certain level, translate from a foreign language into their own. With Florio, the reverse is true – or, rather, the rule does not apply, as with him the difference between own and foreign language becomes uncertain or collapses altogether. This is a measure of his linguistic and cultural in-betweenness […] it is also quite impossible to decide from which of the two languages he translated into the other […] which is the original and which the translation. ( p. 48)

Lisez le Montaigne de Florio et jugez vous-même de sa qualité, mais sachez que pour T.S. Eliot cette traduction était un classique des lettres anglaises.

JD : « … (on y croit ou pas, bien sûr), contre quoi le rationnel biographique n’a aucune prise, tu le sais bien toi-même pour Aragon dont quelques poèmes sont tellement mieux réussis que d’autres. C’est d’ailleurs pourquoi je m’en vais revoir Lear à Londres dans quelques jours. Pour me replonger dans cette langue cursive jusqu’à la sténographie. Le poème, quoi. Ah! ces brusques changements de vitesse ! Ces virages-dérapages contrôlés, au millimètre près ! Tiens, pour te faire plaisir, une vraie Maserati Shakespeare, made in Britain bien sûr ! – Allez ciao ! »

LT : Laissez tomber les nations, le made in Italy, les Ferrari, les Maserati, ce n’est pas mon terrain, Darras ! Giovanni Florio et son père Michel Angelo comme je le dis dans mon livre, n’ont pas de patrie. Et moi non plus :

A passion for language (for both la langue, the implicit rules structuring a given language, and la parole, the idiosyncratic utterances of individuals using it) is the fundamental trait uniting the Florios and Shakespeare. Michel Angelo and John Florio inhabit writing, and in the case of John especially, the English tongue. Language is their sole true territory. Neither England nor Italy is really their patria.

* * *

JD : « Cher Daniel, Oui bien sûr (…). Le Lear que nous avons vu au National Theatre (Simon Beales) était infect, indigent quant à la mise en scène et quant à l’anglais, pâteusement mâchouillé + désaccentué, qui est un tic actuel. Espérons que Henry IV I et II où nous allons, à Stratford le 4/5 juillet sera meilleur.

Florio, traducteur de Montaigne entre autres, est assurément un humaniste de première volée. Il semble, selon les bons critiques, avoir eu quelque rôle dans l’édition du Folio Shakespeare ».

LT : « Quelque rôle » dans l’editing du First Folio, vous dites ? Florio n’a fait que réviser son œuvre à la toute fin de sa vie, après avoir été impliqué à 100 % dans l’affaire shakespearienne depuis le début : il y a des traces de son lexique et de son style dans Venus and Adonis et The Rape of Lucrece. Le rédacteur d’un chapitre de l’Encyclopedia Britannica de 1902 s’en était aperçu :

Florio and Shakespeare were both, moreover, intimate personal friends of the young earl of Southampton, who, in harmony with his generous character and strong literary tastes, was the munificent patron of each. Shakespeare, it will be remembered, dedicated his ‘Venus and Adonis’ and his ‘Lucrece’ to this young nobleman; and three years later, in 1598, Florio dedicated the first edition of his Italian dictionary to the earl in terms that almost recall Shakespeare’s words. Shakespeare had said in addressing the earl, « What I have done is yours, what I have to do is yours, being part in all I have devoted yours. »

Et voici les mots de Florio:

« … to your bounteous Lordship, most noble, most vertuous, and most Honorable Earle of Southampton, in whose paie and patronage I have lived some yeeres to whom I owe and vowe the yeeres that I have to live. »

C’est Florio qui a été chargé par Lord Cecil de l’éducation de Southampton, le fair child des sonnets que vous avez traduits, et le jeune noble a été ensuite l’employeur et le protecteur de Florio. Aucun rapport, par contre, n’a été trouvé entre “Shakespeare” et le comte.

JD : « Mais ce qui manque vitalement à la piste Florio c’est, élémentaire mon cher Watson, le théâtre, le sens du théâtre, la présence du théâtre, les indications scéniques, didascalies etc., nous faisant sentir la sueur de la sciure – le cheval de cirque quoi !

À un de ces jours! »

LT : Non, la piste Florio est pleine de sens, de coïncidences shakespeariennes, d’indices, de preuves, rien ne lui manque, car tous les chemins shakespeariens, tous, mènent à Florio.

