Lamberto Tassinari vient de répondre, point par point, aux critiques formulées par Dominique Goy-Blanquet dans En attendant Nadeau de la semaine dernière ; j’ajoute donc ici sa réponse à la mienne, précédemment parue, à l’intention des « suiveurs » (vous êtes nombreux !) de cette affaire sur mon blog. La presse nationale tarde à nous faire écho, raison de plus pour enfoncer ici un clou récalcitrant. C’est ainsi la troisième fois en huit jours que Madame Goy-Blanquet voit sa prose publiée, que d’honneurs !
Tassinari lui écrit donc :
Même si je suis convaincu que, avec des shakespeariens orthodoxes, toute discussion sérieuse sur l’identité de Shakespeare est aujourd’hui encore une entreprise désespérée et donc inutile, l’article que Dominique Goy-Blanquet a récemment publié dans En attendant Nadeau – journal de la littérature, des idées et des arts, contient des affirmations et des arguments si faux qu’une réponse ponctuelle s’impose. Je commence par le titre :
Shakespeare, combien de prétendants ?
Le grand nombre de prétendants, plus de 70, ne discrédite pas, contrairement à ce que laisse entendre Goy-Blanquet, la recherche d’une solution à l’énigme de la paternité des œuvres de Shakespeare. Ce nombre est directement proportionnel à la faiblesse de la théorie officielle selon laquelle William Shackspeare, l’imprésario et usurier de Stratford, serait Shakespeare. Comme en science, il est tout à fait normal que les chercheurs continuent leurs investigations dans le but de formuler la théorie finale permettant de résoudre tous les mystères et de répondre à toutes les questions restées sans réponse dans l’univers shakespearien.
La France ouvre l’année du quadricentenaire de Shakespeare par deux ouvrages qui lui font tristement sa fête : John Florio, alias Shakespeare, de Lamberto Tassinari, et Shakespeare : Le choix du spectre, de Daniel Bougnoux. Vieille rengaine, l’homme de Stratford, petit provincial sans éducation ni hautes relations n’a pas pu écrire l’œuvre qui porte abusivement son nom. Nouveau prétendant, l’érudit anglais d’origine italienne John (ou Giovanni) Florio, traducteur de Montaigne et compilateur d’un dictionnaire, A World of Words, où les deux compères découvrent éparpillées toutes les richesses de l’œuvre en question.
Ainsi, d’emblée, Goy-Blanquet réduit Florio au minimum : « érudit, compilateur d’un dictionnaire ». C’est comme cela que l’Université a réussi à minimiser la figure d’un protagoniste de la renaissance anglaise en le faisant passer pour un technicien qui, au maximum, aurait pu passer quelques informations sur l’Italie au Barde. Ne soyez pas triste, Madame, car les hérétiques aussi aiment Shakespeare, mais le Shakespeare déterritorialisé, celui qui n’était pas confiné à Stratford-upon-Avon, le génie étranger, le seul grand jongleur du langage de l’époque. Il n’y avait pas deux génies pareils. Florio, tout seul, érudit et poète en même temps !
Nouveau prétendant ? Pas tout à fait. Un enseignant sicilien avait déjà avancé le nom de Florio, pas John mais son père Michelangelo, sans grand effet.
Oui, nouveau, car John Florio est sous tous les aspects un nouveau prétendant. L’enseignant en question est Martino Juvara, auteur d’un pamphlet de 80 pages en italien paru en 2002 à Ragusa. L’auteur avance la thèse selon laquelle un cousin de John Florio (pas son père), Michelangelo Florio, était l’auteur des œuvres de Shakespeare. Ce livre est un ramassis fantaisiste écrit par un dilettante, rempli de fautes de tout genre, dépourvu de références critiques et bibliographiques. Malgré, ou plutôt, grâce à ce piètre niveau d’écriture, ce texte a gagné l’attention des médias internationaux (même le Times de Londres lui a consacré un article), qui ont pu aisément le critiquer avec un sourire de suffisance en l’éliminant à jamais de la scène.
Cette fois-ci, l’Italie et l’Angleterre continuent sagement de l’ignorer, mais les médias francophones l’ont accueilli avec complaisance par des titres à sensation : « Non », « Le célèbre « Barde de Stratford » n’est pas celui qu’on croit », « Shakespeare, un pur spectre ».
