Terrence Malick au bout du rouleau ?

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Qu’est-il arrivé à Terrence Malick ? Quand on a (tellement) aimé Les Moissons du ciel et La Ligne rouge, puis beaucoup moins Le Nouveau monde et L’Arbre de vie (palme d’or à Cannes), l’ineptie de son dernier opus laisse pantois – et on s’inquiète de voir une partie de la critique continuer d’encenser mécaniquement le réalisateur : « Le mystère Malick », titre Le Nouvel observateur qui lui consacre un élogieux dossier de quatre pages. Ce film est accablant, mais peut-être révélateur d’une tendance : Malick entretient en effet le mystère, et se prend pour un démiurge tout-puissant. Sous prétexte qu’il a fait de vagues études, et traduit dans les années soixante un texte de Heidegger, on lui a décerné le titre de cinéaste heideggerien ! Pour mieux filmer l’être-là, il supprime en effet le scénario, et plus étonnant la majorité des dialogues : les paroles sont prononcées en voix off (par Olga Kurylenko qui a enregistré pendant des mois en studio des bouts de phrases indignes d’un candidat au bachot de philo). Le résultat est consternant, de redondances (« il faut monter les marches » quand on voit à l’image le couple gravir celles du Mont-Michel, ou « la cascade du désir » quand le même couple enlacé roule au tapis), et de simplisme : pour traduire son ouverture mystique au monde, Malick veut la dire, avec des mots aussi laids que les vitraux de la chapelle censée nous rappeler qu’il y va de Dieu dans tout ça…

Ce qu’on comprend du scénario (un homme entre deux femmes et une petite fille) montre une conception inquiétante du rôle des femmes : la pauvre Kurylenko est priée d’enchaîner devant nous des pas (très maladroits) de danse à tout propos ; ses entrechats entre les rayons du super-marché sont grotesques, mais dignes d’une pub pour produits ménagers, ce qui donne d’ailleurs une indication sur l’esthétique qui menace ici : faute de récit et d’intrigue, faute de personnage incarnés, faute de direction d’acteurs, mais fort de sa voix off, Malick retombe sur l’imagerie publicitaire et la carte postale (le Mont Saint-Michel, en effet toujours photogénique), à grands renforts de couchers de soleil, d’animaux sauvages, de citations musicales grandioses (Wagner, Berlioz…) et de cieux enflammés filmés aux deux-tiers de l’écran, où passent quelques oiseaux…

Rien ne déclasse plus sûrement un film que cette ivresse de grandeur. Les acteurs, paraît-il, n’ont rien compris à ce qu’ils tournaient : c’est au montage que Dieu-Malick fait son film, en recollant les mots sur les images et les images entre elles. Il faut que la vie danse, et le film. Hélas, nous pataugeons comme les protagonistes dans la baie Saint-Michel ; et le chef d’orchestre, suspendant sa baguette, se tourne vers le public et nous souffle « Beaucoup de bruit pour rien ».

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À propos de ce blog

  • Ce blog pour y consigner mes impressions de lecteur, de spectateur et de « citoyen concerné ». Souvent ému par des œuvres ou des auteurs qui passent inaperçus, ou que j’aurai plaisir à défendre ; assez souvent aussi indigné par le bruit médiatique entretenu autour d’œuvres médiocres, ou de baudruches que je…

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À propos de l’auteur

  • Daniel Bougnoux, professeur émérite à l’Université Stendhal de Grenoble, est ancien élève de l’ENS et agrégé de philosophie. Il a enseigné la littérature, puis les sciences de la communication, disciplines dans lesquelles il a publié une douzaine d’ouvrages.

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