Le théâtre, dites-vous ? Ah ! le sens du théâtre ! Le théâtre, il ne faut pas l’oublier, venait de naître en Angleterre. Or personne, comme le dit si bien Giordano Bruno, ne connaissait les comédies avant l’apparition des comédies. John Florio a été presque seize ans secrétaire personnel, confident, ami de la reine Anne : c’est lui qui a organisé tous ses masques (théâtre), qui lui a choisi les musiciens, qui a introduit Samuel Daniel et Ben Jonson à la cour. L’ « Italien » avait le sens du théâtre ! Dans sa bibliothèque de plus de six-cents volumes (italiens, français, espagnols, latins et anglais), il y avait 42 livres de et sur le théâtre italien, pratiquement tout le théâtre du Cinquecento, très présent (même si peu et mal étudié) chez Shakespeare. Le très orthodoxe Stephen Greenblatt arrive à écrire (je cite encore mon livre) :

‘Born in London, the son of Protestant refugees from Italy, Florio had already published several language manuals, along with a compendium of six thousand Italian proverbs; he would go on to produce an important Italian-English dictionary and a vigorous translation, much used by Shakespeare, of Montaigne’s ‘Essays’. Florio became a friend of Ben Jonson, and there is evidence that already in the early 1590s he was a man highly familiar with the theater.’

The unconscious fascination of the abyss lures Greenblatt toward the place of danger. But he halts at the brink, and manages to avoid referring to Florio again for the rest of the book.

* * *

JD : « Mais, mon vieux Daniel, la froideur du raisonnement s’impose d’abord à toi et tes sbires ! Ben Jonson atteste l’existence dudit Shakespeare, justement, parce qu’il le fait exister dans son mépris même ».

LT : Ben Jonson était l’ami et l’admirateur de Florio. Il lui a dédicacé une copie de son Volpone avec ces mots :

To his loving Father and worthy Friend Master John Florio. Ayde of his  Muses. Ben Jonson seales this testimony of Friendship and Love

Ben ne méprise pas Shakespeare, il nous livre seulement un étrange témoignage. Jonson ne semble pas avoir eu des relations avec le dénommé Shackspeare (sic dans son testament) pendant la vie de ce dernier. Ce n’est qu’en 1623 qu’il a fait son ambigu éloge au Cygne de l’Avon : « William Shakespeare », c’est sa créature. Le Folio, edited par Jonson, fut commandité et payé par la famille Pembroke, en particulier par William Herbert  qui, deux ans plus tard, sera un des exécuteurs  du testament de John Florio, lequel lui confia sa bibliothèque de 342 livres italiens, français et espagnols. Les livres anglais iront a sa femme Rose. L’entière bibliothèque de Florio est aujourd’hui disparue, hormis deux livres.

JD : « Lui, l’universitaire: le pauvre Shakespeare, n’est-ce pas, ne savait pas de grec, tout juste un peu de latin. La belle affaire ! »

LT : Le pauvre Shakespeare, c’est-à-dire l’auteur des œuvres  signées, quand elles étaient signées, a lu des centaines, des milliers de livres.

JD : « Rebotier non plus ne connaît pas le grec, figure-toi, quant à Novarina, le sait-il seulement ? »

LT : Ce n’est pas une question de grec et de latin, le fait est  que ce grand dramaturge du 17e,  pas du 21e  siècle n’a pas d’éducation, ni de voyages, ni de connaissances linguistiques, etc.  Il lui manque vraiment trop, il lui manque tout. La dette de ce simulacre d’auteur envers John Florio est trop grande et le débiteur finit capitalistiquement par appartenir au créditeur.

JD : « Vous êtes vraiment impayables, vous de la Haute Normalité ! Je viens de citer deux auteurs contemporains doués pour le théâtre et pas véritablement issus de l’Université. Ton ami Régis chaque fois qu’il vient avec sa sapience à France-Culture parle naturellement le grec mais toute sa « jourdainerie » ne nous avance pas  d’un iota sur la scène du monde. Et Molière, cher Daniel, Molière qui n’avait ni grec ni latin, lui, exista-t-il ? En quoi cela l’entrava-t-il ? Pourquoi n’as-tu pas encore rejoint la croisade Corneille ? C’est pour ensuite ? Vois-tu, tu crois bien faire en défendant les humanités dans l’enseignement français contemporain (ma fille est Doyenne à Rouen, grec et latin sa spécialité) mais tu confonds les bienfaits d’un tel enseignement pour la langue française, en bon conservateur que tu es, dans la droite ligne de Péguy (tiens, lis ‘L’Argent’ à ce propos) avec l’écriture en acte et en action. Pour revenir in fine à Jonson, il dit que notre ami William s’était « paré des plumes du geai » ou je cite de tête quelque chose comme ça. Jalousie d’un esprit supérieur, assurément, donc mépris pour ce grossier farceur/farcisseur « novarinesque » du Globe ».

