La campagne électorale américaine réserve bien des surprises. À peine avais-je consacré ici mon dernier billet à Biden, à ses gaffes calamiteuses et à ses (si maigres) chances de l’emporter, que Trump vient de bondir au premier plan, en se taillant un avantage d’autant plus décisif qu’il était totalement imprévisible : l’attentat raté contre sa personne, perpétré par un illuminé de la gâchette au parcours obscur, vient de faire de lui un héros. Mieux, un élu de Dieu !
Le paradoxe mérite d’être souligné : en agissant pour éliminer Trump, son pire ennemi vient de lui offrir le scénario rêvé pour une investiture triomphale, qui augure mal de l’avenir de Biden dans la compétition. Trump n’osait pas jusqu’ici se réclamer de Dieu, et la preuve de sa supériorité ne dépassait pas le niveau de la richesse, ou du bourrage des réseaux sociaux. L’argumentaire vient de franchir un cap décisif, et son entourage, ou les témoins de l’attentat (mondialement médiatisé dans les minutes qui ont suivi) n’hésitent pas à parler désormais de miracle. Il ne manquait plus que cette auréole à Trump, sacré élu de Dieu, lequel a détourné le tir fatal et ne voulait pas que son Fils meure… Sauvé par une intervention surnaturelle (« surréaliste », aurait risqué l’ancien président, qui ne mesure pas tout-à-fait ce que ce mot désigne).
Extraordinaire coup de pub, ou d’accélérateur électoral. Non seulement Trump revêt l’habit de lumière du cow-boy invincible (les péquenots du Midwest apprécieront), mais mieux que cela, il est l’oint du Seigneur, voire pour certains Américains, qui ont pour trois fois rien le nom de Dieu à la bouche, la preuve de son existence !
Nous aimions particulièrement, peu avant mai 68, une chanson de Bob Dylan qui repassait souvent dans notre chambre commune, Hubert Perrier s’en souvient, « With God on our Side ». La chanson, non sans profondeur, nous rappelait le lien essentiel, insécable, entre la réussite sociale et l’alliance passée avec un Dieu rétributeur ; la vraie preuve de l’élection, c’est d’avoir Dieu pour soi, Dieu du côté du manche, ou son souffle dans notre dos… C’est Dieu l’ultima ratio de la supériorité, c’est la carte maîtresse qu’il faut avoir dans son jeu pour gagner, Dieu c’est l’allié parfait, imbattable. Les coups de feu de samedi soir ont réalisé ce prodige dont aucun de ses partisans n’aurait pu rêvé : Trump est, par essence et sans plus attendre le verdict des urnes, l’élu.
On voit mal en effet comment Biden, empêtré dans ses lapsus et voué à chuchoter, pourra désormais faire face ou contre-poids. Il a certes un excellent bilan, et l’on frémit des mesures détestables que prendra Trump, aussitôt réinstallé à la Maison blanche. Hélas, il vient d’entrer dans la légende, et contre la légende les arguments les plus rationnels se brisent. « Imprimez la légende » : l’injonction célèbre du tycoon Hearst est plus que jamais d’actualité, la légende, le miracle sont ce que la plupart des gens espèrent, ce qu’ils acclament, ce qu’ils retiennent.
Comment lutter ? Que vont lui opposer les Démocrates pour détourner ce cauchemar, quatre années d’une nouvelle présidence Trump, désormais sur les rails ?
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