Heureusement que la vieille France est là avec tout son passé de fière compétitrice d’Albion pour faire place à la vérité historique ! Car ni le Royaume-Uni, ni le Canada sur lequel règne la reine d’Angleterre, n’auraient jamais osé se lever contre l’idole nationale, l’inventeur de la langue et le patron de la nation anglaise. Quant aux Italiens, l’affaire shakespearienne étant éminemment politique, ils se tiennent « sagement », c’est-à-dire prudemment, du côté de Stratford, le côté du plus fort, du gagnant, prêts toutefois à changer de camp aussitôt que la balance penchera vers John Florio.
Il y a trois ans, le film de Roland Emmerich, Anonymous, qui soutenait la candidature du comte d’Oxford, avait été relayé sur les chaînes Histoire et Arte par des émissions pseudoscientifiques, « L’énigme shakespearienne » (« Das Shakespeare Rätsel »), « Shakespeare mis à nu » (« Der nackte Shakespeare »), sorties du même studio de Babelsberg, sans que la presse télévisuelle s’interroge sur leur sérieux. Aujourd’hui, la Société Shakespeare est à nouveau bombardée de questions ironiques ou inquiètes. Mais personne du temps de Shakespeare n’a émis le moindre doute sur la paternité de ses œuvres. Les soupçons ont commencé avec le « biographisme », proposant une soixantaine de candidats plus savants et plus nobles que lui : Bacon, Marlowe, le comte d’Oxford, la reine Elizabeth…
Le film Anonymous est notamment basé sur la théorie « oxfordienne » formulée en 1920 par le Britannique John Looney dans un livre qui proposait le comte d’Oxford, Edward de Vere, comme étant le vrai Shakespeare. Or, permettez-moi de trancher sans pitié sur tous les 70 prétendants britanniques en affirmant que cette légion de comtes, nobles et philosophes anglais ne réunit que des candidats « wishful thinking », c’est-à-dire des candidats souhaités et souhaitables proposés par des gens qui, tout en refusant l’homme de Stratford, consentent à imaginer Shakespeare comme un pur génie anglais.
Qu’ à l’époque, personne n’ait émis le moindre doute sur l’auteur Shakespeare n’est pas aussi surprenant que cela peut le paraître aujourd’hui. Shakespeare n’était qu’un nom, une réputation littéraire et pas des plus populaires. Il faut préciser que jusqu’à 1598, quand 18 des 36 pièces de Shakespeare avaient déjà été écrites, les contemporains lisaient et assistaient aux pièces d’un dramaturge sans nom. Il y avait eu, c’est vrai, un mystérieux William Shakespeare qui avait signé en 1593 et 1594 deux poèmes de grande érudition littéraire et mythologique, impeccablement soignés et imprimés, mais les contemporains ont continué à ne rien savoir de l’auteur encore pour quatre longues années. De 1598 à 1611 les 18 autres pièces sortiront sous le nom Shakespeare épelé différemment, souvent avec un trait d’union – Shake-speare –, mais aussi encore anonymement. Une paternité incertaine, fuyante, dont personne ne semblait se préoccuper, et quand, rarement, on parlait de Shake-speare, de Shakspere ou de Shakespeare, on ne faisait aucun lien avec Stratford-upon-Avon. Ce lien avec le village du Warwickshire sur lequel est basée la mythologie shakespearienne à partir de la deuxième moitié du 18e siècle, est un lien posthume. Le président honoraire de la Shakespeare Birthplace Trust, Stanley Wells, l‘admet en soutenant que les preuves posthumes sont dignes de foi… Les doutes sur le Shakespeare de Stratford ont été formulés par écrit pour la première fois en 1769 dans un livre de Herbert Lawrence, The Life and Adventures of Common Sense: An Historical Allegory, qui dresse pour la première fois un portrait tellement mesquin de « Shakespear » – comme l’auteur appelle le dramaturge – que sa réputation n’en sort pas indemne.
Tassinari énumère les personnalités, de Henry James à Freud, qui partagent son propre scepticisme, sans préciser qu’elles soutiennent tous des candidats différents.