LT : Pourquoi ne lisez-vous pas mon livre ? Tôt ou tard, il faudra que vous le lisiez. Florio… c’est la bonne piste, la plus logique, la plus simple, la seule vraie. Après, vous interpréterez  ses pièces bien différemment, vous verrez son œuvre sous une lumière nouvelle, jusqu’au bout.

JD : « Mais le disant il le fait exister, le connaît, l’a croisé, lui reconnaît même une pointe de talent. Bref il enlève toute crédibilité aux incrédules pour qui le savoir livresque est l’oméga de l’existence. Shakespeare prend tout le monde à contre-pied et but! Gooooooooaaaal! Car Shakespeare, je te l’apprends, était un footballeur brésilien, qui jouait avec la Terre, le Globe pour sphère et les cuirs de la langue pour dribbling. – Santiago »

 

RIDEAU !

P.S. de DB : dimanche prochain 29 juin à 14 h., Lamberto Tassinari sera l’invité d’Antoine Perraud à son émission « Tire ta langue » de France culture, vouée à une intelligente lexicographie, et où tout ceci sera discuté.

 

Le quotidien de Montréal Le Devoir vient de publier, le 25 septembre, cette contribution au débat  signée d’Alexandre Cadieux :

 THÉÂTRE

Actualités shakespeariennes I

25 juin 2014 |Alexandre CadieuxThéâtre

L’homme de Stratford aurait eu 450ans en 2014. Joyeux anniversaire, Willy ! Durant toute l’année, le monde du théâtre commémore cet événement par le biais de multiples manifestations, et j’ai décidé de m’y mettre en vous proposant quelques textes sur les actualités shakespeariennes locales, en commençant par vous entretenir — how fitting ! — de la théorie d’un joyeux trouble-fête dont les idées subversives commencent à faire du bruit.

Spécialiste de la littérature italienne, cofondateur et directeur de la revue transculturelle ViceVersa (1983-1997, toujours active en ligne), Lamberto Tassinari joint sa voix à celles qui affirment que l’acteur, directeur de théâtre et homme d’affaires, né le 23 avril 1564 dans le Warwickshire, n’est pas l’auteur légitime du corpus dramatique et poétique le plus vénéré de l’histoire.

Mais, contrairement à de nombreux autres anti-stratfordiens défendant la candidature du comte d’Oxford, Édouard de Vere, de Francis Bacon ou encore d’Élisabeth Ire elle-même, l’ancien professeur de l’Université de Montréal soutient dur comme fer qu’Hamlet, Macbeth et Othello sont nés sous la plume de John Florio, lexicographe et traducteur né à Londres d’un père d’origine toscane, ledit paternel ayant peut-être lui aussi mis la main à la plume.

En 2011, Le Devoir a fait état de la publication de John Florio –The Man who was Shakespeare, traduction anglaise du bouquin que Tassinari avait d’abord proposé en italien en 2008. L’automne dernier, une version augmentée de l’ouvrage est sortie des presses, enrichie des fruits d’une recherche continue dans les archives ainsi que dans la masse incommensurable des écrits savants sur le corpus shakespearien.

Nouveau front

Lamberto Tassinari tente ainsi d’ouvrir à lui seul un nouveau front dans cette bataille déjà vieille de plus d’un siècle et demi que les anglophones ont baptisé « the Authorship Question ». Il suffira de dire qu’il existe une Shakespeare Authorship Coalition qui promeut depuis 2007 une Declaration of Reasonable Doubt About the Identity of William Shakespeare, signée par de nombreux universitaires ainsi que par des acteurs de la trempe de Jeremy Irons et Derek Jacobi, pour montrer que cette guerre n’est pas près de s’essouffler.

