J’attendais avec curiosité le dernier film de Woody Allen, son cinquantième dit-il, tourné à Paris et avec des acteurs français comme s’il convenait de se retirer en saluant et remerciant son véritable public, celui qui sut mieux que les salles américaines comprendre cette œuvre, en goûter le génie.
Alors qu’il en entamait le tournage, je m’étais rendu au Bristol, rue du Faubourg Saint-Honoré, pour lui faire l’hommage de mon livre Génération Woody, paru en juin précédent, que je déposais pour lui à la réception accompagné d’une lettre, qu’espérais-je de cette démarche ? Une rencontre à tout le moins avec ce personnage excentrique, un bref entretien, peut-être une invitation à assister à une séance du tournage – j’ai appris en voyant le film que cela se passait aux alentours du Rond-Point des Champs-Elysées et d’une salle des ventes que je connais bien, Artcurial. Hélas rien ne me parvint en retour, sinon beaucoup plus tard quand les spots furent éteints et que Monsieur Allen eut regagné New York, un mail très formel de sa sœur Letty Aronson pour me dire qu’il avait bien reçu mon livre, et m’en remerciait.
Je n’ai donc pas de raisons particulières de défendre une fois de plus ici ce créateur, si décevant ou furtif dans ses relations sociales. J’aurais de même eu plaisir à assister à l’avant-première que l’Institut Lumière donna du film, le 10 septembre dernier, manifestation suivie le 11 d’un concert où notre homme jouait de sa clarinette. Thierry Frémaux m’avait invité au printemps à une soirée très animée de son Institut, devant une salle comble, et je lui en suis très reconnaissant, les « soirées Woody Allen » auxquelles il m’a été donné de participer n’auront pas été trop fréquentes. Grenoble n’est pas éloigné de Lyon et je m’y serais rendu – si je l’avais su. Sur un plan bêtement humain, j’avoue que Woody m’a déçu ; mais peut-être ne lit-il pas du tout le français ? Pourtant, il a bien dû le parler un peu pour diriger ce dernier opus, Coup de chance.
On rêvait d’un triomphe, d’un bouquet de fusées, d’un coup de cymbales final… Hélas, cette oeuvrette n’est pas un grand Woody, et je ne l’aurais pas retenue dans la sélection des dix-huit films (sur cinquante) qui donnent son terrain à mon livre. Mais, pas plus que Rifkin’s festival qui l’a précédé (et que j’ai examiné ici même pour en dire les mérites), il n’est déshonorant. Je ne comprends donc pas la critique qui s’acharne à déprécier ces deux films, ou plutôt je la comprends trop bien : depuis que sa fille adoptive Dylan et Mia Farrow ont repris contre lui leurs attaques, voici trois ou quatre ans, Woody est assimilé aux yeux de sourcilleux censeurs à un criminel sexuel et pédophile. Or comment survivre, ou sauver son oeuvre, quand les ligues de vertu remettent aussitôt le couvert et vous désignent pour cible ?
On me dit que la rumeur qui entoure ce film est mauvaise ; je n’ai pas trop lu la presse ces temps-ci, mais j’ai sous les yeux Télérama qui pourrait constituer un cas d’espèce. Pages 62-63 de la semaine du 30 septembre au 6 octobre, Marie Sauvion signe deux articles également négatifs, placés en miroir comme pour accentuer leur symétrie, l’un sur Coup de chance, l’autre sur Dogman de Luc Besson. Je précise que je ne sais rien des démêlés judiciaires de ce dernier, et que je me garderai de prendre position ; l’article (dépréciatif) de la journaliste se termine par un laconique : « La plainte pour viol déposée en 2018 par l’actrice Sand van Roy s’est soldée par un non-lieu, entériné en juin 2023 par la cour de cassation ». Son traitement de Woody est plus tortueux : « S’il n’était pas tricard aux Etats-Unis et contraint de chercher des producteurs en Europe – notamment en France, où un public jusqu’ici fidèle se rappelle qu’il n’a jamais été poursuivi à la suite des accusations de viol sur sa fille mineure (…) ».
L’article dit la vérité, Woody Allen n’a jamais été poursuivi, mais en insistant sur cette accusation il suggère et imprime dans l’esprit du lecteur non averti le contraire. Un autre article de Samuel Douhaire page 32 enfonce ce clou : « L’avant-première du film, le 10 septembre à Lyon, a fait salle comble sans manifestations de protestation devant les grilles de l’Institut Lumière. Les militantes féministes n’ont pas plus perturbé les deux concerts » etc. Ceci placé en face d’une large photo très peu flatteuse d’un Woody effondré, au visage grimaçant – comme si l’image en effet, encadrant un article, devait piloter notre jugement. Douhaire (auquel j’avais envoyé voici un an mon livre mais qui ne m’en a ni remercié, ni n’en a rendu compte), n’a apparemment jamais lu le témoignage de Moses, le fils de Woody Allen et de Mia Farrow, qui dans une lettre d’une magnifique dignité rétablit contre sa mère (et ses méthodes éducatives) la vérité de cette malheureuse journée au cours de laquelle son père aurait commis un geste déplacé… Tous les détracteurs de Woody devraient lire ce document, facilement accessible sur internet (et reproduit dans mon livre), mais nos accusateurs de Télérama n’ont que faire de lire, la rumeur et les réseaux sociaux sont tellement plus intéressants !… L’article cite pour finir Manuel Carcassonne l’éditeur de Soit dit en passant, et conclut sur le grand âge du réalisateur, dont la jeunesse désormais se détourne, « Allen est un homme qui appartient au monde d’hier ».
No comment ! Non décidément rien n’arrête la calomnie (disais-je dans un billet précédent). Chapeau donc à Télérama pour ces papiers d’un conformisme navrant, qui pourrait aussi bien enterrer Molière au même motif, pensez donc, un homme du XVIIe siècle !…
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