Ces grands esprits – Mark Twain, Walt Whitman, Henry James, Charles Dickens, Sigmund Freud, Charlie Chaplin et, de nos jours, trois interprètes shakespeariens de talent tels John Gielguld, Sir Derek Jacobi et Mark Rylance – ont pris parti pour des candidats « wishful thinking » car John Florio, « l’érudit et compilateur de dictionnaire », n’a jamais été admis dans la course au poste de Shakespeare. À mon avis, la sensibilité, l’intuition et l’intelligence critique de ces grands qui doutaient, et pas par snobisme, sont infiniment plus crédibles que tout le savoir des universitaires shakespeariens.
Tous ressassent les mêmes arguments : absence de manuscrits, absence de passeport estampillé prouvant que le petit provincial s’était rendu en Italie ou ailleurs. Le fait banal que les manuscrits de Marlowe ou d’Oxford, comme ceux de la plupart des auteurs dramatiques de l’époque, ont également disparu n’est jamais évoqué. Ni sa géographie fantaisiste, ou la faible dose de couleur locale de ses scènes exotiques.
Si d’autres dramaturges et écrivains de l’époque manquent de manuscrits, il est cependant vrai que, à Shackspeare de Stratford, il manque tout : pas seulement un passeport, mais un certificat d’inscription à l’école de son village, la moindre ligne écrite de sa main, une seule lettre reçue, un testament digne d’un barde, une seule dédicace obtenue ou donnée, et bien d’autres documents. Qu’on lise le livre de Diana Price, Shakespeare’s Unorthodox Biography, pour en savoir davantage sur ce que lui manque par rapport aux autres dramaturges et écrivains de son époque.
Deux théories du complot sont mobilisées à l’appui du candidat Florio. La première tente laborieusement d’expliquer comment, pourquoi, il a été dépouillé de son œuvre dramatique et poétique par l’infâme Shakespeare.
Aucun complot. Florio a tout simplement laissé faire, il a renoncé à la gloire future et incertaine, il a donné son œuvre à un autre nom : il fallait que l’auteur de ce théâtre, le créateur de la nouvelle langue anglaise soit un auteur portant un nom anglais. Le projet de Ben Jonson était aussi celui de Florio : créer un grand auteur national… Mais ce n’est qu’un siècle plus tard que les Anglais comprendront vraiment la valeur de son don et que Shakespeare sera « nationalisé ».
Attention, pourtant, Tassinari affirme que le snobisme n’a rien à voir là-dedans ; simplement, l’évidence de la chose lui saute aux yeux. Un seul homme à l’époque avait l’envergure, le talent, les amis aristocratiques, l’érudition, la bibliothèque, la connaissance de l’Italie, la maîtrise des langues pour accomplir une telle œuvre : Florio. Pour parler si bien de l’exil, Shakespeare ne peut être que comme Florio, et comme lui-même l’Italo-Canadien, un exilé. Autant dire que pour entrer si bien dans les pensées troubles de Macbeth, il devait être un peu assassin. Si l’évidence de sa thèse peine à s’imposer, c’est que les « Stratfordiens », unis comme un seul homme, exercent un « contrôle policier » sur la recherche, rejetant avec violence toute possibilité qu’un étranger, juif de surcroît, puisse être l’auteur du canon, et par conséquent le véritable inventeur de la langue anglaise.
Florio a été hors de l’horizon universitaire depuis toujours. Le livre français de sa première biographe, Clara Longworth de Chambrun, en 1921 a été boudé par les universitaires et jamais traduit dans aucune autre langue. L’excellente biographie de Frances Yates de 1934, au lieu d’ouvrir les recherches sur Florio et ses rapports avec Shakespeare, les a arrêtées pendant quatre-vingt ans.
Ma thèse a de la peine à s’imposer ? Au contraire ! La preuve en est que Goy-Blanquet est en train de m’attaquer au moment même où John Florio est exposé à l’attention des shakespeariens. Mon livre est paru en italien en 2008, puis en anglais l’année suivante, publié à mon compte en 300 exemplaires, et en janvier il vient de paraître en français. Un progrès foudroyant quand vous pensez qu’on parle de Francis Bacon depuis 1854, de Marlowe depuis 1895, d’Oxford depuis 1920.