Auteur de manuels de grammaire et de conversations, d’un important dictionnaire et d’une traduction saluée des Essais de Montaigne en langue anglaise, John Florio avait, selon Tassinari, le bagage linguistique et culturel nécessaire pour accoucher d’une oeuvre aussi imposante. Pour un oeil comme le mien, plutôt néophyte pour ces questions controversées, le pedigree que l’essayiste dresse de son poulain semble assez convaincant, mais surtout convaincu, l’auteur faisant largement usage d’une pugnacité à la limite de l’arrogance, notamment à l’égard des spécialistes shakespeariens traditionnels. Il s’inspirerait en ce sens de son modèle, John Florio s’étant fait un point d’honneur de toujours répondre avec véhémence à ses détracteurs.

Épaulé depuis plusieursannées par Michel Vaïs, de la revue Jeu, Tassinari a récemment converti à sa thèse « florienne » un nouvel allié qui se charge d’animer le débat sur le front français. Il s’agit d’un philosophe et spécialiste d’Aragon, complice de Régis Debray dans le développement de la médiologie, l’universitaire grenoblois Daniel Bougnoux. Depuis quelques semaines, les billets enthousiastes que ce dernier a fait paraître dans son blogue à propos de The Man who was Shakespeare ont suscité quelques échanges plutôt acerbes.

Dans ce passionnant feuilleton épistolaire auquel participent notamment le professeur de littérature anglaise Henri Suhamy et son fils Ariel, les adversaires répliquent coup pour coup et les couteaux ne volent pas toujours très haut. L’ensemble permet tout de même d’établir une synthèse des principaux arguments avancés par bon nombre d’anti-stratfordiens. Peut-être que les avancées de la science shakespearienne apporteront, dans les années à venir, des réponses satisfaisantes qui viendront dissiper en partie les nappes de brume flottant toujours au-dessus du marécage biographique. En attendant, le champ spéculatif nous fournit une masse littéraire des plus attrayantes.

La semaine prochaine, nous verrons en quoi Shakespeare, qu’il fût d’origine britannique ou italienne, est surtout irrémédiablement québécois, et ce, depuis plus de 40 ans.

Une réponse à “Tassinari répond à Darras”

  1. Avatar de Cécile d'Eaubonne
    Cécile d’Eaubonne

    Je reprendrai les échanges fournis sur le vrai ou faux Shakespaere, cet été. Un jour de pluie dans une belle vallée du Voralberg que dédaignent les touristes. Tant mieux pour nous … Mais dommage aussi car les autrichiens ont l’art, mieux que quiconque, d’accueillir l’hôte de passage. Et généreusement …
    Nous y sommes allés, même peu argentés par le train de nuit : Gare de l’Est- Bludenz avant de regagner la vallée du Montafon pour quelques jours rêvés. La nature y est douce, les villages fleuris et les « Grüss Gott » vous répondent gaiement …

    J’en oublie d’inviter les lecteurs du blog à retrouver la troupe du théâtre du soleil à la cartoucherie de Vincennes à l’automne.
    Fureurs et férocité prennent le pouvoir pour s’y installer sans états d’âme. Mais est-ce une époque d’avant- hier ou d’aujourd’hui dont parle le texte de Shakespaere ?

    Auparavant, vous serez accueillis par Ariane Mnouchkine, elle-même, qui déchire le talon de votre billet d’entrée et propose de déposer un bagage encombrant, sous les tréteaux de la librairie.
    Le repas sur table partagé avec des voisins inconnus fut plaisant avant la séance de 13 heures 30. Une façon agréable d’entrer dans les arcanes qui tourmenteront Macbeth pendant 3 heures 45 ( avec entracte ).

    On a le droit d’apprécier hautement la gentillesse de cette troupe de saltimbanques, entraînée par le dynamisme d’Ariane au service du spectateur.

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À propos de ce blog

  • Ce blog pour y consigner mes impressions de lecteur, de spectateur et de « citoyen concerné ». Souvent ému par des œuvres ou des auteurs qui passent inaperçus, ou que j’aurai plaisir à défendre ; assez souvent aussi indigné par le bruit médiatique entretenu autour d’œuvres médiocres, ou de baudruches que je…

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À propos de l’auteur

  • Daniel Bougnoux, professeur émérite à l’Université Stendhal de Grenoble, est ancien élève de l’ENS et agrégé de philosophie. Il a enseigné la littérature, puis les sciences de la communication, disciplines dans lesquelles il a publié une douzaine d’ouvrages.

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