Qu’il n’existe pas de « parti stratfordien » constitué, mais des chercheurs partout dans le monde pour qui, jusqu’à preuve du contraire, les documents connus sont aussi fiables et plus nombreux que ceux concernant la plupart des auteurs dramatiques élisabéthains, Tassinari n’en a cure. Quiconque ne partage pas ses vues est un ennemi, borné, menteur, couard, servile, cynique, dénoncé à longueur de pages.
Les documents concernant le Shackspeare de Stratford sont des documents bureaucratiques et juridiques insignifiants : rien de personnel, rien de littéraire.
S’il n’existe pas de parti stratfordien « constitué », il existe une tradition fondée sur une autorité anciennement établie (1769) qui a donné naissance à une école, à une recherche souvent vide et répétitive. Sur un tel univers culturel se base une multitude de carrières universitaires, une communauté de chercheurs qui s’est constituée en une véritable église avec ses papes, ses cardinaux et ses prêtres de campagne. C’est un univers qui se tient par la force de l’autorité, par le pouvoir.
Tassinari le reconnaît d’emblée, aucun texte, aucun document nouveau ne confirme son hypothèse, mais un faisceau d’indices convergents
Mes textes sont ceux de Florio, ceux que depuis toujours, la critique universitaire a négligés : ses deux « Fruits », manuels bilingues italien-anglais, ses deux dictionnaires, sa traduction des Essais de Montaigne. Florio est l’écrivain élisabéthain dont on trouve le plus de mots, de phrases, d’idées dans l’œuvre de Shakespeare. Sa langue EST la langue de Shakespeare et avoir omis de l’étudier est la preuve qu’il y eut, sinon un complot en bonne et due forme, à tout le moins un interdit subliminal, une censure à caractère quasi religieux qui a bloqué l’esprit critique de la communauté universitaire pendant deux siècles.
Tassinari continue à collecter les indices. Cinq ans après la première édition de John Florio : The Man Who Was Shakespeare, il le republie en 2013 enrichi de plusieurs chapitres et adapté à la nature des objections. Les multiples fautes de grammaire italienne des dialogues shakespeariens, par exemple ? Florio l’a fait exprès : pour masquer sa véritable identité, il « fait semblant de ne pas connaître l’italien ». S’il déforme un nom, c’est qu’il « décide de l’écrire mal, « à l’anglaise », pour se faire comprendre ». Et si vous êtes surpris qu’un personnage attende la marée en pleine terre, sachez que Milan, Vérone, Florence sont des ports fluviaux « plausibles ». Gageons que si la prose signée Florio est lourdement pompeuse, c’est pour mieux masquer ses talents de poète.
Ici, il n’y a pas simplement des fautes, mais des caricatures de ce genre : Si fortune mi tormente, sperato me contento dont le ridicule est comparable à la laideur caricaturale du portrait officiel de Shakespeare choisi par les responsables du First Folio de 1623. Le dramaturge Shakespeare qui lisait Giordano Bruno, Boccace, l’Aretin, l’Arioste, le Tasse, etc. ne pouvait pas écrire un tel italien ! John Florio joue l’Anglais… La pomposité de Florio ? Florio, le pédant Holoferne ? Goy-Blanquet devrait lire ce qu’ont dit de sa prose T. S. Eliot, qui le considère comme un classique des lettres anglaises, ou Frances Yates qui trouve que Florio est un véritable artiste, ou encore G. C. Taylor selon qui le Montaigne de Florio a alimenté le vocabulaire et la pensée de Shakespeare, jusqu’aux opinions du grand pape des Shakespeariens, Stephen Greenblatt, qui fait l’éloge de l’écrivain Florio, sans oublier la haute opinion qu’ont de Florio Hermann Haller et William Hamlin.
[…] tous les barbarismes de Tassinari, qui a encore moins de latin que le « semi-analphabète » Shakespeare sont reproduits, jusqu’à l’illustre devise du théâtre du Globe, « Totus mundus agit histrionum [sic] ».
Pardon, « histrionem » : quelle honte, ma faute de latin ! Ce qui compte, c’est que la Bible et puis Giordano Bruno sont à l’origine de cette phrase de John Florio alias Shakespeare.
À en croire Tassinari, Shakespeare est « entièrement tourné vers l’Italie et la dramaturgie italienne », alors que le théâtre élisabéthain, au grand dam de Sidney, tournait le dos aux théories néoclassiques, préférant puiser dans ses racines médiévales. Cette matière-là, le terreau anglais, est totalement absente de l’horizon du livre : « Tout vient de l’étranger, en tout cas tout ce qui compte. » Aucun doute, « ce sont la langue, la poésie et les idées de Dante, Pétrarque, Boccace, l’Arioste, Machiavel, l’Arétin, le Tasse, Ronsard, Castiglione, Montaigne et Bruno qui ont engendré le cygne de l’Avon ». Oubliés Chaucer, Tyndale, la légende arthurienne, les forêts de Sherwood et d’Arden, les mystères de Coventry, Kenilworth, Beowulf, Piers Plowman. Oubliés, surtout, les chroniqueurs anglais qui ont nourri un bon tiers de l’œuvre dramatique, des Henry VI à Lear et Cymbeline.
Il faut insister sur l’Italie car la critique shakespearienne a tendance à l’oublier. Ce n’est pas moi seulement qui l’affirme, Louise George Clubb, se plaignant du total manque d’attention à l’Italian connection, écrit : « L’espoir d’ajouter aux connaissances sur l’Italian connection a été rejeté successivement par Stephen Greenblatt, Will in the World: How Shakespeare Became Shakespeare (New York: Norton & co., 2004) ; Peter Ackroyd, Shakespeare: The Biography (London: Chatto & Windus, 2005) ; et James S. Shapiro, A Year in the Life of William Shakespeare: 1599 (New York: Harper Collins, 2005)1 ». D’ailleurs, la passion et la compétence de Florio dans les lettres anglaises, outre les témoignages de Longworth Chambrun et Yates, sont amplement prouvées par ses 174 000 mots anglais et par sa traduction du Montaigne. Florio a simplement tout lu en anglais : Chaucer, Tyndale, Holinshed, Hall, mais aussi Scot et Harsnet et tutti quanti.
Mais rares étaient ceux capables en un tour de main d’élever un passage médiocre ou simplement banal au sublime, de tirer du récit de Plutarque une inoubliable Cléopâtre. Ah, soldier !
Et pourquoi en serait capable l’énigmatique et peu scolarisé fils du gantier, et non pas le traducteur de Montaigne ?
La dimension théâtrale de l’œuvre de Shakespeare n’inspire guère de réflexion au-delà des parallèles verbaux. Ni sa dimension poétique, alors que les fleurs de rhétorique signées Florio sont bien loin de la métaphore vive shakespearienne. Ni sa langue, aussi populaire que baroque, imprégnée de campagne et de folklore anglais autant que de culture classique ou continentale. Ici, tout l’art se résume à ce « monde de mots » qui donne son titre au dictionnaire de Florio.
Florio est un grand écrivain, passionné et expert en théâtre : il avait des dizaines de livres de théâtre dans sa bibliothèque perdue et c’est lui qui a introduit à la cour son beau-frère Samuel Daniel et son protégé et ami Ben Jonson, tous les deux auteurs de masques. Goy-Blanquet devrait lire le Montaigne de Florio et se confronter aussi avec les textes que consacrent à Florio les Chambrun, Yates, Matthiessen, Koszul, Greenblatt, Platt, Hamlin…
Là où Tassinari invective, affirme rudement, ressasse ses « confirmations absolues », Bougnoux suggère et ironise avec grâce, ne s’énerve que pour proclamer sa haine du « triste hydrocéphale » barbouillé sur le frontispice de l’in-folio. Ses explications concernant l’anonymat de Florio ne sont guère plus convaincantes. Si le courtisan accompli s’identifiait passionnément aux valeurs et aux préjugés de ses protecteurs, qu’est-ce qui l’a poussé à écrire pour le théâtre, trop proche à leurs yeux de la fosse aux ours et des bordels ?
Pourquoi, Madame, c’est ma question finale, est-ce que personne n’a repris le projet avancé par Frances Yates en 1934 qui consistait à étudier le rapport entre Florio et Shakespeare ? Est-ce cela que vous pensez faire dans l’anthologie critique annoncée pour mai prochain ?
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